Hommage à deux grands photographes du XXe siècle venus d’Europe centrale : Eli Lotar et Josef Koudelka

Guy Duplat, envoyé spécial à Paris
Hommage à deux grands photographes du XXe siècle venus d’Europe centrale : Eli Lotar et Josef Koudelka
©Koudelka/ Eli Lotar

Il est curieux de constater à quel point l’histoire de la photographie est redevable à des artiste exilés, venus d’Europe centrale: Kertesz, Brassaï, Capa, Sudek (dont le Jeu de Paume avait présenté en 2016 une superbe expo). On y pense en visitant deux expositions à Paris consacrées à de grands photographes du XXe siècle : au Jeu de Paume, Eli Lotar (1905-1969), né en Roumanie, et au Centre Pompidou, Josef Koudelka, né en 1938 en Tchécoslovaquie et toujours bien actif. Les deux se sont épanouis en France.

Eli Lotar y arrive à 21 ans et y apprend le métier de photographe auprès de l’Allemande Germaine Krull qui deviendra sa compagne. Il s’impose vite dans le milieu parisien avec des reportages pour les magazines Vu, Jazz et Arts et métiers. Il a appris le langage de la photographie moderne (plongées, contreplongées, décadrages, gros plan), pour « découvrir dans l’objet connu l’objet inconnu ».

De 1927 à 1932, il sillonne les rues de Paris, les abattoirs de la Villette, les symboles de la modernité (locomotive, avions, bateaux), en cherchant des angles neufs, créant une nouvelle beauté.

Puis il s’engage dans la lutte antifasciste et le combat social. Sa photographie devient documentaire et dénonciatrice comme sa série sur les pauvres de la région Las Hurdes en Espagne. Il se met au cinéma, apprenant le métier en suivant Joris Ivens sur les grands travaux du Zuiderzee en Hollande.

Hommage à deux grands photographes du XXe siècle venus d’Europe centrale : Eli Lotar et Josef Koudelka
©Eli Lotar: Dormeuse, Espagne, quatrième voyage, 1936 crédit: Eli Lotar

(Josef Koudelka: France, 1987)

L’expo au Jeu de Paume montre son film de 1945 sur Aubervilliers, faubourg de Paris, gouverné alors par les communistes et qui était alors dans une misère atroce dont on n’a plus l’idée aujourd’hui. Ce très beau film, avec une musique de Kosma et la voix de Prévert, oscille entre réalisme poétique et dénonciation glaçante d’une misère effroyable.

Eli Lotar photographie aussi des sites archéologiques grecs témoignant de son art de la lumière, et s’intéresse au monde culturel. A la fin de sa vie, il fut proche de Giacometti. C’est une des surprises de l’expo de voir côte à côte ses portraits du sculpteur et la sculpture que Giacometti fit de lui qui fut son dernier modèle.

Le chien errant

L’exil aide-t-il à développer un œil de photographe ?

Le Centre Pompidou propose une expo Josef Koudelka. Pas une grande rétrospective comme celle à Madrid en 2015 dont Jean-Marc Bodson avait parlé dans La Libre. L’expo parisienne se focalise sur sa très célèbre série Exils, car Koudelka vient de l’offrir au musée, « pour remercier la France de m’avoir tant donné ».

Hommage à deux grands photographes du XXe siècle venus d’Europe centrale : Eli Lotar et Josef Koudelka
©Eli Lotar: Dormeuse, Espagne, quatrième voyage, 1936 crédit: Eli Lotar

(Eli Lotar: Dormeuse, Espagne, quatrième voyage, 1936)

On expose bien sûr les images si emblématiques de cette série, mais aussi comment elle s’est faite. Avec ses planches contact, ses ébauches de série quasi cinématographiques et une suite inédite d’autoportraits, sortes de « selfies » qu’il prenait de lui quand il dormait n’importe où, tel un sdf, à même la sol, dans les parcs, lorsqu’il sillonna les routes d’Europe dans les années 70 et 80, après avoir quitté la Tchécoslovaquie en 1970. C’est en 1988, que la série Exils, iconique, a été publiée par Robert Delpire.

« Je voulais voyager pour pouvoir photographier. Je ne voulais pas avoir ce que les gens appellent un « chez soi ». Je ne voulais pas avoir à revenir quelque part. J’avais besoin de savoir que rien ne m’attendait nulle part, je devais être là où j’étais et si je ne trouvais rien à photographier il était temps de partir ailleurs. Etre un exilé oblige de repartir de zéro. C’est une chance qui m’était donnée. »

Agé de 79 ans, il était au Pompidou, toujours l’air d’être un voyageur sur les routes. « Si on veut faire de la photographie il faut avoir quelque chose à dire, clamait-il. Mais peu de gens ont quelque chose à dire ».

On revoit ses magnifiques photographies où le cadrage et le jeu des ombres sont parfaits, où se niche une inquiétante étrangeté. Comme le chien noir dans la neige (image de l’exilé ?), le couple andalou à cheval, les gens croisés en Angleterre, Irlande, Grèce, Espagne. Veut-il faire œuvre d’anthropologue ? Il répond, en vagabond : « Je suis simplement vivant ».

Eli Lotar, au musée du Jeu de Paume à Paris, jusqu’au 28 mai et Josef Koudelka au Centre Pompidou, jusqu’au 22 mai. A Paris avec Thalys en 1h20, et 25 trajets par jour.

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