Comment Valéry Hache, photographe à Nice pour l'AFP, a couvert l'attentat

Il était l'un des premiers journalistes sur place. Le photographe de l'AFP Valéry Hache, basé à Nice, raconte cette nuit qui a basculé dans l'horreur, alors qu'il allait prendre le feu d'artifice en photo...

Par Caroline Besse

Publié le 15 juillet 2016 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h52

Partir travailler sur le feu d'artifice du 14 juillet et revenir avec une photo digne d'une scène de guerre à la une de la presse nationale : c'est ce qui est arrivé au photographe de l'AFP, Valery Hache, basé à Nice. Pendant plusieurs heures, cette nuit, il a parcouru les rues aux alentours de la Promenade des Anglais à la recherche d'informations, le cœur de son métier de photojournaliste. Après avoir dormi deux heures à peine, il raconte cette nuit d'horreur, où il a fallu garder la tête froide pour envoyer de bonnes photos à temps.

« Je venais juste de terminer de couvrir l'Euro. On était tous contents, parce que de fortes rumeurs d'attentats avaient circulé, avant la demi-finale à Marseille notamment. Donc, comme tout s'est bien déroulé, nous étions tous soulagés. Je suis rentré mardi à Nice. Hier [jeudi 14] soir, j'avais envie de faire des photos du feu d'artifice. Je suis allé en hauteur, sur le Mont Boron. Le temps était instable. J'ai réussi à avoir une photo avec un éclair, ça rend toujours bien, une photo de feu d'artifice avec un éclair.

Je suis rentré chez moi, et dix minutes après, j'ai commencé à entendre énormément de sirènes de police, de pompiers. Il était environ 22h30, le feu d'artifice venait de se terminer. Je me suis dit qu'il se passait quelque chose d'anormal. Ça me turlupinait. J'ai donc décidé de repartir en moto. Je voyais des pompiers arriver depuis Monaco. Je pensais alors à un accident, je me suis dit qu'il y avait eu un très gros carton quelque part.

J'arrive place Massena [l'une des places principales de Nice, ndlr], et je vois des dizaines de policiers, de militaires, armés, le fusil au poing ! Les gens couraient dans tous les sens, c'était la panique. Certains criaient “il y a des terroristes à Nice qui tirent !”. 

Je parviens à me rapprocher de la Promenade des Anglais à moto, et j'aperçois le camion. Je me dis encore qu'il s'agit d'un accident. A ce moment-là, on ne savait rien. Je trouve un angle, et grâce à mon téléobjectif, je découvre les impacts de balles sur le pare-brise. Là, je commence à comprendre... Je croise des confrères, d'autres journalistes... Je préviens mes chefs, mais à ce stade, même si l'on sait qu'il se passe quelque chose de très grave, on est encore sûrs de rien, et on reste très prudents. Avec le terrorisme, on s'attend toujours à quelque chose qui a déjà été fait. On a pensé aux tirs dans les fan zones pendant l'Euro, mais ça, non...

Je contourne la Prom', je vois des gens courir, des gens qui s'embrassent, des gens qui pleurent... Il est environ 22h45. Je vois un cadavre par terre, je prends la photo en faisant en sorte qu'on ne voit pas sa tête. Je fais une photo “propre”. A l'AFP, nous avons une charte. On ne prend pas de photos de victimes qui puissent être reconnues. C'est notre déontologie. L'essentiel pour nous, c'est de donner une information.

Ce soir-là, j'ai pris peu de photos : environ 200, pour 40 éditées.

J'ai envoyé mes photos tout de suite après les avoir prises, sans les recadrer, les éclairer ou les trafiquer, en les transmettant directement depuis mon boîtier à l'aide d'une clé wifi.  Je sais que les journaux sont en bouclage, et il faut faire vite, mais le réseau est saturé. J'ai mis environ vingt minutes à transmettre vingt photos !

Je suis satisfait de la photo que j'ai prise du camion, qui a été reprise à la une du Figaro et du Parisien, car c'est de l'info. Je voulais une photo du camion avec des policiers, des pompiers, le Negresco, des palmiers. Qu'on situe l'endroit. Situer, c'est très important. Ce qui me guide, c'est l'info. Sans sombrer dans du sensationnel facile.
Ensuite, ce sont nos rédacteurs en chef qui valident. Parfois, sur certaines photos, ils freinent. Par exemple, on ne publiera jamais la photo d'une vieille dame renversée par une moto pendant le Tour de France, alors qu'on l'a. Sur l'attaque à Nice, je n'ai pas vu ce qu'avaient fait les autres photographes, mais je ne regarde jamais ce que fait la concurrence.

Aux alentours d'une heure du matin, il était de plus en plus difficile de travailler, la police nous virait.  Le point presse a lieu à quatre heures du matin. 

Aujourd'hui, on attend l'arrivée de François Hollande. On m'a envoyé du renfort : deux photographes de Marseille, et un de Milan. Ce soir, je devais faire le concert de Rihanna, mais il a été annulé. Je pense qu'on va travailler encore une semaine sur cet attentat... »

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