Sur les pas de Vivian Maier, "espionne" et photographe de génie

Un jeune Américain a tiré de l'anonymat une oeuvre extraordinaire, gardée secrète par son auteur. Elle est aujourd'hui exposée à Paris.

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A gauche : New York, NY, n.d. A droite : Untitled, Self-portrait, n.d.
A gauche : New York, NY, n.d. A droite : Untitled, Self-portrait, n.d. © © Vivian Maier / Maloof Collection, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York / Les Douches La Galerie, Paris

Temps de lecture : 5 min

De son apparence, on connaît ce que ses autoportraits montrent : un visage qui ne sourit guère, aux yeux sévères à force de concentration ; des cheveux coupés courts, souvent cachés par un chapeau ; l'élégance stricte d'une gouvernante de bonne famille. Gouvernante, c'est précisément le métier que Vivian Maier a exercé pendant près de cinquante ans, dans des foyers bourgeois de New York puis de Chicago. Un métier, ou une couverture : Vivian Maier était surtout une extraordinaire photographe qui a passé sa vie à arpenter les rues, Rolleiflex autour du cou - sans jamais montrer à personne le fruit de son travail. Celui-ci, entre 100 000 et 150 000 négatifs, a été découvert il y a cinq ans, à la faveur d'un hasard aux allures de miracle, et s'impose depuis, pas à pas. Quelques-unes de ces images sont présentées pour la première fois à Paris par Les Douches La Galerie, spécialisée dans la photographie documentaire, avant d'autres expositions en France cet automne*.

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2007. John Maloof, un jeune homme de 27 ans, agent immobilier de son état mais également photographe, prépare un livre sur l'histoire d'un quartier de Chicago, Portage Park, pour lequel il cherche des clichés d'époque. Habitué à chiner, il achète pour 380 dollars dans une vente aux enchères un carton empli de négatifs, propriété d'une certaine Vivian Maier. Pas de Portage Park sur les pellicules, mais des scènes de rue composées à la perfection. Des trognes abîmées de vieillards, de clochards, de matrones. Une gamine aux joues sales, les yeux encore brillants de larmes, qui, bras croisés et montre d'homme au poignet, lance à l'objectif un regard de défi. Quelques belles dames à chapeau et voilette, aussi, et tout ce que les rues des villes américaines peuvent produire de beautés géométriques.

New York, NY, n.d. © Vivian Maier / Maloof Collection, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York / Les Douches La Galerie, Paris

John Maloof, en scannant quelques-unes des images et en les postant sur le Web, obtient confirmation de la valeur de sa découverte ; l'engouement est immédiat. Nulle trace, pourtant, de la Vivian Maier en question. Elle ne resurgit que deux ans plus tard... sur un faire-part de décès publié dans un journal de Chicago. L'annonce a été rédigée par une famille chez qui elle a travaillé pendant dix-sept ans, et dont elle a élevé les trois garçons : les Gensburgs. John Maloof commence, grâce à eux, à remonter l'étrange fil de la vie de la photographe - une enquête retracée par un documentaire, Finding Vivian Maier, dont la sortie est prévue en juin 2014.

"Je suis une espionne"

La photographe naît en février 1926 dans le Bronx, à New York. Elle est la fille d'une Française et d'un Austro-Hongrois qui, selon Maloof, disparaît rapidement du décor. Elle passe en France la majeure partie de son enfance, avant de revenir seule aux États-Unis, en 1951, et d'y devenir bonne d'enfants. "Ce n'était sans doute pas un choix par défaut ; ce métier lui permettait de photographier sans cesse", estime Françoise Morin, directrice artistique de la galerie parisienne, qui a pu découvrir le film. Certains des enfants dont elle a eu la charge parlent d'une "Mary Poppins" extraordinaire ; d'autres, de l'étrangeté parfois brutale de son comportement, comme cette femme qui se souvient avoir un jour été emmenée en promenade dans un abattoir.

New York, NY, May 1953 © Vivian Maier / Maloof Collection, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York / Les Douches La Galerie, Paris

"Elle disait d'elle-même je suis une espionne, raconte Françoise Morin. Elle déposait parfois ses pellicules sous le nom de Viv Smith. Elle cachait même, semble-t-il, son identité américaine et se faisait passer pour une Française pure souche en caricaturant son accent." On ne connaît à la gouvernante aucun ami proche, aucun amant, aucun parent. Elle pousse la discrétion jusqu'à l'obsession. "La première chose qu'elle faisait en entrant dans une famille était de demander un verrou à la porte de sa chambre." Des chambres qui deviennent de véritables entrepôts, où l'on n'accède au lit qu'en se frayant un chemin à travers des empilements divers : journaux, classeurs, cassettes audio sur lesquelles Vivian Maier, qui a coutume d'aller, dans la rue ou les supermarchés, interroger ses contemporains sur l'actualité, enregistre leurs commentaires. "Elle est passionnée par la politique, et mène en quelque sorte un travail de journaliste, d'enquêtrice", note Françoise Morin. Les collections finissent au début des années 2000 dans un garde-meuble - son contenu est plus tard vendu, faute de paiement.

"J'ai beaucoup de photographies et elles sont très bonnes"

On rêve d'une pure autodidacte, créant par le seul génie de son regard, la seule force de son attention aux gens et aux choses. Il n'en est sans doute rien. "Elle est clairement inscrite dans l'histoire de la photographie américaine, insiste Françoise Morin. Ses images font penser à celles de Lisette Model, Helen Levitt, Robert Frank ou Walker Evans. Il semble qu'elle connaissait très bien l'histoire de l'art et, en photographie, l'oeuvre de ses contemporains." Elle était "en outre très consciente de la qualité de son travail", précise la galeriste. À l'occasion d'un voyage à Champsaur, dans le village natal de sa mère, elle écrit ainsi à un photographe local qu'elle apprécie ses paysages et aimerait faire développer ses photographies avec la même qualité et le même type de papier. Et ajoute : "J'ai beaucoup de photographies et elles sont très bonnes."

Pourquoi, alors, n'avoir jamais montré son travail, ni tâché d'en vivre ? Ce mystère-là risque de n'être jamais résolu. Reste le trésor de ces pellicules non développées. John Maloof, depuis sa découverte, se consacre exclusivement à promouvoir cette oeuvre, pour faire entrer de plein droit Vivian Maier dans l'histoire de la photographie américaine. Il est parvenu à acheter la plus grande partie du fonds (un peintre, Jeffrey Goldstein, en a acquis 10 % environ) et, avec l'aide de Howard Greenberg, galeriste new-yorkais et spécialiste du domaine, il a entrepris de faire tirer les photographies : 15 tirages numérotés de chaque négatif, réalisés par Steve Rifkin. Vivian Maier est désormais représentée dans plusieurs galeries européennes et américaines. Les musées, eux, ne passent pas encore le pas : ils exigent des "vintages" (tirages d'époque) - quand ceux qui existent sont, de l'avis général, de mauvaise qualité. Mais l'exploration du continent Maier ne fait encore que commencer.

VOIR notre diaporama

* "Vivian Maier (1926-2009), une photographe révélée" au château de Tours, du 9 novembre 2013 au 1er juin 2014, en partenariat avec le musée du Jeu de Paume et la galerie Howard Greenberg.

"Paris Photo", du 14 au 17 novembre au Grand Palais à Paris.


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Commentaire (1)

  • Lavachequivole

    Quel héros romantique que ce drôle de personnage!
    Combien d'autres talents, d'autres trésors cachés se cachent parmi nous tous ?