Loin des images chocs, Pascal Maitre dévoile une autre Afrique

Parce qu'il se donne le temps de la réflexion, ses photos racontent des histoires. Le grand reporter donne sa propre vision du continent africain à la Maison européenne de la photographie.

Par Frédérique Chapuis

Publié le 29 septembre 2014 à 12h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h19

Pascal Maitre parcourt la planète depuis trente ans. Habitué du festival de photojournalisme Visa pour l'image, il est ému de voir aujourd'hui ses photos exposées à la MEP aux côtés de celles de René Burri, de l'agence Magnum, réputé pour ses portraits de Picasso ou de Fidel Castro, et du célèbre artiste japonais Keiichi Tahara.

Gamin passionné de photographie, ce fils et petit-fils de maréchal-ferrant né en 1955 à Buzançais, dans le Berry, commence par réaliser des images autour de chez lui. Sitôt son service militaire achevé, il envoie, au culot, ses photos au magazine Jeune Afrique, qui l'embauche aussi sec et l'envoie au Maroc couvrir le conflit sahraoui avec un journaliste local. « Tu es jeté sur le terrain : soit tu nages, soit tu te noies, se souvient-il. Mais en même temps tu fais vraiment partie d'une rédaction. Je me suis retrouvé au Rwanda, en Sierra Leone, à une époque où l'on n'entendait pas parler de ces pays. Ce fut une formidable école. »

En 1984, un passage à l'agence Gamma lui enseigne la rigueur et la débrouille. Il goûte aussi à la compétition avec les photographes d'autres agences de presse comme Sygma et Sipa. C'est à cette époque qu'il fait son entrée dans les pages des news magazines internationaux (Stern, Géo, National Geographic). On y reconnaît d'emblée sa patte et la touche Kodachrome 200, film qu'il utilisera jusqu'à l'arrêt de sa fabrication en 2010, avant de passer au numérique. Ses couleurs sont pures et lumineuses. Le cadre et l'harmonie des tons, parfaits. Ses images, toujours riches en détails, sont réalistes mais ne cèdent jamais au spectaculaire. Même lorsque la violence ou le chagrin s'immiscent dans le cliché : femmes violées du Congo, homme amputé des deux mains en Sierra Leone, victimes de la famine en Somalie... « Mon grand luxe est le temps, dit-il. Je passe parfois plusieurs mois au même endroit. Je suis l'un des rares à avoir été envoyé huit fois en Somalie entre 2002 et 2012. Mais ces reportages n'auraient pas été possibles sans mon fixeur, Ajoos, qui fut un guide sans faille dans l'enfer de Mogadiscio. »

Dans toutes les histoires que raconte Pascal Maitre — une scène de conflit, une cérémonie rituelle, un paysage ravagé —, on ressent sa présence attentive et son refus des stéréotypes de la photo d'actualité : corps ensanglantés, enfants cadavériques, regards agonisants... Dans son exposition « Afrique(s) », la réalité, si rude soit-elle, devient supportable, acquiert une force de témoignage parce qu'on sent le temps partagé entre le photographe et cet autre que nous découvrons grâce à lui. Une honnêteté qui, encore plus que la beauté des images, a séduit sa consoeur Nan Goldin, collectionneuse des tirages de Pascal Maitre.

« Ce matin on attend Afweyne, le chef de la sécurité du clan Atto, le seul à pouvoir nous guider à travers Mogadiscio. J'accompagne un de ses miliciens chez lui. J'entre dans la chambre. Il a trop bu la veille. Je le photographie. Il râle un peu. Avant la guerre, il était berger et n'avait jamais eu de maison. Quand, avec Osman Ali Atto, ils ont pris la ville, en 1992, il s'est octroyé quatre villas. Le rose est sa couleur préférée. En 2011, il est devenu pirate, puis est mort dans un règlement de comptes. »

« Gaby fait partie des trente mille enfants des rues de Kinshasa. Comme la plupart d'entre eux, il a été accusé par ses proches de sorcellerie et jeté hors de chez lui. Cela fait une bouche de moins à nourrir pour la famille. Recueilli par une ONG congolaise, il a été emmené à l'église du Saint-Esprit pour le salut du monde afin d'être exorcisé. Il est tétanisé ! »

« Quelques mois après le génocide. Huit mille assassins hutus présumés sont enfermés dans la prison de Kigali. On nous a fait entrer, le journaliste et moi, puis la porte s'est refermée. L'ambiance est tendue et rose fuchsia, de la couleur de l'uniforme des détenus. Nous passons ici quatre, cinq heures. Ils nous parlent de leurs problèmes : "Le Rwanda est un petit pays, expliquent-ils, le moindre centimètre carré est cultivé. Il ne suffit pas de dire je hais l'autre pour expliquer la guerre ethnique." »

 

Afrique(s), de Pascal Maitre, à la Maison européenne de la photographie, à Paris. 

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus