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Le mythe du photographe « trop cher »

En parallèle de ses activités de photographe d’enfants et de famille, Lisa Tichané de Tout Petit Pixel accompagne d’autres photographes dans leur parcours. Selon Lisa, chaque aventure est unique, mais le point qui revient le plus souvent, lorsque les photographes sont en cours de professionnalisation, c’est la question épineuse des tarifs. C’est un sujet qui semble tellement douloureux pour tous les photographes avec qui elle en discute, qu’elle a eu envie d’en faire un article, dans l’espoir de tordre le cou à certaines idées reçues.

Pour en finir avec le mythe du photographe « trop cher »

Prenons l’exemple d’une photographe qui se lance dans la photographie de portrait, et qui a récemment fait appel à moi pour résoudre le fameux casse-tête des tarifs. Nous l’appellerons Sophie, pour préserver son anonymat.

Sophie a quelques années de photo à son actif, elle maîtrise bien son boîtier, s’est créé un portfolio convainquant grâce a des séances photo réalisées pour des connaissances puis petit à petit pour des inconnus, et elle a fini par se lancer dans le grand bain. Armée d’un numéro de SIRET, d’un site internet et d’une page Facebook, elle voudrait faire de la photo d’enfant et de famille son métier à plein temps, mais elle butte sur un point crucial : à quel tarif doit-elle se vendre pour en vivre correctement, sans pour autant faire fuir tous ses clients potentiels ? Elle a l’impression de travailler pour trois fois rien (malheureusement pour elle, lorsqu’on regarde ses tarifs actuels, c’est tout à fait exact), et pourtant on lui renvoie souvent qu’elle est « trop chère ». Que faire ?

portrait enfant joie

Un premier travail en commun nous permet d’y voir plus clair sur ses besoins. Elle souhaite dégager de la photo un salaire de 1800 euros nets par mois afin de remplacer les revenus de son emploi précédent, donc une fois rajoutées ses charges RSI, ses coûts fixes et variables (renouvellement de son matériel, assurances, téléphone et internet, frais de déplacement, logiciels, affranchissement et autre petit matériel de bureau, accessoires, packaging, cartes de visite, frais liés à son site internet, produits livrés à ses clients…) il en résulte qu’elle doit dégager un chiffre d’affaires de 44 000 euros annuels. Nous ne détaillerons pas le calcul ici, ce n’est pas l’objet de cet article, prenons ces chiffres pour ce qu’ils sont : un exemple parmi tant d’autre, et non un modèle de business plan.

Un deuxième travail en commun permet de mettre à plat le temps consacré à son activité. Une fois additionnés le temps passé à répondre aux e-mails de prise de contact, puis à la préparation de la séance par téléphone avec son client, l’envoi d’un bon de commande, sa propre préparation de la séance, le temps de trajet aller-retour pour se rendre sur les lieux de la prise de vue (Sophie n’a pas de studio), le temps de prise de vue, le tri des images, la retouche des images, la création d’une galerie privée pour que son client fasse son choix, la commande des produits (ou la préparation du CD des images lorsque le client choisit d’opter pour des fichiers numériques), la facturation, la livraison puis la mise en ligne d’un article sur son blog, Sophie passe en moyenne 13 heures au total sur chaque séance.

Lorsqu’on ajoute à tout cela les temps improductifs mais nécessaires (comptabilité/gestion, formation, mise à jour de son site internet et présence sur les réseaux sociaux, marketing, congés annuels, ainsi que les inévitables périodes de basse activité) il en résulte que Sophie peut réalistement envisager de faire 80 séances par an si elle se consacre à son activité à plein temps.

Un rapide calcul nous permet donc d’arriver à ce résultat sans appel : pour être rentable, Sophie doit réaliser une vente moyenne de 44000/80 = 550 euros par séance.

Sa réaction est aussi immédiate qu’explosive : IMPOSSIBLE !! Personne ne voudra jamais payer ce prix-là !! Elle connaît déjà la réaction de sa mère et de sa meilleure amie (Tu délires ?!!) elle voit roder le spectre de ces autres photographes sur Facebook qui vendent la séance et tous les négatifs pour 100 ou 150 euros (On va me prendre pour une voleuse !!), elle se visualise en train de rougir et balbutier à chaque fois que quelqu’un lui demandera « Au fait, combien ça coûte une séance avec toi ? »… Bref, elle se liquéfie, se désespère, se sent déjà prête à s’aligner avec la « concurrence » des photographes Facebook quitte à travailler pour un quart de SMIC horaire.

Je pourrais tenter de rassurer Sophie avec mon cas particulier. Après tout, la réalité de ma propre petite entreprise fait que mon objectif de vente moyenne est plus élevé que celui de Sophie, et pourtant je gagne ma vie… donc je sais que c’est possible. Mais bien plus que ma propre réalité (qui pourrait au fond être une exception), il y a me semble-t-il 2 choses essentielles qui lorsqu’on en prend conscience, peuvent permettre de tordre le cou au mythe du « Personne ne voudra payer ce prix-là ».

La valeur d’un produit ou d’un service qu’on s’offre est hautement subjective

Ma voisine vient de se faire offrir pour son anniversaire le sac à main de couturier de ses rêves, pour 800 euros. Je n’ai jamais dépensé plus de 100 euros pour un sac à main, c’est un objet qui n’a pas de grande valeur pour moi. Mais je mettrais très volontiers quelques milliers d’euros dans des billets d’avion pour faire le voyage de mes rêves, quitte à devoir économiser plusieurs années pour le faire.

D’autres n’hésiteront pas à mettre 600 euros dans l’addition d’un grand restaurant pour profiter de cette expérience unique… alors pourquoi pas dans une séance photo dont ils profiteront toute une vie ? Tout dépend de la valeur qu’ils accordent à ce souvenir.

Certains se contentent parfaitement des photos réalisées avec leur téléphone portable, d’autres ont l’œil suffisamment aiguisé pour faire la différence entre le photographe talentueux, et celui qui n’a pour seul mérite que d’avoir un beau boîtier et un logo avec écrit « photographe » dessus. Et ceux-là seront prêts à payer le prix de cette différence, parce qu’ils ne veulent pas seulement « des photos » mais « des photos exceptionnelles » ou bien tout simplement « les photos de ce photographe-là ».

Il n’y a aucun intérêt à être le photographe de tout le monde

Il y a un million d’habitants dans le département de Sophie. Soit environ 160 000 familles avec enfants vivant dans la zone dans laquelle elle se déplace habituellement. Ce qui signifie qu’elle n’a concrètement besoin que de 80/160 000 = 0,05% de ces familles pour vivre chaque année.

Ou pour dire les choses différemment : même si 99,95% des familles de son département trouvent que Sophie est beaucoup trop chère, ça n’a aucune importance puisqu’elle n’a pas besoin d’elles pour vivre.

Il suffit qu’elle convainque 0,05% des familles vivant près de chez elle qu’investir 550 euros dans son travail pour des photos dont ils profiteront toute une vie est finalement une dépense tout à fait raisonnable.

Ces 0,05% de personnes existent, elles sont même bien plus nombreuses que ça, votre challenge est de vous faire connaître d’elles, et de leur montrer à quel point votre travail est unique et désirable.

Attention, je ne suis pas en train de dire que c’est une chose facile. Trouver la clientèle qui lui correspond est probablement le plus grand défi d’un photographe qui souhaite gagner sa vie grâce à sa passion. Mais ce que j’aimerais faire passer à travers cet article, c’est qu’il vaut mille fois mieux mettre votre énergie à trouver les bons clients (ces fameux 0,05% qui n’attendent que vous), plutôt que de la perdre à agoniser sans fin sur votre liste de prix, en quête du tarif parfait qui très probablement n’existe pas. Ou pire, à revoir vos tarifs à la baisse parce qu’un n-ième prospect vient de répondre « trop cher ». Répétez après moi : « Tant pis, vous n’êtes pas le client qu’il me faut ».

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Les secrets de la photo d’enfants : Technique – Composition – Inspiration

 

22 Comments

  1. Bonjour Lisa,

    Je suis tout à fait d’accord avec vous. Il vaut mieux réaliser 5 portraits à 500 € que dans faire 25 à 100.- €. Le chiffre d’affaire est le même mais il ne faut pas que penser chiffre d’affaire mais aussi plaisir du travail. Il vaut mieux privilégier 5 clients qualifiés qui reviendront refaire des images de qualité que d’avoir 25 clients qui sans foute de la qual
    ité mais qui voulait juste une photo. Je voulais aussi vous remercier d’avoir réalisé ce site super intéressant.

  2. Bravo, belle analyse. Et qui vaut pour beaucoup d’artistes ou créateurs. Cela donne des pistes pour se poser les bonnes questions!

  3. merci pour cet article, ca fait du bien de voir que d’autres photographes partagent mon point de vue :-)

  4. Un enième article sur les tarifs.
    C’est le serpent qui se mord la queue. Ces articles n’existent que parce que ceux qui les écrivent ont eux même un problème avec leurs propres tarifs.
    Je n’ai jamais vu des articles sur « le prix d’un plombier » avec tout un tas de justifications pour le rendre acceptable.
    Bref, tout ça pour dire que paradoxalement, en sortant ce genre d’article, ça entretien l’idée qu’un photographe est trop cher. Si une chose est normale il n’y a pas besoin de la justifier tous les 4 matins. Enfin c’est mon avis, je peux me tromper.
    Je suis désolé d’être un peu méchant, mais je suis persuadé que cette sempiternelle redite est totalement contre productive pour la profession.

  5. @ Benjamin

    C’est faux, ce n’est pas d’en parler qui fait que les gens pense payer trop cher. ça n’a absolument rien à voir. Ce qui donne la sensation de payer trop cher c’est le fait que tout le monde peux faire des photos : avec son téléphone, avec un reflex, un compact, etc… c’est devenue très accessible, et à la porter de tout le monde (il n’y a même plus de film à développer!), donc les gens ne s’attendent pas à payer cher.

    La solution, comme précisée dans l’article : être « bon », être capable de faire quelque chose d’inaccessible au grand public, et savoir le vendre.

    Pour revenir sur l’exemple du plombier, personne n’a un poste à souder pour pas cher dans ses outils de bricolage…. du coup, on ne peut pas comparer. Pareil pour un garagiste, etc…

  6. Merci pour cet article et les échanges qui suivent.
    Comme Alex je pense qu’en effet, c’est l’accessibilité à la photographie elle-même qui « donne à croire que ce ne doit pas être cher ».
    Bien que le point de vue de Benjamin soit intéressant, pas forcément méchant, mais peut-être simplement réaliste, il ne nous donnera pas les clefs pour établir nos tarifs quand nous sommes timides, quand nous avons un sentiment d’infériorité par rapport au monde extérieur ou aux autres photographes, quand nous avons un souci avec le mot « tabou » argent, quand nous avons peur de ne pas y arriver, quand nous n’avons pas de point de repère et juste de la panique dans l’esprit, quand nous avons une famille proche qui veulent du « pas cher » ou du « gratuit ».
    Cet article est plus tôt et surtout rassurant, et nous retire une épine du pied, non ?
    N’ayons plus rien qui nous retient de faire des tarifs en fonction de nos objectifs personnels pour faire notre métier avec plaisir et sans inquiétude du lendemain!
    Et battons-nous simplement contre ses idées reçues, ce sont les plus coriaces et les plus dures !

    Au plaisir Lisa de travailler avec vous pour fixer les miens :) de tarifs !

  7. Très bon article, mais difficiles de le mettre en application! Avec l’ère du numérique beaucoup de personnes ont un boitier et s’improvise photographe et d’autres pensent que l’on ne fait qu’appuyer sur un bouton. Que le prix n’est pas justifier.

    • C’est justement le sens de l’article : il ne faut pas s’intéresser à ces gens là, mais à la frange de personnes qui savent faire la différence entre un « oeil » et un « presseur de bouton »

  8. Je suis d’accord avec ta remarque! Mais certaines personnes préféré la quantité à la qualité avec un budget limité ;) Que faire ! Écrire des articles qui expliques très bien notre métier, comme l’exprime si bien cette article. Peut-être arriverons nous à changer les mentalités. Le numérique et internet à causé du tort à notre profession, à nous d’inverser la tendance en ce servant de ces outils.

    A+,
    Karine Puech

  9. Bonjour, merci pour cet article très intéressant. Ce que je me demande, c’est à quel moment on est prêt à passer le cap de se professionnaliser et d’appliquer de tels tarifs? Et est-ce qu’on doit appliquer ces tarifs dès notre lancement, même si nous débutons en tant que « pro »? Pour ma part, j’ai encore beaucoup de travail avant de pouvoir prétendre à ce statut, mais j’y pense pour plus tard, et je me pose justement ces questions là. Quand sait-on qu’on est prêt? Merci, bonne soirée à vous et merci pour vos merveilleuses photos, je suis une admiratrice :)

  10. sbcreaphotographic Reply

    Merci beaucoup de cet article très utile… Je suis dans cette situation hélas… Un peu perdu dans les tarifs à appliquer. A ce jour pas beaucoup de clientèles pour cause de la même réponse dans les mails « c’est cher »…. :(
    Merci !

  11. On passe tous par ce cap là. Il est plus ou moins dur à franchir mais au final, c’est toujours la vision « comptable » du métier qui l’emporte ! Ceux qui ne le franchissent restent « amateurs », au sens de « pour le plaisir ».

  12. Bonjour,

    Cet article m’a vraiment interpelé!
    Je le trouve très intéressant et perspicace.
    Après, il faut arriver a mettre tout ça en pratique et lorsque l’on vie dans une petite ville avec des tas de photographes « déclarés » et ceux qui ne le sont pas officiellement, ça devient compliqué… :(
    J’aurais aimé pouvoir échanger avec vous!!

  13. Bonjour,
    Je découvre vôtre site dont je dévore les articles.
    concernant mes tarifs de futur photographe pro cela me conforte dans ce que vous décrivez que je ne suis pas trop cher quand à la clientèle que je vise pour ma première année de pratique en tant que pro.
    Mon forfait de base pour 5h de prestation se situe à 690€.

  14. Merci d’avoir partagé cet article à nouveau Rachel!
    C’est effectivement pas facile de mettre la juste valeur sur nos services de photographe. Et si on continue d’écouter notre entourage et nos prospects, on ne peut pas y arriver.
    De mon côté il est plus que temps que je revois ma grille tarifaire dans son ensemble si je veux pouvoir pérenniser mon entreprise…

  15. Super article, tu as traité d’un point assez délicat d’une très belle manière!

  16. Galinier Christophe Reply

    Bonjour,
    je suis en train de vouloir passer pro et votre site est une mine d’infos, justement je ne savais pas quel tarif appliquer et là vous m’avez allumé une belle lumière.
    merci pour tous

  17. Pingback: Actualité photographique du 14 mars - Le Bloc Note

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