La France libertine vue de l’intérieur
Toutes les photos, sauf mention contraire, sont de Laurent Benaim. 

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La France libertine vue de l’intérieur

Le photographe Laurent Benaim a passé 20 ans à documenter la beauté et le grotesque de l'Hexagone échangiste.

Au centre du salon de Laurent Benaim est suspendu l'un de ses clichés les plus récents. Celui-ci montre une femme, Berlinoise, le dernier modèle fétiche en date du photographe. Elle a les cuisses sanglées et un écarteur médical enfoncé dans le vagin. D'autres grandes feuilles de papier Canson trempent et sèchent dans un coin de la pièce, suivant le processus de traitement nécessaire au tirage à la gomme arabique. Laurent Benaim est un grand gars un peu impressionnant, au regard doux. Il m'accueille avec un jus d'orange et commence à parler de photo avant même que mon dictaphone ne soit allumé.

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Cela fait plus de 20 ans que Laurent Benaim documente les sexualités humaines. Il les met en scène, les déconstruit, les tourne en dérision, les sublime. Le résultat est contenu dans une multitude de clichés monochromes aux teintes métalliques, surréels, pervers et naïfs. On y retrouve des gens seuls, des couples, des orgies baroques célébrant l'utilisation du corps humain à des fins ludiques et obscènes.

Laurent Benaim. Photo de l'auteur

Le public de Laurent Benaim est issu des milieux dits alternatifs. Il s'agit souvent de « ringards », fatigués par l'exhibition sociale des soirées BDSM et fetish parisiennes. Ceux qui aiment le cul guilleret et décadent. Et pour ce public hétéroclite, Laurent a participé à la publication de trois recueils ainsi qu'à une bonne dizaine d'expositions dont il a souvent évité les vernissages, pour leur « préférer le calme des jours suivants ». Pour parler de son projet en revanche, il n'est pas timide.

VICE : Comment as-tu débuté tes travaux autour de la scène libertine ?
Laurent Banaim : À l'origine, je photographiais principalement des gens seuls, des amis. Puis un jour, au tout début des sites de cul échangistes sur le Net, j'ai laissé une annonce traîner. Je m'y présentais comme photographe. Un couple m'a contacté pour faire des photos, et la séance m'a tellement éclaté, j'ai trouvé ça tellement plus intéressant d'avoir deux corps, deux volumes, deux intensités, que je me suis dit : « Qu'est-ce que je me fais chier avec une personne seule. Il faut que je photographie du cul ! »

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Comment se déroule une séance, généralement ?
La séance idéale commence par un coup à boire. Les gens viennent en couple, et on discute. Ils me disent par exemple : « Nous, ce qu'on aime bien, c'est se pisser dessus, nous enfoncer des clous, etc. ». Ils me parlent de leurs envies, de leur quotidien sexuel. Entendre ça, c'est jubilatoire. Rien que ça, c'est super-kiffant, j'adore que les gens se dévoilent. À la suite de quoi on réfléchit, on contextualise, on met en scène – on trouve les scénarios ensemble.

Ces derniers temps en revanche, je lèche de plus en plus ma mise en scène pour obtenir un résultat qui m'intéresse, moi. J'aime prendre les codes du BDSM, du libertinage, et les détourner pour en faire quelque chose de drôle, d'absurde.

Pourquoi te sers-tu de ce processus de tirage à la gomme arabique ?
Eh bien, parce que je n'aime pas la photo. Le procédé photographique, son côté réel ne m'intéresse pas. J'ai toujours essayé de péter le négatif. J'aime le rayer, le mettre dans du sel, au congélateur, j'aime le couvrir de produits chimiques, de javel, de l'enterrer dans des pots de fleurs pour que les racines poussent dans la gélatine. Du coup, quand je suis tombé sur un bouquin de 1850 qui parlait de ladite gomme, c'est devenu mon livre de chevet. J'ai tout de suite essayé. J'ai commencé par des portraits anthropologiques lors de mon service en Afrique, avant de passer au reste. Le but n'est jamais d'altérer la patate érotique du cliché – juste de l'habiller.

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J'ai remarqué qu'on voyait assez peu d'homosexualité masculine dans tes travaux.
Exact. C'est vrai que je n'en ai pas fait des masses. J'avais fait des photos magnifiques avec un pote danseur d'opéra, puis une partouze gay durant laquelle j'avais laissé faire les choses, sans interrompre. C'était sympa, mais je n'ai pas trouvé d'angle pour le traiter. Au final, ça s'est résumé à des couples qui ne s'entendaient pas sur ce qu'ils voulaient faire, ou des partenaires jaloux. C'est marrant, parce que le cliché veut que les gays soient toujours chauds, toujours dans le délire, mais c'est souvent resté très classique.

C'est peut-être moi qui ne sais pas le traiter, notamment parce que ce n'est pas ma sexualité… Mais d'un autre côté, les gens qui s'attachent au plafond avec des crochets, ce n'est pas mon truc non plus – et je gère bien, pourtant. Je crois que c'est surtout une question de réseaux. Peut-être que c'est tout ce que je ferai cette année, des mecs. Ça me ferait plaisir.

Donc ta sexualité n'apparaît pas dans tes boulots.
Pas dans mes photos, non. Pas du tout. Peut-être dans mes façons de cadrer, sur les parties du corps qui me parlent le plus, les jambes, les pieds, etc. Mais je ne parle jamais de mes fantasmes dans mon projet.

La première fois qu'on m'a dit « Tiens, je vais fister ma partenaire », j'étais scotché. Je pensais que ça allait être dégueulasse. Et puis quand je l'ai vu, j'ai trouvé ça d'une beauté incroyable.

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En vingt ans de boulot, j'imagine que tu as dû apprendre des choses intéressantes sur la vie sexuelle des Français ?
Beaucoup ! Quand j'ai commencé à bosser là-dessus, je ne connaissais rien au milieu libertin. Pour moi, ces gens étaient des OVNIS. La première fois qu'on m'a dit « Tiens, je vais fister ma partenaire », j'étais scotché. Je pensais que ça allait être dégueulasse. Et puis quand je l'ai vu, j'ai trouvé ça d'une beauté incroyable. J'étais réellement surpris. À l'origine, je n'étais pas de ce milieu, du tout, et c'est à travers mon boulot que j'ai découvert tout ça.

As-tu retenu certains moments plus étranges, étonnants que d'autres ?
Je ne compte plus les moments incroyables, magiques. L'un d'entre eux m'a particulièrement marqué, mais je n'en ai pris que des photos inutilisables. Une femme m'a appelé pour me dire qu'elle voulait « marquer son mec ». Au fer rouge. Et que cela soit photographié. Ça m'a coupé le souffle. J'étais vert de peur, mais j'ai accepté. On était trois dans le studio à observer la scène : une amie de passage, un pote cameraman journaliste de guerre, et moi. Le type s'est pris une centaine de coups de fouet avant de se faire marquer le cul au fer, ce qui n'est pas de la tarte. Lorsqu'elle l'a détaché, ils sont tombés dans les bras l'un de l'autre, et ont pleuré en se vouant un amour éternel, absolu. On était comme dans un mariage à l'échange des vœux, c'était une émotion folle. C'était de l'amour brut. On a tous chialé comme des gosses.

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Est-ce que tu poses une limite à ce que tu as le droit de photographier ?
Ouais. La limite que les gens posent eux-mêmes lorsqu'ils ne sont pas d'accord.

Le consentement de base, donc.
Oui, et c'est parfois compliqué, d'où l'intérêt des réunions avant le shooting. Un ami m'a une fois ramené un couple pour une partie à trois, et l'un des partenaires était complètement sous l'emprise de l'autre. On parle beaucoup de pervers narcissiques, mais je suis tombé, je crois, sur un vrai de vrai cette fois-ci. Lobotomisation en règle. Le consentement était mou, pas enthousiaste, soumis… Ce n'était pas acceptable. J'arrête là généralement, je ne peux pas travailler comme ça. Il faut de l'appétit, que ça vibre. C'est tout.

Quels sont tes projets futurs ?
Je vais me balader un peu. M'installer à gauche à droite pendant quelques mois, à commencer par Liège, en Belgique, histoire de photographier de nouvelles têtes. Je me suis déniché un vieux local un peu vétuste à squatter comme un adolescent. Ça va être bien.

Merci, Laurent.

François est sur Twitter.