Interview du photographe Xavier Lambours

Depuis près de quarante ans, Xavier Lambours a photographié tout ce que le monde du cinéma compte de célébrités. Ses portraits abrupts de François Truffaut, d’Orson Welles ou de Robert de Niro, entre mille autres, éloignés du glamour et des paillettes, sont entrés dans les mémoires. Pourtant le travail de ce photographe ne se résume pas aux seules stars du grand écran. Ce qu’aime avant tout Xavier Lambours, c’est expérimenter, chercher, diversifier ses sujets, ses formats d’images, ses techniques, mêlant argentique et numérique, couleur et noir et blanc. En laissant toujours une place au hasard ou à l’imprévu. Un travail d’artiste somme toute. Et le panoramique n'est, chez lui, pas marginal puisque plusieurs de ses livres, Cinéma, Vélolavie et Le Rungis de Lambours, accordent une large place à ce format d’image.

Portrait panoramique de David Lynch en 2007 pris par Xavier Lambours
David Lynch, 2007 © Xavier Lambours

Depuis le début des années 1980, vous avez régulièrement photographié le monde du cinéma en noir et blanc, au format carré puis en panoramique, pour quelles raisons ? S'agit-il de la proximité avec l’image cinématographique ?
J’aime beaucoup le cinéma. En ce moment je vais régulièrement à la Cinémathèque voir des rétrospectives et quand il y a des grands films en Scope ou en Panavision, je me régale, j’adore le format panoramique. J’aime beaucoup aussi le format carré ou à peine plus large des débuts du cinéma. Par rapport à la photo, je vois le panoramique un peu comme un double carré. Comme si le carré correspondait à la vue d’un seul œil et le panoramique à la vue des deux yeux. Quand on photographie en carré on est focalisé différemment que lorsqu’on photographie en panoramique. Dans ce cas on intègre dans l’espace beaucoup plus d’éléments qui doivent être aussi bien contrôlés que dans un cadrage serré. Le format long correspond, parfois, à l’étendue que je souhaite photographier, c’est pour ça que je l’utilise. Pour moi le panoramique ce n’est pas tant l’idée du paysage que celle de l’ambiance dans laquelle je veux mettre le spectateur ou le lecteur.

Y a-t-il selon vous une difficulté à travailler en panoramique par rapport à des formats plus carrés ?
Non, je pense que c’est une autre partition. C’est comme passer d’un instrument à l’autre pour exprimer des sentiments différents. J’aime bien m’amuser avec la photo, utiliser des angles ou des formats variés. À une époque à Cannes, pendant la Quinzaine des réalisateurs, je travaillais à la chambre, avec une vieille Speed Graphic, la même que Weegee. J’avais mon voile sur la tête et ce qui était intéressant, c’est que les gens posaient différemment que si j’avais eu un 24x36. Il y avait une forme de respect de me voir travailler comme ça. Récemment, j’ai photographié le sommelier Antoine Pétrus avec un Canon et mon Hasselblad que j’ai ressorti pour l’occasion. J’ai trouvé qu’il posait différemment quand j’ai utilisé l’Hasselblad. Et en regardant la planche-contact, c’est vrai qu’il se passe un truc sur ces photos. L’appareil impressionne...

Couverture de l'ouvrage Cinéma de Xavier Lambours
Cinéma, Intervalles, 2007
Vous avez utilisé le format panoramique pour du portrait, ce qui n’est pas l’usage le plus courant.
Mes portraits au panoramique sont nés lorsque j’ai mis de la pellicule 24x36 dans un moyen format. Au départ, par accident, je n’avais pas mis de protection pour éviter d’avoir les perforations et comme la pellicule se balade dans l’espace du boîtier, les perforations sont apparues. J’ai trouvé ça intéressant, l’image continue au-delà des trous et donc on peut obtenir des choses un peu étranges surtout lorsqu’on cadre de près. Il y a même eu une appli pour smartphone pour faire cet effet. J’aurais dû déposer un brevet !
En fait j’aime bien les aventures photographiques, j’aime bien ce qui est un un peu accidentel ou à risques. Quand je faisais mes portraits avec les perforations, ma visée n’était pas panoramique, j’avais juste un tout petit repère sur le côté qui m’indiquait les limites en haut et en bas de l’image. Ça m’amuse d’être un peu en difficulté sans être totalement sûr de ce que je vais obtenir et d’avoir des surprises. Par exemple, à une époque, j’ai fait des photos au Panox. Quand l’optique tournait, à vitesse lente on avait le temps de courir et d’être plusieurs fois sur la photo ou alors de faire bouger la personne qu’on photographiait pour provoquer des déformations.

Couverture de l'ouvrage Vélolavie de Xavier Lambours
Vélolavie
Filipacchi, 2004
Couverture de l'ouvrage Le Rungis de Lambours de Xavier Lambours
Le Rungis de Lambours
Les Éditions du Bottin Gourmand, 1999










Dans des contextes très différents de l’univers cinématographique, celui du vélo pour Vélolavie et le marché de Rungis pour Le Rungis de Lambours, vous avez également travaillé en panoramique.
Pour Vélolavie, l’idée c’était de choisir des lieux qui me plaisaient. Je connaissais les parcours que je faisais à pied, à moto ou en voiture. Au moment de la course, je cadrais le paysage car je voulais montrer le nord dont je suis originaire et j’attendais que les vélos passent ou qu’il y ait du monde pour faire les photos. Finalement il y a pas mal de photos qui fonctionnent sans les personnes même si évidemment c’est mieux avec. Et pour la couverture, on a une photo en deux parties qui fonctionnent indépendamment l’une de l’autre. Ça illustre bien ce que je disais sur le double carré ou plutôt le double 6x7.

Photographie panoramique de Xavier Lambours de cyclistes dans le Nord
© Xavier Lambours

Pour Rungis, je suis resté en noir et blanc avec différents formats mais une majorité de panoramiques que j’ai faits au XPan. On a des ambiances, avec des personnages, un peu sombres et des natures mortes. Il y aussi une photo de séance de maquillage avec Victoria Abril que je photographiais alors pour Vuitton et que j’avais emmenée à Rungis. Elle était habillée avec une robe en sardines fraîches...

Photographie panoramique de Xavier Lambours d'une fête à la volaille à Rungis
Fête à la volaille à Rungis © Xavier Lambours

Pour Vélolavie vous avez opté pour la couleur...
Pour Vélolavie, je pensais au départ travailler en noir et blanc. J’ai toujours eu un peu peur de la couleur alors que j’adore ça, en particulier au cinéma. J’ai commencé les photos sur le vélo avec un vieux film couleur qui restait dans l’appareil et que j’ai terminé à ce moment. Je l’ai fait développer et d’un seul coup, en voyant les lumières du nord, j’ai trouvé ça magnifique. En même temps, je me suis rendu compte que traiter à nouveau le nord en noir et blanc, avec le charbon, les mineurs, ça m’intéressait moins. Je suis alors devenu coloriste. La plus belle critique que j’ai eue, je la dois à Jean-Louis Le Touzet dans Libération qui avait fait un article sur mon livre : il avait écrit « un coloriste est né ». Et ça, ça m’avait vachement touché parce qu’il y avait eu une reconnaissance de mon travail en couleurs alors qu’on me connaissait plutôt pour mes portraits en noir et blanc. Dans ce travail sur le vélo, on s’approche de la peinture je trouve et la couverture du livre, c’est un peu du Hopper pour moi.

Reportage sur Vichy de Xavier Lambours dans le Géo n° 424
Reportage sur Vichy dans le Géo n° 424 (juin 2014)

Continuez-vous à pratiquer le panoramique en numérique ?
Oui, récemment j’ai commencé à travailler avec le Fuji GFX mais je ne suis pas encore totalement à l’aise avec. Pour le magazine Géo j’avais aussi fait des images panoramiques par balayage à l’iPhone dans la ville de Vichy. Avec les assemblages on a parfois des trucs qui partent un peu dans tous les sens, mais j’aime bien. Je ne l’ai jamais fait mais je trouve ça super.

Quels sont vos projets ?
Là, je suis sur un gros projet dans le Valais en Suisse chez des vignerons. C’est une région magnifique, très encaissée, avec des vignes à flanc. Je l’ai découverte il y a trois ans et je m’étais dit que j’aimerais faire quelque chose là-bas. J’ai fait une première série sur des ceps, au très grand angle, en 24x36. On se croirait dans une danse des morts à la Tim Burton. Je vais y retourner avant les vendanges pour travailler sur les grappes et puis plus tard en hiver, quand c’est enneigé, c’est sublime. Je ferai certainement une série à la chambre, avec des vieux polaroids que j’ai encore ou des Ektas archi-périmés. On verra ce que ça donne, ce sera la surprise. Il y aura un mélange de formats, de l’argentique en 24x36, du numérique avec le Fuji, de la chambre. On fera une exposition à Saillon et un catalogue en 2020. Et puis je me suis lié d’amitié avec Gérard Raymond, un grand vigneron du Valais qui est lui-même photographe amateur. Je l’accompagne un peu pour l’aider à travailler ses fichiers autrement, pour aller plus loin dans le traitement. On va exposer ensemble : un vigneron photographe et un photographe buveur !

Propos recueillis le 30 mai 2018.

Retrouvez les images et l'actualité de Xavier Lambours sur son site ainsi que celui de Signatures, maison de photographes.

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