Critique

Mathieu Pernot : derrière les barreaux, la rage

Au CentQuatre, le photographe scrute les traces laissées par des détenus de la prison de la Santé, vidée pour cause de travaux en 2015.
par Gilles Renault
publié le 26 novembre 2018 à 19h56

Le photographe documentaire Mathieu Pernot travaille sans relâche. Aussi son nom revient-il à intervalles réguliers dans l’actualité, jusqu’à confiner à l’ubiquité. A l’affiche, début décembre, du Lianzhou Foto Festival, en Chine, il vient tout juste de présenter à Paris sa dernière exposition, «l’Atlas en mouvement». Réalisée dans le cadre d’une résidence au Collège de France, celle-ci a été conçue avec des réfugiés. Mais c’est un troisième événement concomitant qui retient ici l’attention. Ouverte mi-octobre au CentQuatre - qui prête de temps à autre ses murs épais à la photographie -, l’exposition «la Santé» dure jusqu’aux fêtes de fin d’année, bien qu’à rebours des agapes saisonnières.

Transferts. Souvent rémanents, les projets de Mathieu Pernot ont tendance à dialoguer et se répondre, au croisement de préoccupations sociales où prédominent les notions d'isolement et d'exclusion. En ce sens, «la Santé» pourrait se situer dans la continuité de trois reportages antérieurs: «les Hurleurs» (2001-2004), «Mauvaises Herbes» (2008) et «l'Asile des photographies» (2010-2013). Le premier montrait des proches, hommes et femmes, s'adressant depuis l'extérieur à des détenus incarcérés. Le second se focalisait sur la végétation tentant de reprendre ses droits dans des cours désaffectées de la prison de la Santé. Et le troisième arpentait un hôpital psychiatrique à l'abandon, en Normandie.

Comme son titre l'indique, «la Santé» marque le retour du photographe à l'intérieur de la célèbre maison d'arrêt parisienne. En avril 2015, les derniers détenus à peine transférés, le temps que d'importants travaux ne soient entrepris, Mathieu Pernot a sillonné à plusieurs reprises ces bâtiments notoirement vétustes, dont il a entrepris de «restituer un récit du dedans».

Litanie. Entre accrochage classique et installation, celui-ci se compose d'une mosaïque d'éléments recomposant des existences cabossées. Témoignages mutiques hautement parlants, les cellules désertes - avant que les pelleteuses ne réduisent l'inexpugnable édifice à une montagne de cailloux -, ne renferment plus alors qu'une anonyme litanie de stigmates glanés sur les murs galeux convertis en dazibao. Des traces écrites émane le ressentiment («7 jr pr un penave alors que javais 6 jr de surcie» ; «j.m. de montreuil la gross balance fils de pute» ; «mais jesus est un pede de sa race de merde il baisait avec des chevres du meme que lui»), plutôt que l'espoir («Patience c dans la tête»). Tandis que les panneaux d'images découpées dans des revues, eux, révèlent une frustration monomaniaque liée à des passions désormais inaccessibles, où la pornographie, logiquement très présente, cohabite avec le sport, les bagnoles et la piété salutaire.

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