Le reportage photo par Aliocha Boi : comment raconter une histoire en voyageant ?

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Présenté dans un article précédent sur le Mag « La photographie urbaine dans tous ses états », le photographe Aliocha Boi nous explique dans l’article ci-dessous comment raconter une histoire en voyageant, un art qu’il maîtrise parfaitement et qu’il illustre par son travail.

« Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’un type de photographie qui me tient particulièrement à cœur : la photographie dans un format reportage. Cet article s’adresse aussi bien aux photographes ayant une pratique amateur qu’aux professionnels déjà bien établis. »

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« Il y a énormément de façons de faire et de concevoir une approche de ce type mais j’aimerais vous présenter mon point de vue personnel, suite à mes dernières expériences et notamment suite aux récents voyages que j’ai faits à Cuba et à Shanghai. »

Deux façons de voir

« Tout d’abord, pour moi, il y a deux manières de préparer un reportage. La première est basée sur le fait de savoir quelle histoire on va raconter avant de partir et de s’y cantonner une fois sur place. C’est presque comme préparer un film, il y a la partie théorique (le scénario) et la mise en pratique (la réalisation). Bien sûr, il y a parfois certains détails à régler et à modifier sur place. Les idées ne sont pas arrêtées mais il y au moins un socle de réflexion sur lequel on peut s’appuyer. Le photographe de presse par exemple fonctionne quasiment obligatoirement ainsi car il a un contrat à respecter et une histoire précise à documenter. Pour le moment je ne fonctionne que rarement ainsi car j’aime travailler à l’instinct. »

« C’est justement l’instinct qui est à la l’origine de la deuxième façon de faire. En partant par exemple à Cuba pendant une dizaine de jours en octobre 2016, juste avant la mort de Fidel Castro, je n’avais pas vraiment de but précis à part celui de documenter ce que je voyais. J’avais peu de temps sur place pour réfléchir à une série. J’étais un peu dans le flou au départ, surpris par les couleurs et une culture complètement différente, mais j’ai finalement privilégié les portraits, la photographie de rue et les jeux de lumières et de contrastes. Le hasard a (malheureusement) bien fait les choses puisque Fidel Castro, la figure emblématique du pays, est mort quelques jours après mon départ. Le fait de documenter le calme avant la tempête (médiatique et politique) a joué un rôle important dans le succès de ce reportage. »

« Cela était encore plus flagrant quand je suis parti à Shanghai en janvier dernier. Arrivant dans cette mégapole chinoise, je ne savais pas où donner de la tête : tout me paraissait si grand et disproportionné par rapport aux villes européennes que je connaissais. En marchant plusieurs kilomètres par jour, je suis finalement tombé sur l’un des plus vieux quartiers de la ville, Xiaonanmen. J’y ai rencontré dans la rue une des habitantes, qui était curieuse de savoir ce que je capturais. Elle m’a raconté l’histoire de ces rues et m’a finalement glissé, avec tristesse, que ce quartier allait être rasé un mois après mon départ et que les habitants allaient être relocalisés à 80 kilomètres de chez eux. C’est donc complètement par hasard que je me suis finalement concentré sur ce quartier précis de la ville et sur certains détails, que j’ai fait dialoguer par le biais de diptyques et de portraits : des humains au loin qui tournent le dos à leur destin ou qui décident de fermer les yeux un instant pour l’oublier, les nombreux chantiers qui font désormais parti du paysage, des jeux de lumière et des câbles qui s’entremêlent aux vêtements qui sèchent, les devants de maisons singulières, les nouveaux bâtiments qui viendront remplacer les anciens et une nature qui n’est présente que par quelques ombres portées… »

« Ces deux façons de concevoir la photographie reportage sont vraiment subjectives et propres à chacun. En travaillant trop mon sujet avant de partir dans un pays, j’ai souvent peur d’être déçu en arrivant sur place et de finalement opter pour autre chose. Mais attention, je ne dis pas qu’il ne faut rien préparer ! En partant à Cuba par exemple, j’ai beaucoup lu sur l’histoire du pays et vu de nombreuses séries photographiques, comme celles de David Alan Harvey (photographe Magnum). Je savais donc, un minimum, à quoi m’attendre, mais j’ai préféré laisser parler l’instinct et la créativité une fois sur place. »

« C’est la cohérence du reportage qui aura une importance fondamentale : comment lier une succession d’images entre elles autour d’une même et unique histoire ? Lorsque je travaille en série, tout particulièrement, la question de la narration est en effet primordiale. Que racontent mes photographies ? Il y a un contenu, mais aussi une forme : des jeux de couleurs qui reviennent d’une photo à l’autre, des variations dans les rythmes des déplacements des gens dans la rue, selon les pays où l’on séjourne, des liens ou des contradictions qui se créent avec l’architecture environnante. C’est la question de cette cohérence que vous devez vous poser, avant, pendant et/ou après le voyage. »

« Au retour, un outil essentiel quand on travaille en numérique comme je le fais est d’imprimer les photographies qui vous semblent les plus satisfaisantes. À cette étape, il n’est pas nécessaire que l’impression soit de très bonne qualité ou de grandes dimensions. Il est important d’avoir une vue d’ensemble qui vous permettra d’isoler certaines photographies, pour leur donner plus d’ampleur, peut-être. Il peut y avoir des diptyques ou des triptyques qui se construisent. La question qui se pose encore une fois est celle des dispositifs narratifs que vous cherchez à mettre en place. Des détails ou des lignes de force vous auront peut-être échappé. Vous pourrez retourner ensuite à l’écran, avec une vision plus claire. »

L’importance des rencontres

« Peu importe la méthode choisie, les rencontres sur place sont primordiales. À Cuba, j’avais la chance d’être accompagné par la petite fille de l’un des photographes officiels de Fidel Castro (et également du Che), elle-même photographe. Elle a pu me faire découvrir des endroits singuliers, en connaissant mon attirance pour la photographie de rue et pour les lieux abandonnés. J’ai rencontré des artistes cubains (poètes, peintres, photographes, etc.) que je n’aurais pas pu connaître sans elle ou en tout cas avec plus de difficulté, dans le temps un peu court qui m’était imparti. »

« À Shanghai, la rencontre fortuite avec cette jeune Chinoise a finalement débloqué les choses et j’ai pu avoir ensuite une idée précise du sujet de mon reportage. La rencontre avec les habitant du quartier en était d’autant plus facilitée. Il faut donc s’ouvrir aux gens, discuter avec eux, peu importe son caractère, et se faire des relations à la fois artistiques et humaines. Une simple discussion peut conduire à beaucoup de choses. Cela nous amène aussi  à ne pas être distancié par rapport ce que l’on photographie et de mieux plonger ainsi dans les contextes particuliers que nous cherchons à saisir. »

Le matériel 

« Quand vous partez loin et si vous avez le budget, il vaut mieux toujours avoir avec soi deux boîtiers. Si l’un casse, l’autre fera office de remplaçant.

Je shoote depuis quelques années au Nikon D750 et les reportages que j’ai effectués ont été majoritairement faits au 35mm, mon petit chouchou. Je préfère travailler avec un objectif fixe car l’on se pose moins de questions qu’avec un zoom. Ayant l’habitude de travailler avec celui-ci, je sais où me placer par rapport à mon sujet et établir un bon cadre. Puis, au cas-où j’ai toujours avec moi un 14-24mm et un 24-70mm, que j’utilise pour cibler certains détails ou au contraire pour photographier l’entièreté d’une scène.

Encore une fois, tout ceci est très subjectif ! Partez en reportage avec un appareil et un objectif que vous avez testé un minimum et avec lequel vous déjà êtes à l’aise. »

Maintenant, à vous de jouer et de préparer un reportage à votre manière !

Aliocha Boi

Aliocha Boi

Photographe autodidacte basé à Paris. La matière première de ma photographie provient de l’environnement urbain. C’est la ville dans toute sa diversité et la manière dont elle évolue qui m’intéresse. Porté de plus en plus vers une approche documentaire, mon travail est le résultat de rencontres fortuites, d'explorations quotidiennes et d'une réelle fascination pour la composition et la symétrie.

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  1. Gressy Agnes dit :

    Encore de bon conseil de beaux voyages bravo et merci de nous faire partager tout cela

  2. Hautefaye Céline dit :

    inspiration