Les petits fiancés de Marina Poliakova

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Les petits fiancés de Marina Poliakova

La photographe ukrainienne milite d’une façon assez étrange contre la féminisation des hommes.

Marina Poliakova est une des plus jolies filles qu’il m’ait été donné de voir via une connexion Skype hasardeuse. Je suis tombée sur son boulot en étudiant la programmation 2014 du festival de la jeune photographie européenne, Circulation(s). J’ai trouvé ses photos déconneuses, donc j’ai voulu en savoir plus.

Après plusieurs coups de fil à sa galerie en Ukraine, j’ai réussi à la joindre. Je m’attendais à ce qu’on échange des blagues, à la rigueur qu'elle me glisse des trucs comme « objectivation des femmes » ou « répression des gays ». Mais Marina Poliakova me l'a annoncé d'entrée de jeu : elle milite contre la féminisation des hommes. Qu'on adhère ou non à son message, sa série reste une bonne blague – qu'elle s'est peut-être faite à elle-même en premier lieu.

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Ou peut-être que les Amazones ukrainiennes d'Asgarda disent vrai : l'Ukraine est en pénurie de guerriers, de vrais.

VICE : Bonjour Marina. Ton travail a fait l’objet de plusieurs expositions dans des galeries d’art ukrainiennes. Tu te définis comme une photographe ou une artiste ?
Comme une artiste. J’utilise la photo comme d’autres utiliseraient un pinceau ou un burin pour exprimer l’idée que j’ai en tête. Au final, le médium importe peu.

J’ai vu aussi que tu étais rédactrice en chef d’un magazine sur la photo. Tu peux m’en parler ?
Oui, c’est le magazine 5.6. Je l’ai créé au sein de mon école de photo, en 2009. Jusqu’à présent, on a imprimé 8 numéros. C’est assez dur de réunir l’argent à chaque fois, c’est ce qui nous limite. Juergen Teller a très gentiment accepté de participer au premier numéro et de nous filer gratuitement des photos.

Cette série, Bridegrooms, tu vas l’exposer en février prochain en France. Tu la présentes en disant qu’elle « représente la nature féminine nouvellement acquise des hommes ».
J’essayais avant tout de faire des photos qui paraissent non naturelles, qui dérangent. Les hommes posent dans des postures typiquement féminines. C’est inhabituel, dans le mauvais sens du terme. Je voulais susciter une sensation de désagrément chez les gens qui regarderaient les photos.

Ah. D'accord.
Oui. Je pense que cette tendance à la féminisation des hommes n'est pas une bonne chose.

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Pourquoi ça te gêne autant, que les hommes se féminisent ?
Personnellement, je suis assez traditionnelle quant aux rôles dévolus à chaque sexe. Pour moi, cette tendance est une mauvaise chose. C’est mon opinion. Beaucoup de femmes qui sont venues voir mon expo à Kiev m’ont dit merci. Ici, en Ukraine, on a plein de femmes célibataires qui n’arrivent pas à trouver d’hommes, de vrais. Surtout face aux femmes, qui deviennent de plus en plus fortes. C’est dur de trouver des hommes qui font le poids. Je ne sais pas si tu es d’accord avec cette opinion ou pas.

Bah, on a tourné récemment un documentaire sur des femmes ukrainiennes, Les Guerrières d’Asgarda, qui tiennent – en substance – le même discours. Et les Femen – leur leader est une Ukrainienne : tu en penses quoi, des Femen ?
Tu sais, en Ukraine, on est au courant que les Femen, c’est une très bonne entreprise de relations publiques. Les Femen gagnent beaucoup d’argent.

Bon, revenons-en à ta série. Comment tu as convaincu des hommes, des vrais, de poser pour tes photos ?
Je connaissais la moitié des modèles, il s’agit d’amis ou d’étudiants de mon école. Ils étaient contents de participer à un projet artistique. Après, l’autre moitié, je les ai recrutés via Facebook, ou des annonces dans le journal. Je les payais 10 euros. [rires] Juste parce que j’ai dû établir des contrats avec eux, pour pouvoir me servir de leurs photos. 10 euros ont suffi.

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C’est eux qui choisissaient leur pose ?
Non, je leur indiquais les poses qu’ils devaient adopter. Je leur disais : « Tu es un acteur, et je dois mener à bien mon projet, je veux montrer précisément cela. » Et je leur disais comment se tenir. Je n’ai pas tenu compte de leur personnalité, par exemple. Tout est mis en scène par moi.

OK. Comment s'est passé le shooting ?
C’était fun, je passais les chercher en voiture et je les emmenais à la campagne, dans des endroits que j’avais repérés avant. Il fallait que ces endroits soient déserts, au risque de nous faire arrêter pour pornographie. Je suis de nature timide, et je devais moi aussi jouer un rôle, genre, « oh, ça ne me pose pas problème, je l’ai fait plein de fois ». Je devais avoir l’air très sûre de moi. Si je m’étais montrée timide, mes modèles auraient être gênés.

Tu pourrais poser nue ?
Moi ? Non. Je ne pense pas.

Je trouve ça étrange, Marina. Tu dis que les hommes devraient être plus virils, plus hommes. Mais dans le même temps, tu les conduis dans la nature, tu les fous à poil et tu leur donnes des ordres.
Je n’ai pas choisi la facilité, tu sais. J’ai eu l’idée de les mettre en scène dans des poses typiquement féminines. Je me suis posé la question du décor : pourquoi j’aurais choisi un intérieur plutôt qu’un autre ? Donc j’ai décidé de shooter dans la nature. Je me suis posé la question des vêtements : pourquoi ce pantalon, ce tee-shirt plutôt qu’un autre ? Donc j’ai décidé de les shooter nus. Quand on a un but, on pense au résultat. Et mon but, c’était de faire passer mon message. Et pour cela, j’ai dû faire des trucs inconfortables. Qu’est-ce que tu en penses ? Tu trouves ça normal ?

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Bah en fait, non, je trouve pas ça très normal. Je suis un peu mal à l’aise. Si les mecs ont envie d’être plus féminins, je m’en branle.
La société envoie sans arrêt des injonctions aux hommes : ils devraient être comme ça, et comme ça, ils devraient laisser s’exprimer leur part féminine… Et tout ce plat qu’on fait autour de la métrosexualité. Je pense qu’il y a beaucoup d’entreprises qui ont un intérêt dans le fait de te vendre plus de crèmes de beauté pour les hommes. C’est profitable de mettre dans la tête des hommes ce genre d’idées.

Et je suppose que tu as dû recevoir des critiques assez virulentes, avec ce genre de discours ?
Oui, on m’a beaucoup dit qu’en tant qu’artiste, je devais me montrer plus ouverte. Et les féministes n’ont pas été tendres.