Publicité

Quand Instagram fragilise les jeunes filles

Instagram et l'image de soi
Aux États-Unis, 13% des patientes en chirurgie esthétique se plaignent de leur image sur les réseaux sociaux. Photo Thinkstock

Tout n'est pas rose dans l'univers pastel du réseau photo Instagram. Les adolescentes s'y exposent en espérant récolter des « likes ». Mais se voient vite fragilisées par cette course incessante à la popularité. Au point d'avoir recours à la chirurgie esthétique pour améliorer leur image.

"Thomas aime votre photo." "Sabrina aime votre photo." Les notifications défilent sur le smartphone, et notre sourire s'illumine. Et pour cause, le selfie posté quelques minutes auparavant sur Instagram a nécessité certains efforts. Pose avantageuse, lèvres pulpeuses, cheveux faussement décoiffés, cette photo nous donne une allure folle et il serait dommage de ne pas l'exposer aux yeux de nos abonnés. Lancée en 2010, l'application a changé notre mode de communication basé, dans ce cas précis, sur des photographies. Elle permet de partager des clichés, de signaler qu'on les aime et de commenter ceux des autres. À coups de filtres et de recadrages, Instagram lisse les défauts et perfectionne nos images.

C'est devenu l'outil indispensable de tout addict du smartphone. Car depuis l'avènement des réseaux, notre profil sur les différentes plateformes est devenu notre carte d'identité numérique. Et à l'âge ingrat qu'est l'adolescence, l'estime de soi est forcément mise à l'épreuve sur les réseaux sociaux. "Les jeunes passent leur temps à changer de photo, de biographie, de statut... bref, à se mettre en scène devant les autres. Les plateformes surfent sur ce besoin de reconnaissance, au moment où ils se détachent de leur famille pour se former au contact des autres", explique Divina Frau-Meigs, sociologue des médias et professeur à l'iniversité Paris-III. " Dans un monde basé sur l'attention, cela fragilise certaines personnes si elles ne savent pas utiliser les réseaux pour se mettre en valeur. L'Internet a tendance à être un accélérateur et un amplificateur. Trop de connectivité peut nuire gravement à la santé des individus déjà fragiles."

Savoir directement qui nous aime

Si Facebook et Twitter règnent encore chez les plus jeunes, Instagram semble s'imposer chez les ados. Aux États-Unis, une étude publiée en novembre indique que l'application est la plus populaire chez les "teens " férus de réseaux sociaux. Instagram s'est taillée une place de choix au sein de cette génération. Mais cette place s'avère peut-être un peu démesurée chez les filles, où " Instagram est la reine du bal de promo en ce moment ", selon l'auteure américaine Rachel Simmons. Le service de partage de photos est devenu une immense cour de récréation, dans laquelle les adolescentes testent leur popularité. Il intervient comme un moyen de savoir directement ce que ses amis pensent de soi. Qui nous aime, et à quel point ils nous aiment.

Pour le site américain Quartz , l'application ruinerait même leur estime d'elles-mêmes. "Parcourir les réseaux sociaux toute la journée peut-être préjudiciable au bien-être." Car cela renforce la fébrilité. L'impression que la vie des autres est toujours magnifique... et la sienne, banale. "Instagram amplifie ces émotions négatives car l'application repose sur l'apparence. Les mots ne peuvent pas compenser ou diversifier les relations. On est dans le "like" un point c'est tout", note Quartz. D'autant que les photos parlent d'elles-mêmes. " Vous obtenez autant d'indications (…) sur le bonheur, la richesse et la réussite de quelqu'un d'après une photo, que dans une mise à jour de statut ", confie Hanna Krasnova de l'université Humboldt de Berlin dans Slate.

L'indispensable publication de selfies sur Instagram est, en ce sens, un bon baromètre de popularité, mais à double tranchant. Car avoir moins de " likes" sur une photo que sur d'autres, ou au pire n'en obtenir aucun, peut apparaître comme une forme de rejet social, accentué par le Fomo (" Fear of missing out "). Cette angoisse de rater quelque chose est induite par les réseaux sociaux qui proposent toujours plus d'informations et d'événements en tout genre. Des petits dilemmes de la vie amplifiés avec le Web, et qui fragilisent les utilisateurs juniors. "Le jeune est de plus en plus isolé face aux réseaux, et doit construire, seul, son autonomie. Cette autonomisation augmente avec l'absence d'accompagnement parental et scolaire face aux médias, alors que les usages encouragent les jeunes à être plus présents, et donc à prendre toujours plus de risques ", estime Divina Frau-Meigs.

La chirurgie esthétique au secours

Plus inquiétant encore, l'application remettrait en question le regard que portent les filles sur leur corps. Une étude menée cette année par The American Academy of Facial Plastic and Reconstructive Surgery révèle que les applications telles qu'Instagram sont en partie responsables de l'augmentation du nombre d'opérations esthétiques chez les jeunes femmes. Près de 15 % des praticiens ont affirmé que les patients qui souhaitent passer sous le bistouri le faisaient parce qu'ils ne supportaient plus leur apparence physique sur Facebook, Instagram ou Snapchat. La majorité de ces patients étant des adolescentes. "Les jeunes éprouvent des "paniques scopiques", associées à l'acte de regarder et d'être regardé : ils sont inquiets de l'image qu'ils projettent d'eux-mêmes dans les médias, et que les médias leurs renvoient en retour. Le cas des jeunes Américaines s'inscrit dans cette logique ", précise Divina Frau-Meigs.

Aux États-Unis, on compte 35 millions d'utilisateurs actifs sur Instagram, contre 4 millions chez nous. Si la majorité des études se concentrent sur le territoire américain, la France n'est pas à l'abri de telles dérives chez les adolescentes. "Aussi déplorable que cela puisse paraître, il y a très peu de recherches chez nous sur ces questions. Cela met d'autant plus la responsabilité sur l'éducation aux médias et à l'information ", juge la sociologue. " Les jeunes ont besoin de comprendre les rouages des plateformes, les mécanismes économiques qui les motivent, les modes de contournement… donc il faut continuer d'étendre cette éducation à la maîtrise de la présence sociale en ligne, qui seule permet de construire une identité numérique assumée. "

À lire aussi :

Rondes, imparfaites, les femmes s'exposent au naturel sur le Net
Fomo, un vrai mal ?

Quand Instagram fragilise les jeunes filles

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
8 commentaires
    À lire aussi