La photographe iranienne Newsha Tavakolian fait plier Edouard Carmignac

Elle avait dénoncé les méthodes du mécène de la fondation Carmignac et refusé son prix. La polémique aura eu raison des exigences du financier.

Par Luc Desbenoit

Publié le 01 octobre 2014 à 11h37

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h19

Qui l’aurait cru ? La photographe iranienne Newsha Tavokolian qui s’opposait violemment au financier Edouard Carmignac a finalement eu gain de cause : la reporter, lauréate de la 5e édition du prix Carmignac Gestion du photojournalisme sera finalement exposée à Paris et son livre publié. Elle a contraint la fondation à revoir ses règles du jeu. Retour sur un bras de fer entre un homme influent et une femme de 33 ans qui n’a pas froid aux yeux.

Début septembre, la fondation Carmignac renonce à présenter les photos à Paris de sa jeune lauréate. Raison invoquée ? Elle et sa famille seraient menacées par les autorités de Téhéran. Précisement en raison du travail qu’elle mène sur la jeunesse iranienne. Faux ! contre-attaque la photographe, assurant ne faire l’objet d’aucune pression. D’abord sur sa page Facebook, puis dans une longue lettre adressée à la presse, elle se dit « dégoutée » par les méthodes de M. Carmignac, dirigeant d’un fonds de gestion. Celui-ci veut sélectionner ses images, en écrire les légendes, et appeler l’exposition « La génération perdue » alors que la jeune femme souhaite un intitulé plus en rapport avec la subtilité de son travail : « Les pages blanches d’un album de photo iranien.» « Ma liberté artistique et mon intégrité ne sont pas à vendre », explique-t-elle en renvoyant la coquette bourse de 50 000 euros allouée par la fondation.

M. Carmignac croit d’abord qu’il peut étouffer la polémique. C’est sans compter sur les réseaux sociaux et la personnalité de l’Iranienne. Newsha Tavalokian est connue pour son courage. Elle a photographié deux conflits au risque de sa vie, en Irak et en Syrie. Elle brave chez elle, en Iran, les règles de la censure. Et elle tient la dragée haute à un influent financier de la place Vendôme ! Au fur et à mesure que la polémique enfle, M. Carmignac apparait sous son vrai jour, en mécène autoritaire, faisant régulièrement pression sur les lauréats de son prix créé en 2009. Une sacrée contradiction. L’objet de son action en faveur des photojournalistes n’est-elle pas de défendre « les droits humains et la liberté d’expression » dans tous les pays de la planète où ils sont bafoués ? Ne fallait-il pas commencer à respecter la liberté d’expression de ses propres lauréats ? D’autant que ce prix est chaque année désigné par un jury de professionnels indépendants, qui se considérant déjugé par l’interventionnisme de M. Carmignac, menaçe de publier un communiqué. La crédibilité et la pérénité de la Fondation sont sérieusement remises en cause... Qui voudra désormais accepter de siéger pour elle ?

Il a donc fallu faire marche arrière toute. Lundi 22 septembre, la fondation Carmignac décide de réunir les membres du jury. « M. Carmignac était présent, raconte M. Ivan Monène, son directeur de la communication. Les échanges ont été très francs, ce n’était pas une réunion diplomatique...» On connaît le tempérament explosif du financier, et si l’on sait lire entre les lignes, il n’a pas dû accepter facilement la proposition de bon sens pour redonner de la crédibilité à son prix : accepter de s’effacer, et ne plus considérer les photojournalistes à ses ordres. Mais rendons lui ce qui lui revient. Il aurait pu refuser de continuer à jouer les mécènes. Il a préféré reconnaître ses erreurs.

La solution trouvée ? Désormais le président du jury, qui change chaque année, sera également le commissaire de l’exposition et de l’ouvrage consacré chaque année au travail du lauréat. Newsha Tavakolian vient d’accepter de présenter ses photos à Paris. A quelle date ? La Fondation n’était pas encore en mesure de le préciser. La photographe se réjouit de cet épilogue. « Je remercie tous ceux qui ont défendu la liberté artistique, qui ne doit pas être qu’un simple slogan...», écrit-elle sobrement. Certaines victoires se dégustent discrètement.

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus