Camille Lepage, héroïne du nouveau film de Boris Lojkine

par Laure Etienne
Zooms Cinéma

En mai 2014, Camille Lepage, photojournaliste de 26 ans, est tuée lors d'un reportage en République centrafricaine. Son histoire a inspiré le nouveau long-métrage de Boris Lojkine “Camille”, dont Polka est partenaire. Le film, primé lors du festival de Locarno, sort demain en salles. Rencontre avec le réalisateur.

Nina Meurisse, qui s'est vue confié le rôle de Camille Lepage, et Boris Lojkine sur le tournage en Centrafrique.
© Pyramide Films.

Connaissiez-vous Camille Lepage avant sa disparition en Centrafrique?

Boris Lojkine J’ai découvert son existence en apprenant sa mort dans les journaux, au printemps 2014. J’ai été frappé par sa photo: son visage juvénile, un grand sourire et des joues de bébé qui contrastaient avec ce que je savais de la Centrafrique.

Pourquoi avez-vous choisi de lui consacrer un long-métrage?

Je réfléchissais depuis longtemps à un film sur les reporters de guerre. Et cela faisait également un moment que je voulais travailler sur un conflit africain. J’ai passé beaucoup de temps au Congo et en RDC. Mais pareil, je ne trouvais pas comment m’emparer de ces thématiques. L’histoire de Camille m’a beaucoup touché. J’ai fait des recherches, lu tout ce qui avait été publié sur elle lors de sa mort, regardé ses photos. On y sent une proximité avec ses sujets, même au milieu d’événements très violents. J’ai le sentiment qu’elle était toujours en train de faire un portrait de la jeunesse.

Ce qui m’a vraiment décidé, c’est une interview qu’elle avait donnée au site Petapixel, où elle racontait son travail au Sud Soudan, avant la Centrafrique: elle avait habité dans une petite maison avec une Sud-Soudanaise dans un quartier où aucun expatrié ne va à cause des règles de sécurité. Elle mangeait local, essayait de nouer des liens avec les gens et de travailler dans la durée. Elle expliquait qu’elle ne voulait pas être une photographe de guerre qui zappe de conflit en conflit. Elle décrivait son engagement et répétait cette phrase que nous avons mise dans le film: “Y’a pas de pays damné.”

Camille Lepage avait 26 ans lorsqu'elle a été tuée. Elle suivait un groupe de miliciens Anti-Balaka quand ils ont été embusqués par leurs ennemis, les rebelles Seleka. En tout, elle a passé huit mois dans le pays.
© Pyramide Films.

Dans votre film, vous dépeignez de façon très réaliste le métier de photojournaliste. Est-ce un milieu dont vous êtes familier?

Non, je n’y connaissais pas grand-chose. J’ai eu une démarche quasi anthropologique. Je considère les photojournalistes comme un groupe avec ses rites, ses codes, sa manière de parler et de travailler. J’ai essayé de comprendre comment ça marche, par exemple l’importance accordée à l’éditing des images. J’ai tenté de saisir comment se passe la vente des photos, la différence entre les indépendants et ceux qui sont dans des rédactions voire ceux qui sont envoyés en commande…

Et puis, j’ai rencontré ceux qui avaient travaillé avec Camille et notamment ceux qui étaient à Bangui en 2013-2014. Je les ai longuement interviewés, nous avons parlé d’elle, mais plus généralement de la manière dont ils avaient couvert ce conflit. La plupart ont été accueillants. Sans doute parce que cela concernait une jeune collègue qui était morte ou parce que je venais de la part de la famille. Certains m’ont parlé plusieurs fois, comme William Daniels. Mi-septembre, nous avons organisé une projection. J’avais assez peur de leurs regards, mais ils ont aimé le film. Ils ont trouvé juste ma façon de raconter leur métier et la Centrafrique.

Pourtant, vous n’êtes pas tendre avec ces photojournalistes.

Je ne suis pas tendre avec eux dans la mesure où aucun n’est présenté comme un héros ou mis dans une position qui ferait de lui une icône. Pour moi, les autres personnages de photojournalistes mettent celui de Camille en relief. Mais il n’y a pas de jugement. Je n’ai pas de leçon à donner et je ne me permettrais pas d’ailleurs. J’ai beaucoup d’admiration pour cette profession. Ce qui m’intéresse c’est de voir comment Camille, à travers les interrogations des reporters sur leurs images, est ébranlée.

Elle qui, dans les premières scènes du film, est à fond, à vouloir publier, devenir une grande photographe, couvrir des conflits lointains… Tout à coup, elle se prend en pleine gueule ces questions: ce que je fais a-t-il vraiment un sens? Ce que je montre va-t-il réellement rendre service aux gens? Est-ce que je ne fais pas l’inverse de l’idéal que je vise?

Camille avait une conception très noble, un peu à l’ancienne et même naïve, de son métier. Elle mettait la photographie au service des populations. Mais que se passe-t-il quand c’est la population elle-même qui commet les atrocités? J’aime que le spectateur se pose ces questions, même si ce n’est pas confortable.

Le tournage de “Camille” s'est effectué avec une équipe légère pour un film de fiction. Entre 20 et 25 personnes.
© Pyramide Films.
Ce dispositif a permis de garder un maximum de réalisme. Un aspect fondamental pour le réalisateur qui vient du documentaire.
© Pyramide Films.

Comment a réagi la famille de Camille Lepage en apprenant votre projet?

Pour moi, il était évident que je ne ferais pas le film sans avoir leur plein accord. C’est la première chose que j’ai faite: je les ai rencontrés tous les trois, la mère, le père et le frère. J’ai essayé de leur expliquer pourquoi ce n’était pas un fait divers pour moi, mais que je m’intéressais à elle, à sa quête, à son engagement. Quand je suis allé les voir, Camille n’était morte que depuis six mois. Ils m’ont dit qu’ils avaient besoin de temps. Ce n’était pas évident à accepter. Pour Maryvonne, l’idée qu’il y ait un film de fiction où sa fille allait être incarnée par quelqu’un d’autre, avec un autre visage, une autre voix, lui faisait très bizarre et elle n’était pas sûre d’avoir envie de voir ça. Ils en ont beaucoup parlé entre eux. J’ai reçu une réponse trois mois plus tard.

A partir du moment où ils m’ont donné leur accord, ils m’ont fait confiance. Ils ont respecté mon indépendance.

Quelle forme a pris votre collaboration?

Maryvonne a partagé ses contacts avec moi. Ce qui a facilité les choses. J’ai ensuite fait lire à la famille deux ou trois versions du scénario. Ils m’ont dit ce qu’ils en pensaient, m’ont fait part des détails qui leur posaient question. Mais dès le départ, ils étaient plutôt contents du tour que prenaient les choses.

Enfin, je leur ai montré le film à un stade où l’on peut encore faire des changements si nécessaire. C’était un moment chargé. Adrien, le frère, a pleuré pendant la moitié de la projection, Maryvonne n’avait pas dormi depuis une semaine. Aujourd’hui, le film leur plaît beaucoup et je pense qu’ils sont contents de notre parcours commun, emprunt de respect réciproque.

Outre les photos de Camille Lepage, des archives télévisuelles ont également été mêlées au film. Elles offrent parfois le contrechamps des images.
© Pyramide Films.

Votre long-métrage est basé sur des faits réels mais ce n’est pas un documentaire. Qu’est-ce qui fait la différence?

Il y a beaucoup de fiction dans le scénario, aucun personnage secondaire n’est un simple décalque d’un personnage réel. Ni les photographes, ni les Centrafricains. Tous sont fabriqués à partir de bouts de réel, mais j’ai veillé à respecter une triple vérité: celle de Camille, celle du métier de photojournaliste, celle du pays.

Vous avez mêlé les photographies de Camille Lepage au récit.

Je savais déjà avant le tournage qu’il y aurait les photos de Camille dans le film et que ce serait quelque chose de très important. Ça a donné lieu à des contraintes aussi nombreuses que magnifiques, car nous avons choisi de tourner avec un format inhabituel pour le cinéma: celui des photos. Cela donne du réalisme et les décors ont plus de place. Mais c’est également un cadrage plus étroit. La caméra devait donc être plus mobile.

Les photos nous ont aussi guidé pour choisir et recréer les décors et les costumes, les ambiances, notamment lumineuses. Nous nous sommes beaucoup nourris de ses images. Nous avions accès à tout son travail. C’était merveilleux d’avoir toute cette matière!

Au montage, leur intégration a été un énorme enjeu. C’était peut-être le plus difficile de savoir comment les intégrer dans le récit. Trouver le rythme, le style. Nous ne l’avons pas fait de manière systématique. Mais c’était important, primordial même.

CAMILLE Bande Annonce (2019) Drame
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