Étienne Daho photographe, à la Philharmonie de Paris

par Elisa Mignot
Actu

A partir de demain, Etienne Daho dévoile sa première exposition photo à la Philharmonie de Paris: 200 portraits de musiciens, dont une trentaine signés du chanteur. Rencontre avec le pape de la pop française, qui ne fait pas ses 61 ans.

Pour la pochette de son dernier album, “Blitz”, Etienne Daho s'est inspiré de “L'Equipée sauvage”, avec Marlon Brando en chef de bande de motards, et du sulfureux “Portier de nuit” avec Charlotte Rampling.
© Pari Dukovic - Virgin / Universal Music.

On raconte que dans votre jeunesse vous avez hésité entre la photo et la chanson. Est-ce romancé?

Etienne Daho Non, pas tout à fait. Un de mes oncles m’a offert pour mes 11 ans un petit Rolleiflex. Quand j’avais un peu d’argent pour acheter des pellicules, je shootais ma famille, mes amis et des assemblages de pochettes de disque. A l’époque, j’avais plein de photos de groupes de musique découpées et collées au mur de ma chambre. J’avais des obsessions, pour le Velvet Underground notamment. On a du mal à l’imaginer, mais il y avait alors très peu d’images. Chacune était donc un support de fantasmes. Les premières ont été celles de Jean-Marie Périer avec “Salut les copains”: les yéyés, mais aussi les Stones, les Beatles, James Brown… Avec l’artiste Guy Peellaert et son livre “Rock Dreams”, où se mélangeaient photos et peintures, ils ont fait exploser mon cerveau!

Et au lycée, vous êtes devenu l’honorable responsable du club photo…

C’était génial, je pouvais développer, avoir du matos gratuit. Je me faisais beaucoup d’amis qui voulaient découvrir dans la chambre noire autre chose que les joies de la photo [sourire]. Les meilleures choses ayant une fin, quand ça s’est su, je me suis fait éjecter. Plus tard, j’ai stocké mes tirages chez moi, à Paris. Mais il y a eu une inondation en 1999, lors de la fameuse tempête, et mes cartons se sont retrouvés dans l’eau. J’ai tout jeté. Irrécupérable. De toute manière, à partir du moment où je suis devenu celui qu’on photographie, j’ai oublié ces clichés. J’ai travaillé avec des gens tellement talentueux que je ne pouvais pas une seconde me dire que j’étais photographe. Pourtant, j’aime regarder les autres. Ce qu’ils offrent à un instant donné. J’aime saisir ce moment où ça lâche. Il n’y a d’ailleurs que les portraits qui m’intéressent.

Etienne Daho a commencé la musique alors qu'il était encore étudiant à Rennes. Le photographe Pierre René-Worms l'a suivi à ses débuts. Ici, au réveil, dans sa chambre. Dans le livre “Avant la vague, Daho 78-81” (paru en novembre dernier) le chanteur a redécouvert certaines de ces images.
© Pierre René-Worms.

Quand êtes-vous passé du photographe au photographié?

Mes premières fois, c’était avec Pierre René-Worms, à la fin des années 70 et au tout début des années 80. Il était venu pour “Actuel” photographier la scène musicale rennaise des Transmusicales, qui démarraient. Je n’avais aucune idée de ce que j’étais, de ce que je représentais. J’essayais d’éviter de me voir. Il doit y avoir trois photos de moi entre 0 et 17 ans. Soit je les déchirais, soit je me débrouillais carrément pour ne pas être pris. Je le regrette à présent. Pierre a peut-être vu quelque chose en moi que j’ignorais totalement. Il m’a shooté dans des moments intimes, quotidiens, au réveil dans mon lit. Je ne savais pas quelle image je renvoyais. Au fur et à mesure, j’en ai pris conscience et j’ai travaillé avec des artistes qui magnifiaient cette image.

Pour la quasi-totalité de vos albums, vous avez choisi le photographe.

Je déteste être pris en photo. Je suis très pudique. A chaque fois, c’est une concession. Sauf quand c’est pour une pochette; là, il s’agit d’une rencontre. Pour mon premier disque, “Mythomane” [1981], Antoine Giacomoni m’a photographié dans un miroir avec des petites loupiotes, une image complètement diaphane qui ne me ressemblait pas du tout. Mais je ne m’aimais pas suffisamment pour qu’on me voie tel que j’étais. Après j’ai travaillé avec Pierre et Gilles pour ajouter un cran dans l’“iconisation”, la distance. Au tout début des années 90, il y a eu cette séance photo à la chambre, avec Nick Knight. Elle a duré très longtemps, il y avait de la musique classique, on me coupait les cheveux au fur et à mesure. Le temps était comme suspendu. J’avais alors une image de garçon très coloré, c’était le moment de me montrer en tant qu’homme en train d’éclore.

En 2014, retour à vos amours adolescentes. Comment en êtes-vous venu à faire poser les autres?

La Philharmonie m’a proposé de parrainer une série de concerts. Le dernier était consacré à la nouvelle scène pop. J’ai eu envie de projeter l’image des musiciens sur scène pendant qu’ils jouaient. La pop est devenue très marginale, on ne sait pas qui la fait. Antoine Carlier les a filmés et après je les ai shootés. J’avais déjà travaillé avec certains d’entre eux comme Lescop, Yan Wagner ou François de Frànçois and the Atlas Mountains, mais j’étais vraiment heureux de resserrer ces liens. C’était ’occasion de saisir le moment où, pour cette nouvelle génération, tout commence, où ça se déplie. Les démarrages sont tellement importants, peut-être est-ce là qu’on est le plus honnête.

Le groupe Keep Dancing Inc (composé de Joseph Signoret, Louis de Marliave et Charles de Cabarrus) pose pour Etienne Daho, en 2016. Le chanteur photographie la nouvelle scène pop depuis 2014. Une trentaine de ses portraits sont exposés à la Philharmonie.
© Etienne Daho.

Comment se sont passées les prises de vue?

Les musiciens sont dans leur majorité des êtres sensibles, complexés, renfermés, pas du tout sûrs d’eux ; rares sont ceux qui aiment jouer avec l’image. Mais ce lien de confiance – essentiel pour que, tout à coup, on se donne – s’est établi. Peut-être était-ce dû au fait que je suis moi aussi musicien, que je n’aime pas non plus être pris en photo. Aujourd’hui, j’ai envie de continuer à faire le portrait d’autres acteurs de la scène musicale, j’ai des noms en tête. Pourtant je voudrais que ces séances restent exceptionnelles, je ne me sens pas du tout photographe. J’ai seulement l’instinct – que j’ai un peu aiguisé – d’attraper quelque chose, mais je suis une bille en technique. J’avais un assistant pendant toutes ces séances.

Vous avez choisi de faire des portraits posés et pas des photos de coulisses, auxquelles vous aviez pourtant accès. Pourquoi?

Il ne faut pas dévoiler les cuisines, le “backstage” ou le studio d’enregistrement. La musique est quelque chose qu’on ne doit pas trop montrer… Pourtant j’aime avoir cette impression de regarder par le trou de la serrure. Alors moi-même, je finis souvent par dire oui quand on me fait cette demande. Toutefois, avoir un photographe modifie complètement le comportement dans ces moments qui sont d’une intimité folle. Dès qu’on met un micro ou une caméra, j’ai l’impression de ne plus être moi-même. Comme si je simulais, et je déteste ça.

Il y a quand même le moment de la scène, le concert, où vous vous exposez?

Non, c’est un moment où l’on est chez soi. Pour moi, un théâtre est très rassurant. S’il y avait une guerre atomique, c’est l’endroit dans lequel j’irais me réfugier. On ne s’exhibe pas sur scène, on partage. Et quand ça se passe bien, ça circule et c’est orgasmique.

Partager l’article avec vos proches