Photo London : l'une des plus belles expositions de photographie revient à la Somerset House

Photo London : l'une des plus belles expositions de photographie revient à la Somerset House
"Chongqing IV (Sunday Picnic)" de Nadav Kander (2006) (NADAV KANDER)

A la Somerset House de Londres, l'exposition "Photo London" réunit la fine fleur de la photographie contemporaine du 19 au 22 mai 2016.Texte : Valeria Costa-KostritskyImage de Une : "Chongqing IV (Sunday Picnic)" de Nadav Kander (2006)

Par Le Nouvel Obs
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Le 19 mai prochain, à 9h04, un tiers des passagers de l’Eurostar en direction de Londres devrait être constitué d’amateurs éclairés de photographie. À l’arrivée, cette petite cohorte, dont on se plaît à imaginer qu’elle sera facilement identifiable, se dirigera à Somerset House, sur le Strand, où il semble que le mot "photographie" ait été inventé en 1839 par un astronome passionné s’exprimant alors devant la Royal Society. Et pourtant, malgré ces débuts prestigieux, malgré le fait d’avoir d’abord embrassé avec ferveur ce nouveau medium dont on croyait qu’il allait remplacer la peinture, les Anglais ont longtemps boudé cet art, le prenant beaucoup moins au sérieux que les Américains – ou même que les Français. La deuxième édition de Photo London, une nouvelle foire londonienne qui se veut le pendant printanier du raoult mondial qu’est Paris Photo à l’automne, montre que la donne est en train de changer.

Ce n’était pas gagné au départ. Les deux fondateurs de la foire, Fariba Farshad et Michael Benson, qui tiennent une agence nommée Candlestar, sont connus pour être les organisateurs du prix Pictet (un grand prix de photographie financé par la banque privée du même nom) et pour avoir travaillé sur les prestigieuses foires Frieze et Art Dubai. Ils expliquent que Photo London a bel et bien existé par le passé. Jusqu’en 2008, où elle s’est tenue à La City en pleines vacances scolaires et qui fut un échec. L’équipe derrière Candlestar a racheté le nom et déployé son (gros) réseau. Depuis l’année dernière, Photo London a lieu à Somerset House, un bâtiment splendide créé pour un monarque de la branche des Tudor, qui accueille des concerts – PJ Harvey y a enregistré un album live – et une patinoire en hiver.

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Un créneau à prendre

Pendant longtemps, les Anglais semblent avoir estimé qu’acheter de la photo était moins amusant – et moins sexy – que d’acheter de l’art, et particulièrement certaines monstruosités issues du Britart. Ainsi, la photo semblait se trouver toujours en marge.

On a senti un changement à partir de 2009, quand la Tate a nommé son premier conservateur photo, Simon Baker, explique Michael Benson. Les grands musées ont commencé à prendre la photographie au sérieux, les expositions se sont multipliées, et la Photographers’ Gallery [qui se trouve aujourd’hui à Soho, NDR] a pris de plus en plus d’importance.

Ce qu’il faut lire entre les lignes, c’est aussi que, en quelques années, les prix de la photographie ont prodigieusement grimpé. En 2007, 99 cents II Diptych, une grande photo d’Andreas Gursky représentant un supermarché où tout est à 99 cents, se vendait pour 1,7 million de livres sterling à Sotheby’s, devenant pour un temps la photo la plus chère du monde. Et tandis que l’importance de Londres comme capitale du marché de l’art se voyait confirmée avec la foire Frieze, les collectionneurs se rendaient compte qu’il manquait de la photo à leurs collections. Il y avait donc un créneau à prendre.

"Priozersk XIV (I was told she once held an oar)", Kazakhstan, 2011, par le photographe israélien Nadav Kander (à écouter lors d'une table ronde)

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Cette année, Photo London accueillera 80 galeries internationales. On s’intéressera particulièrement à la section Discovery, qui rassemble huit galeries émergentes, dont les Londoniens de Tiwani Contemporary qui se centrent sur l’Afrique et sa diaspora. Cette édition célèbre le travail de Don McCullin, photographe de guerre (et de paysages), octogénaire de renom qui a la particularité de ne succomber à aucun des travers occasionnels de la photographie de guerre (il est drôle, humble, pas macho). Photo London propose également une exposition de Craigie Horsfield, issue de la collection particulière de Michael Wilson, le plus grand collectionneur de photographie britannique, qui est aussi le coproducteur de James Bond (si, si !). Enfin, grâce à un prêt du Musée d’art multimédia de Moscou, on découvrira des photos de Sergey Chilikov, un des représentants de la “nouvelle photographie” qui a émergé en URSS dans les années 70 et fait la nique à la rigueur brejnévienne.

Hommage aux chefs de file

La foire – et c’était particulièrement réussi lors de sa première édition – propose aussi une série de discussions publiques avec des photographes de renom : McCullin s’entretiendra avec Simon Baker, le conservateur photo du Tate. La photographe indienne Dayanita Singh parlera de son travail à la National Gallery (nous songeons à abuser de nos privilèges de journaliste pour réserver dès à présent). On pourra aussi entendre l’Israélien Nadav Kander ou l’Anglais Martin Parr, et même une conversation entre Joachim Schmid, qui travaille avec la photo trouvée depuis les années 1980, et Lucas Blalock, un Américain dont les photos semblent sorties d’une hallucination sous acide ou d’une exploration trop frénétique d’Internet.

En mai, c’est carrément toute la ville qui se met à la photo. Avec une rétrospective Paul Strand au Victoria & Albert Museum, une expo intitulée Painting with Light (le sens étymologique de "photographie") au Tate Britain, qui interroge les liens entre les débuts de la photographie britannique et l’art préraphaélite et impressionniste, mais aussi Performing for the Camera au Tate Modern et une expo sur le pionnier britannique de la photographie William Henry Fox Talbot au Science Museum. Cela sans compter les expos organisées dans des galeries ou des entrepôts à travers la ville qui nous donneront des excuses pour documenter nos errances londoniennes sur Instagram.

À Photo London, les photos exposées qui sont à vendre coûteront entre 300 et 300 000 livres, ce qui laisse de l’espoir à qui n’est pas un oligarque russe ou un expat de la finance.

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Michael Benson se confie :

La photographie est un art accessible. C’est facile à collectionner, souvent relativement aisé de comprendre ce que l’on regarde, si ce n’est pour la photographie du XIXe, pour laquelle une meilleure compréhension des techniques utilisées peut être requise.

Pour ceux qui auraient besoin d’explications – ou de garanties qu’ils feront le bon investissement –, Photo London propose des visites guidées. Quant à nous, simple amateur, à l’espace édition de la foire, très populaire l’année dernière, nous pourrons prétendre que la petite monographie que l’on vient d’acheter est la pierre angulaire d’une collection gigantesque destinée à orner les vastes pièces d’un manoir anglais.

Valeria Costa-Kostrisky

 

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