Publicité

Les Rencontres d'Arles 2016 à deux vitesses

ARLES EN UN CLICHÉ 2- Par son ambition et ses moyens, la Fondation Luma de la mécène suisse Maja Hoffmann change la donne dans cette ville de la photographie, jusque-là d'une modestie fraternelle et sympathique. Les artistes trouvent dans ces deux mondes des espaces distincts pour s'exprimer.

De notre envoyée spéciale à Arles

Il y a au moins deux façons de regarder la photographie aux Rencontres d'Arles 2016. Avec emballage ou sans. En très grand format qui misent sur l'effet cinéma (le couloir d'images de l'artiste suisse Christian Marclay à la Grande Halle), ou en petits clichés qui sont plus proches de la peinture («Western Colors», le road trip de Bernard Plossu, vétéran rêveur de la Beat Generation). Comme un tout ou comme une partie. Cette année, la photo s'expose aussi en première classe ou en classe éco.

Comme une installation contemporaine où la mise en espace compte autant que l'image: c'est la superbe cascade de clichés, qui tombe en pluie de fantômes sous la charpente de métal de la Grande Halle, de l'artiste japonais Daisuke Yokota, l'un des deux choix sensibles de la «curator» Mouna Mekouar pour le Prix découverte 2016.

Ou comme un témoignage direct, historique, irremplaçable comme un rayon de lumière, une ombre ou un sourire furtif, unique comme l'oeil d'un artiste à un instant «T»: il est parfois d'une modestie chavirante à l'instar de feu l'Américain Sid Grossman, blacklisté en 1949 comme communiste par le FBI, qui observe avec empathie ses jeunes compatriotes s'amuser à Coney Island ou les minorités travailler dur dans les entrepôts de Chelsea, quartier industriel avant d'être le royaume de l'art qui claque à Manhattan (Espace Van Gogh).

Ces deux conceptions se juxtaposent et s'affrontent jusque dans les rangs de la «Street Photography» (on peut préférer les vintages fabuleux de feu Garry Winogrand aux grands tirages couleurs un peu insistants du jeune Ethan Levinas qui sont accrochés au-dessus). Ces deux conceptions gagnent à tour de rôle, sans qu'interfèrent toujours au final le décor plus ou moins luxueux, la beauté des lieux à la lumière naturelle tamisée ou leur vétusté qui peut être tantôt rude comme un vilain local administratif, tantôt patrimoniale et splendide comme l'église Sainte-Anne où les beaux tirages de Don McCullin ont bien chaud l'après-midi.

Alors que la ville subit une mutation sans précédent, sous l'impact évident de la Fondation Luma de la mécène Maja Hoffmann qui occupe de plus en plus le terrain, de son chantier pharaonique signé Frank Gehry au vaste Parc des Ateliers dont deux sont déjà transformés en salles muséales par l'architecte Annabelle Selldorf, le grand rendez-vous de la photographie se trouve confronté à un Nouveau Monde.

Comment exposer aussi bien, sinon mieux, avec nettement moins de moyens, dans des locaux encore souvent bruts de décoffrage, voire carrément excentrés et quasi hostiles comme ce nouveau «Ground Control», nom bien pompeux pour les ex-entrepôts sans grâce de la Sernam entre la gare routière et la gare SNCF d'Arles?

Il a fallu tout le punch de l'exposition Tear my Bra sur le cinéma nigérian de Nollywood et le rappel d'Africa Pop sur la jeunesse africaine qui danse au lendemain de l'Indépendance avec les regrettés Seydou Keïta et son cadet Maick Sidibé, et toute la jeunesse d'Arles d'aujourd'hui pour donner vie à ce désert urbain

Mardi, au lieu de la traditionnelle soirée didactique au théâtre antique avec projections et one-man-show d'artistes, une fête sans chichis mais sans filtre à l'entrée leur était proposée derrière le Collège Paul Mistral (celui de Christian Lacroix!), passée la barrière de sécurité de Vigipirate.

Avec un peu d'imagination, on se serait cru à Abidjan ou Ouagadougou dans cette gare désaffectée avec l'arbre à palabres, les cantines et la rumba congolaise de Coup Fatal. Ils ont terminé leur concert avec un hommage à Papa Wemba, roi de la rumba congolaise décédé il y a deux mois. Puis, un DJ franco-américain basé à Accra, Dj BBRAVE, a pris le relais.

De bonne humeur et patients, les jeunes d'Arles, très nettement majoritaires, faisaient la queue devant les Truck Foods pour une pitah à 6 €, un couscous poulet à 10€, 5 fallafel à 3€. Dans un wagon de train désaffecté qui affichait «Destination Marseille», Françoise de Panafieu discutait gaiement, parfaitement anonyme et à l'aise.

Dans la foule, Martin Parr, le roi de la photo acide, était exactement comme d'habitude, flegmatique et disert en short de safari et sandales de marche. La belle Marie-Ann Yemsi, «curator» d'Agent Créatifs qui prépare un évènement africain pour le prochain Art Paris Art Fair au Grand Palais au printemps 2017, se désolait du retard pris par la France pour les artistes de ce grand continent quand le MoMA a débarqué en force avec ses mécènes à la dernière Biennale de Dakar.

Mercredi soir, dit-on en coulisses, le théâtre antique est occupé par la générale du danseur et chorégraphe Benjamin Millepied, jeune transfuge de l'Opéra de Paris et nouvelle star de la Fondation Luma où sa compagnie L. A. Project fait désormais résidence. L'information n'est pas vraiment proclamée haut et fort. Tant le Théâtre antique est synonyme des Rencontres d'Arles et de sa transmission de savoir photographique, aussi bien humain que technique et encyclopédique, vers un large public qui oublie les heures et les moustiques devant cet écran géant à ciel ouvert.

Il faudra attendre vendredi soir pour renouer avec cette tradition des Rencontres. Au programme, les prestations live de l'artiste américain Andres Serrano, l'artiste polémique de «Piss Christ» qui expose sa nouvelle série sur la torture à la Collection Lambert en Avignon (dans le cadre désormais de «Grand Arles Express»), suivi de Don McCullin, vétéran meurtri du photoreportage et désormais paysagiste au noir d'encre comme une marine de Victor Hugo, admiré et adoré de tous. Tout le monde s'en réjouit, comme d'un patrimoine sauvegardé.

Lors de la traditionnelle conférence de presse des Rencontres, mardi soir dans la petite cour de la rue Fanton, Sam Stourdzé, directeur des Rencontres depuis 2015, a fait des acrobaties de communication pour mettre ces nouvelles dispositions sur le compte de l'offre pléthorique des évènements culturels en Arles et sur la nécessaire reconquête des publics. Plus sévères ou plus pessimistes, les fidèles des Rencontres s'indignent de «cette mainmise privée sur l'espace public, comme si le collectionneur François Pinault sortait du Palais de la Douane et du Palazzo Grassi et prenait l'Arsenal à lui tout seul pendant la Biennale de Venise.» Fausse alerte! C'est une fausse rumeur. La générale de Benjamin Millepied a lieu dans l'Atelier de la Mécanique chez Maja Hoffmann.

C'est en tout cas une transition spectaculaire qui modifie déjà bien des habitudes. Les vieux pros de la photo regrettent le temps où Arles réunissait tout le monde, d'André Kertész à Robert Doisneau et Henri Cartier-Bresson, sur la place du Forum dans un grand brassage populaire des talents, grands et petits. Et une succession de conversations et d'apéros sans façons.

Désormais, les fêtes privées de Maja Hoffmann sont réservées aux stars de l'art au sens large, Andres Serrano, Don McCullin, Sophie Calle, Maurizio Cattelan sans que les dignitaires des Rencontres y soient toujours invités.




SERVICE : Rendez-vous aux Rencontres photographiques d'Arles en réservant une chambre d'hôtes de charme

Les Rencontres d'Arles 2016 à deux vitesses

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
Aucun commentaire

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

À lire aussi