En immersion avec les “oubliés” magnifiques du photographe Samuel Cueto

Depuis 2010, l’ex-rappeur du groupe 2 Trépides s’est reconverti dans la photo. Depuis, les portraits-reportages de cet autodidacte, exposés à la Gallery 193 à Paris, racontent avec force les marginaux, des rives du Ganges aux rues bondées de Phuket.

Par Keuj

Publié le 23 octobre 2018 à 17h00

Mis à jour le 26 février 2021 à 15h48

Fils d’une Algérienne et d’un Espagnol, il se revendique « citoyen du monde. » Samuel Cueto, 42 ans, ouvre le troisième chapitre de sa vie. Le premier a été consacré au hip-hop avec son groupe 2 Trépides. À l’aube de la trentaine, lassé du tournant pris par le rap, il range le micro. Un poste de gardien d’immeuble, dans son quartier de Savigny-Le-Temple, lui est proposé dans la foulée. « L’Office Public de l’Habitat a pensé que je ferais l’affaire en tant que figure connue, notamment des jeunes » précise-t-il. Récemment licencié, Samuel va désormais se concentrer sur la photographie. Une passion pour l’image, développée en autodidacte. Il démarre sa carrière en 2010 en alimentant bénévolement divers magazines de sport de combat. Passé du numérique à l’argentique deux ans plus tard, il développe chez lui ses premiers portraits de rue. Sauf que photographier en France le bloque.

Un premier voyage en Thaïlande en 2014 lui permet de faire ses armes dans ce qu’il nomme le « portrait-reportage ». Avec un choix marqué pour le noir et blanc et une attention particulière sur les outsiders. « Traîner avec des marginaux et les photographier n’est qu’une continuité de ce que j’ai toujours vécu. Mon œil est naturellement attiré vers les oubliés. » Une cinquantaine de portraits de ces gens, rencontrés en Thaïlande, en Inde et dernièrement au Sénégal, seront donc exposés à partir du 24 octobre à la 193 Gallery. Pour Télérama, le photographe commente quelques uns de ses clichés.

“Gamin sur les marches”, Gange de Varanasi, mars 2018

 

  © Samuel Cueto - Courtesy 193 Gallery

« En me baladant, j’ai croisé ce gamin dans cette position. Mais il a disparu, et c’est sa sœur qui me l’a ramené, plus d’une heure plus tard. Je lui ai dit que je voulais le photographier au même endroit. Il s’est rassis et a pris cette pose sans que je ne lui demande rien. Le contraste entre la saleté de ses vêtements et la beauté de son visage est saisissant. C’est l’une des rares photos prises en faisant un shooting. À peine j’avais donné un billet à la grande sœur, que leur père est sorti de nulle part. Les enfants ont commencé à crier, m’expliquant que leur père partait acheter de l’alcool et allait disparaître pendant plusieurs jours. »

“Femme brûlée”, Varanasi, mars 2018

 

  © Samuel Cueto - Courtesy 193 Gallery

« Un symbole de l’Inde. Une vendeuse de cartes postales que je voyais chaque jour au même endroit. J’ai discuté avec elle, puis je lui ai proposé du travail. Je la sentais curieuse et intéressée, mais elle répétait qu’elle n’avait pas le temps, notamment à cause de ses enfants. Elle a fini par accepter de poser. Son mari, alcoolique, lui a jeté de l’acide quand elle lui a annoncé qu’elle souhaitait divorcer. Elle me répétait qu’elle était désormais heureuse avec sa “petite famille”, sa mère et ses deux enfants. J’aime beaucoup cette photo, au-delà du fait qu’elle dit beaucoup de choses sur la condition féminine en Inde. Paradoxalement, de ce que j’ai vu, j’ai trouvé que les femmes avaient du caractère et ne se laissaient pas marcher sur les pieds. »

“Salon de coiffure”, Varanasi, mars 2018

 

  © Samuel Cueto - Courtsesy 193 Gallery

« Un gamin qui se fait couper les cheveux avant une cérémonie dans le Gange, un baptême ou une crémation, je ne sais plus. Je me suis arrêté sur la tronche du coiffeur avec ce regard de dingue. On a l’impression que ses yeux découpe autant que sa lame. Il enchaine les coupes à un gros rythme en ne travaillant qu’au rasoir, y compris pour les femmes. Il ne fait pas dans la diminution petit à petit, plus adepte du gros coup de lame d’entrée ! Sans qu’une goutte de sang ne tombe sur le sol, un vrai professionnel. Comme pour la plupart des gens en Inde, je n’ai pas eu à demander la permission pour shooter. C’est de loin le pays où j’ai fait le plus de photos, 1800 en tout. Une seule fois une femme m’a fait une réflexion. Ils ont un rapport à l’image très détendu, c’est le pays idéal pour la photo de rue. »

“Le mec avec les billets”, Phuket, juin 2015

 

  © Samuel Cueto - Courtesy 193 Gallery

« C’est le type de gauche sur la photo à quatre (photo de une ndlr). En attendant les autres je l’ai shooté comme ça, sans repérage. On marchait, je lui ai demandé de s’arrêter devant le mur et de faire ce qu’il voulait. Il a sorti cette énorme liasse de sa poche et l’a mise devant son nez en répétant “No money, no honey ” (“pas d’argent, pas de filles” ndlr) . Lui et ses potes étaient très gentils mais je n’ai pas voulu trop m’attarder sur la provenance de l’argent. J’aime bien travailler avec des fonds qui ont de la texture, comme des murs délabrés ou de vieilles cabanes. »

“Le mec qui fait un T”, Pattaya, mars 2017

 

  © Samuel Cueto - Courtsesy 193 Gallery

« Ce n’est pas le T de “temps mort”, mais le T de Thaïlande. Il fait partie d’un groupe de types qui gèrent pas mal de choses à Pattaya. Ils ont un magasin et font du tatouage. Des passionnés d’armes aussi, il m’a d’ailleurs montré des fusils à pompe dernier cri. J’aime bien cette photo, on sent toute l’influence West Coast. On dirait un Chicano dans un clip de Dr Dre. Quand il a vu que j’avais des dents en argent, il a fait toutes les siennes en or (rires). »

“Quatre mecs face au mur”, Phuket, juin 2015

 

  © Samuel Cueto

« Quatre mecs, la vingtaine, qui font partie d’une petite équipe de tatoueurs. Certains parleront de gang, moi j’appelle juste ça des marginaux. Celui tout à gauche m’avait contacté sur internet après avoir vu quelques-unes de mes photos lors d’un précédent séjour en Thaïlande. On a pris rendez-vous deux ans après. J’ai fait l’aller-retour Pattaya-Phuket pour eux. Il a ramené deux amis et celui tout à droite s’est rajouté au dernier moment. Le message de la photo, en allant de gauche à droite “c’est rien dit, rien entendu, rien vu”, et le dernier a improvisé. La dénonciation est un moyen comme un autre de se faire de l’argent là-bas. J’ai baigné toute ma jeunesse dans le milieu du rap avec le goût des punchlines et des classiques. Pour moi cette photo est magique, au niveau du grain, de l’ambiance, il se passe quelque chose. C’est une image punchline qui peut devenir un classique. »

« Les oubliés » de Samuel Cueto, exposition du 24 octobre au 30 novembre, tous les jours de 10h30 à 19h30, 193 Gallery, 7 Rue des Filles du Calvaire, Paris 3e​, entrée libre.

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