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Le cas de conscience des photographes du Bataclan

Les sept photojournalistes accrédités hésitent à utiliser les images du concert qu’ils ont prises avant l’attentat.

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Publié le 18 novembre 2015 à 00h23, modifié le 19 novembre 2015 à 16h39

Temps de Lecture 4 min.

Le jour de l’attaque du Bataclan, vendredi 13 novembre, ils étaient sept photographes accrédités pour le concert des Eagles of Death Metal. Un concert de plus pour ces spécialistes de musique, qui sont des passionnés autant que des photographes – l’un d’eux, Yann Charles, travaille en amateur, et publie ses photos de façon bénévole pour un webzine.

Mais les images qu’ils ont prises ce soir-là, du groupe et du public communiant dans le même plaisir, se remplissent aujourd’hui d’une émotion toute particulière. « Ils sont tous choqués, à des degrés divers, témoigne Bertrand Alary, directeur de l’agence Dalle, qui diffuse plusieurs d’entre eux. Et ils ont chacun une attitude différente face aux images qu’ils ont faites. Moi, je suis leurs instructions à la lettre. »

Dans le milieu musical, à part pour les gros concerts aux contraintes particulières, c’est en général la « règle des trois » qui s’applique : les photographes dûment accrédités peuvent travailler seulement pendant les trois premières chansons, histoire de ne pas perturber le spectacle. Le 13 novembre, au Bataclan, les photographes se placent dans le « pit », derrière les barrières, entre la scène et le public – là où ils ont un bon point de vue sur le groupe et les spectateurs.

A eux d’éviter les flashs dans les yeux qui gênent les musiciens. « C’est un groupe de rock festif, super-intéressant à photographier, car ils sont super-vivants quand ils jouent », confie l’un d’eux, qui préfère taire son nom. Après trois chansons, des photographes se fondent dans la foule, d’autres décident de partir. « Avec un collègue, on a bu un verre en rangeant le matériel, raconte un photographe. On est tous les deux partis pour éditer nos photos chez nous. Avant, j’ai pris une photo sur mon téléphone, pour montrer l’ambiance, et je l’ai postée sur Facebook. Puis j’ai pris ma voiture, et c’est seulement en passant devant Le Petit Cambodge que j’ai compris que quelque chose de grave se passait. »

A l’intérieur, le photographe Manu Wino se trouve au bar quand arrivent les terroristes, mais il est près de la sortie de secours, et réussit à s’enfuir. Un de ses collègues trouvera refuge dans un local technique pendant toute l’attaque. Mais la photographe Marion Ruszniewski, qui travaillait ce jour-là pour le mensuel Rock & Folk, est touchée par une balle dans le ventre. « J’ai pensé à mon ami Rémi Ochlik [tué en Syrie en 2012] et je me suis dit “pas moi” », a-t-elle raconté à l’AFP. Elle fera la morte jusqu’à l’arrivée des secours, et s’en tirera sans complications trop graves. « C’est mon sac à dos de photo qui m’a sauvé la vie », pense-t-elle.

« Du mal à regarder mes images »

Une fois la frayeur passée, que faire des cartes mémoires pleines d’images innocentes d’un concert qui a viré au carnage ? Les photographes ont tous répondu de façon différente. Marion Ruszniewski a diffusé quelques photos du concert par le biais de l’AFP, et doit publier le reste comme prévu dans le prochain numéro de Rock & Folk.

Manu Wino et Julien Mecchi, « par respect pour les victimes », ont, chacun, décidé de distribuer gratuitement les photos du concert sur leur compte Facebook, en demandant qu’il n’en soit pas fait un usage commercial. « Peace, Love & Death Metal », a ajouté Manu Wino sur sa page, en écho au titre du premier album du groupe californien. Dans les images qu’il a prises, on voit nettement des spectateurs sur le côté de la scène. « Au début, je ne voulais rien en faire, a-t-il déclaré à l’hebdomadaire Les Inrockuptibles. Mon sac est resté fermé. Et, petit à petit, on sort du choc, et, en discutant avec des amis, je me suis dit qu’il fallait envoyer des ondes positives. J’ai eu envie qu’on se souvienne des sourires, du rock’n’roll et qu’on était tous là pour faire la fête. »

Mais ces clichés de spectateurs qui s’amusent avant la tuerie posent un problème de conscience à quelques photographes. Ils savent que nombre de personnes à l’image sont mortes, et que certaines familles n’ont pas encore identifié leurs proches. « Deux photographes m’ont demandé de retirer les images où on voit le public, parce qu’ils pensent que c’est plus respectueux », explique Bertrand Alary.

Sur ce sujet, un photographe, qui préfère taire son nom, confie être « en pleine réflexion ». « Pour l’instant, j’ai encore du mal à regarder mes images. Je ne sais pas si les gens seront choqués de revoir leur famille, ou contents de les voir vivants et souriants après toutes ces photos d’horreur. » L’un d’entre eux semble avoir tranché, en publiant, en double page dans le magazine Paris Match paru lundi 16 novembre, sans donner son nom, une photo cadrée uniquement sur les spectateurs du concert : une image d’insouciance, à la fois joyeuse et terrible.

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Malgré le choc et les crises d’angoisse, les photographes ne semblent pas découragés de photographier des concerts, y compris au Bataclan. « Parfois, il faut juste faire son job », écrit Julien Mecchi sur Facebook. Et, par mail, Marion Ruszniewski indique : « Je prendrai des photos dès que j’en serai capable. »

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