Facebook censure une photo de Salgado publiée par Rue89
Je m’abonne pour 1€/semaineAlors que Facebook a hésité à supprimer une vidéo de décapitation – « en raison du respect d’un principe essentiel de ses conditions d’utilisation : la liberté d’expression » –, une photo de Sebastiao Salgado publiée sur...
Alors que Facebook a hésité à supprimer une vidéo de décapitation – « en raison du respect d’un principe essentiel de ses conditions d’utilisation : la liberté d’expression » –, une photo de Sebastiao Salgado publiée sur la page de Rue89 et de Rue89 Culture a été retirée ce samedi et notre compte a été bloqué 24 heures. Motif : la nudité.
« Nous avons supprimé une de vos publications. Nous avons supprimé cet élément de Facebook, car il enfreint les standards de notre communauté. »
Nous avions publié vendredi ce cliché du célèbre photographe, qui expose sa dernière production, « Genesis », à la MEP (Maison européenne de la photographie) à Paris, jusqu’au 5 janvier 2014.
Rien de pornographique, rien de dégradant : l’image représente, photographiées de loin, un groupe de femmes de la tribu Zo’e?, dans le Nord du Brésil.
Une composition explorée par bien autres artistes avant Salgado : on peut penser aux Océanides de Gustave Doré, par exemple, ou aux baigneuses de Ingres, Cézanne ou Renoir.
Mais le robot de Facebook (car, rassurez-nous, une telle bêtise ne peut venir que d’un robot, n’est-ce pas ?) ne fait pas la différence entre pornographie et art. Dès qu’il détecte une paire de fesses ou un téton, il sévit. Résultat :
« Toute publication est temporairement bloquée sur votre compte. Etant donné qu’il s’agit de votre second avertissement, vous ne pourrez rien publier sur Facebook pendant 24 heures. »
Conception puritaine du monde
Facebook, gigantesque plate-forme d’échange, a fait avancer la liberté d’expression. Dans certains pays, c’est le seul lieu où l’on s’échange des informations indépendantes, tant la presse est contrôlée. Mais les dirigeants de Facebook, par leur conception puritaine du monde, ont instauré une « censure privée » contraire à la liberté qu’ils disent promouvoir. Bloquer sans sommation le compte d’un média d’information, c’est atteindre à la liberté d’informer.
Le réseau social a ainsi bloqué le compte du Musée du Jeu de paume à Paris qui avait publié une photo d’une femme aux seins découverts, prise dans les années 40, en noir et blanc. Une très belle photo de la photographe Laure Albin Guillot, pour annoncer une exposition.
Et n’essayez pas de publier « L’Origine du Monde » de Courbet sur votre compte Facebook ! Comme d’autres avant elle, la Tribune de Genève en a fait l’expérience : elle cherchait une illustration pour accompagner un article sur la nymphoplastie, chirurgie plastique des lèvres vaginales. Les journalistes de la Tribune n’ont rien trouvé de mieux que le tableau célèbre de Courbet, que l’on peut admirer au Musée d’Orsay à Paris... Le compte du quotidien a été suspendu.
La pochette de l’album « Nervermind » du groupe Nirvana, ou l’on voit un bébé heureux dans l’eau, mais il est vrai, abominablement nu, a également été supprimée d’un compte...
Il y a eu pire que des photos de nus supprimées : l’an dernier, une Egyptienne, Dana Bakdounis, a exposé son visage non voilé sur son compte Facebook. Avec comme message :
« Je suis avec le soulèvement des femmes dans le monde arabe parce que pendant 20 ans, je n’avais pas le droit de sentir l’air dans mes cheveux et sur mon corps. »
Signalée par de nombreux internautes, elle a vu sa photo retirée de sa page. Le réseau s’était justifié en disant qu’il ne souhaitait que « protéger » la jeune femme... Mais Dana Bakdounis avait pourtant sciemment décidé d’apparaître ainsi, c’était son choix de militante.
On pourra objecter que Facebook est un média privé, libre de sa politique éditoriale. Mais ce n’est pas un journal : c’est une plateforme servicielle, gigantesque, qui professe une neutralité face aux contenus publiés. En cela, Facebook est plus proche d’un réseau de kiosque que d’un journal : les pouvoirs qu’il s’arroge – suspendre sans prévenir des comptes, y compris ceux de journaux – sont exorbitants.