GerdaTaro, première femme reporter...

Figure importante mais méconnue de la photographie moderne, Gerta Pohorylle, alias Gerda Taro, est au cœur du nouveau livre de Serge Mestre, «Regarder», que publient l'excellente maison d'édition Sabine Wespieser.

Née en 1910 à Stuttgart, la jeune juive nous est révélée dès les premières lignes «reins cambrés, buste parfaitement droit», tenant tête à «l'imbécile» qui vient de la mettre en prison.

Fascinante, cette féministe qui fut la première photo-reporter aura vécu une belle histoire d'amour avec Robert Capa et suscité l'admiration d'Aragon, Neruda ou Giacometti. Un livre passionnant et écrit d'une plume alerte qui dit toute la fascination exercée par Gerda Taro sur le natif de Castres. Rencontre.

Comment avez-vous découvert Gerda Taro ?

Je l'ai découverte il y a pas mal d'années, lorsque je me rendais à une exposition au Centre d'art et de culture juive, à Paris. Je voulais voir les photographies de cette fameuse «valise mexicaine», qui contenait de nombreux négatifs perdus durant la Guerre d'Espagne. Je voulais voir des portraits de Gabriel Garcia Lorca, sur lequel j'écrivais un livre. J'ai découvert des photographies de Robert Capa, mais aussi de Gerda Taro. Je me suis dit : «Il faut à tout prix écrire sur cette femme !»

Une femme à la personnalité hors du commun, qui fascinait tous ceux qui la rencontrait...

Tout à fait. Son parcours, depuis la seconde guerre mondiale, qu'elle a sentie venir, son emprisonnement, sa belle histoire d'amour avec Robert Capa...

Elle «invente» Capa, n'est-ce pas ?

D'une certaine façon, oui, mais n'enlevons pas un grand photographe ses mérites ! Elle lui trouve ce pseudonyme qui fait plus «reporter américain» que Endre Erno Friedmann, elle légende ses photos – ce qu'il ne faisait pas -, elle le fait entrer dans son agence Alliance-Photo. Après, lui aussi lui a enseigné beaucoup de choses sur l'art photographique...

C'est une féministe féroce et déterminée !

Oui, les années 30 sont de grandes années pour les femmes – je pense aux Suffragettes – et, si Capa et elle étaient en osmose, elle a toujours gardé sa personnalité à elle. Si elle voyait passer un garçon qui lui plaisait, elle ne se gênait pas... comme les hommes !

Capa va, avec ses reportages sur la Guerre d'Espagne, accéder à une reconnaissance mondiale – Gerda restera dans l'ombre...

Elle a tout de même publié ses photographies, mais c'est vrai. Elle est bien plus radicale que Capa, qui estime que la photographie de reportage doit être objective. Pas question pour Gerda : la photo doit être au cœur de la bataille et prendre parti. Cette femme prend tous les risques.

Jusqu'à cette mort absurde, à 26 ans...

Oui : alors qu'elle bat retraite avec les combattants républicains, elle se tient sur le marchepied de la voiture car il n'y a plus de place à l'intérieur du véhicule, bascule et tombe, et un char lui roule dessus. Elle mourra quelques heures plus tard, à Madrid. Une mort atroce et absurde... qui ajoute au mythe.

Rencontre avec Serge Mestre samedi 9 février de 18h à 20h à l'espace rencontre de la librairie Ombres Blanches (3, rue Mirepoix). Dernier livre paru : «Regarder» (Sabine Wespieser Editeur, 224 pages, 19€)