Une petite fille, 7 ans à peine, le visage en pleurs au milieu de ruines. La photo est poignante, douloureuse. Dans la salle, le silence s’impose. « L’acte militaire est moins important que les conséquences qu’il a sur les civils », lâche Laurent Van der Stockt, dont les photographies de guerre de la bataille de Mossoul sont projetées, samedi 23 septembre, au Théâtre des Bouffes du Nord, dans le cadre du Monde Festival.
Avec Michel Guerrin, rédacteur en chef au Monde, le photographe belge indépendant a partagé, pendant une heure et demie, son point de vue sur son métier, le travail sur le terrain, ses doutes, et ses colères aussi. Il est le seul photographe à avoir couvert aussi longtemps le conflit des forces irakiennes contre l’organisation Etat islamique à Mossoul : neuf mois de bataille au côté des forces spéciales. « L’un des conflits que j’ai couverts les plus durs pour les civils, dit le photographe, ému, qui « couvre » depuis plus de vingt-cinq ans les zones de guerre, de la Syrie à l’Afghanistan. J’ai vu des gens marcher avec des enfants morts dans les bras. »
Le virtuel, « une idéologie dangereuse »
Lorsqu’on demande à Laurent Van der Stockt sa vision des métiers de journaliste et de photographe, la réponse fuse, sans hésitation :
« Le métier de journaliste est de plus en plus virtuel, derrière un écran. On perd un peu le terrain. Le photographe, lui, est présent devant les gens, il y a un contact visuel. »
Le photographe belge n’hésite pas non plus à dénoncer une « idéologie dangereuse du numérique, du virtuel ». Celle qui sépare les uns des autres, celle qui éloigne du terrain. Cette présence au cœur des conflits se perd de plus en plus, selon lui, « avec les grands journaux qui envoient de moins en moins de gens ». Quatre cent cinquante journalistes étaient accrédités à Erbil. Mais peu ont réussi à passer les check points, comme l’a fait Laurent Van der Stockt.
Il faut dire que photographe a eu de la « chance ». Une rencontre, surtout, à Falloujah, ville de la province d’Al-Anbâr, en Irak, où il fait la connaissance du major Salam, des forces spéciales irakiennes. La confiance qu’il établit avec le major lui permet d’aller au cœur du conflit. Les images qui défilent ce samedi en témoignent : voiture suicide démantelée, civils en détresse, maisons en ruines.
Le photojournaliste parle avec émotion du major, détaille ses tactiques de combat pendant l’avancée des troupes, des bulldozers qu’il fait zigzaguer pour élever des talus et contrer les attaques de l’organisation Etat islamique : « Le major Salam est l’architecture de la réussite de cette bataille ».
Comprendre la complexité d’une situation
Si le photographe, récompensé par un Visa d’or, s’est retrouvé au cœur du conflit et a publié, notamment pour Le Monde, de nombreuses photographies de guerre, il interpelle néanmoins sur le rôle de l’image, sur sa collecte et sur son usage. « Quand on rentre le soir, on regarde son travail. On fait un choix, important, en fonction de la destination », explique-t-il. Mais il reste sur ses gardes. La photographie ne dit pas tout :
« Elle n’exprimera jamais complètement la complexité d’une situation comme le font les mots. »
Le débat s’est fini par des questions du public. Une, en particulier, probablement dans l’esprit de tous ceux venus écouter le photographe : « Quel est votre état émotionnel sur le terrain ? Arrivez-vous à faire face à ce que vous voyez ? » Laurent Van der Stockt, qui « n’aime pas trop la psychanalyse », répond que son rempart, son bouclier, c’est son appareil. « Si, dans ces situations, je posais mon appareil, je me mettrai souvent à pleurer. » L’état de concentration, apporte une forme de « distanciation ». Et cette distanciation, « c’est ce qui me protège », témoigne le photoreporter.
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