Les choses semblaient pourtant avoir été bien gérées. Après avoir eu connaissance d’une accusation de harcèlement à l’encontre de l’un de ses membres – déjà mis en cause pour une reportage sur des prostituées mineures en Thaïlande, l’agence photo Magnum avait suspendu photographe David Alan Harvey. Le temps pour la célèbre institution créée par Robert Capa et Henri Cartier-Bresson de mener des investigations en interne. Le 28 octobre, après deux mois d’enquête, la direction avait annoncé la suspension pendant un an du photographe, pour « une violation du code de conduite et de ses règlements ». Une sanction jugée « appropriée », jusqu’aux révélations de « Columbia Journalisme Review », le 21 décembre.

L’arbre qui cache la forêt

Selon l’enquête menée par la revue de l’école de journalisme de l'université Columbia, la conduite inappropriée du photographe américain va bien au-delà du seul cas relevé par l’agence photo. Avances sexuelles, pressions pour poser nue, séances de masturbation lors d’appels vidéo, publication de photos sur les réseaux sociaux sans l’accord du modèle, gestes violents… La liste des comportements problématiques de David Alan Harvey mentionnés par la journaliste Kristen Chick est longue.

Au total, onze femmes ont accepté de lui raconter, parfois anonymement, leur tragique collaboration avec le photographe. Elles expliquent que David Alan Harvey ciblait principalement des jeunes femmes non blanches, qui n’étaient pas américaines. Il jouait de sa position et de son influence en promettant un poste de mentor ou une publication dans « Burn », une revue qu’il dirigeait. L’article extrêmement détaillé du CJR retrace près de treize années de comportements abusifs et de de la part du photographe aujourd’hui âgé de 76 ans.

Magnum regrette les limites de son enquête

Ces révélations ont de quoi interroger la portée de l’enquête interne. Sollicitée par « Libération », la présidente générale de Magnum Photos, Caitlin Hughes, réaffirme pourtant avoir pris avec sérieux les faits reprochés à David Alan Harvey. Mais le recrutement d’une enquêteuse expérimentée, de trois groupes d’avocats et la mise en place d’une plateforme sécurisée pour permettre aux victimes de témoigner ont visiblement montré leurs limites. Depuis août, aucune femme ne s’est rapprochée de la direction.

Dans un communiqué publié le 23 décembre, l’agence souligne qu'elle n'a travaillé sur le cas dénoncé et regrette de ne pas avoir eu d'autres informations. « Nous reconnaissons qu’il est difficile de s’exprimer et que la société ne croit pas toujours les femmes. Bien que nous soyons attristés que ces personnes ne se soient pas senties capables de venir nous voir, nous reconnaissons leur courage de s’être confiées à un tiers. » Grâce au travail de journaliste Kristen Ckick, l’agence de photo dispose désormais d’une dizaine de témoignages. Reste à voir si Magnum va durcir sa sanction à l’égard de David Alan Harvey.