Expo - Antoine d'Agata : "Marseille m'inquiète"

L'exposition d'Antoine d'Agata est à voir à La Friche jusqu'au 13 janvier.

L'exposition d'Antoine d'Agata est à voir à La Friche jusqu'au 13 janvier.

Photo Nicolas Vallauri

Marseille

Le photographe va ouvrir un lieu dans sa ville natale

Il reste encore une semaine pour explorer à la Friche l'exposition du photographe Antoine d'Agata. L'artiste vagabond né à Marseille y offre au regard des fragments de son film White Noise présenté l'an dernier en ouverture de la saison Quel Amour. L'installation s'offre comme un prolongement de cette "nuit épuisée" pendant laquelle il a réuni autour de son oeuvre charnelle et tourmentée une équipée d'auteurs et de noctambules. Elle accompagne la sortie d'un ouvrage imaginé avec Pakito Bolino, récit kaléidoscopique de ce moment "chaotique". L'occasion pour le photographe de Magnum d'évoquer ses expériences et projets à Marseille.

Vous aviez parlé avant cette "Nuit épuisée" d'une prise de risque, comment la voyez-vous aujourd'hui ?
Antoine d'Agata : Cette mise en danger était dans le fait de montrer ce travail radical, difficile d'accès, dans un contexte peu approprié : un lieu de fête où les gens étaient là pour danser. C'était intéressant de voir que les images résistaient malgré tout et que ces jeunes continuaient à se confronter aux images avec un rapport de fascination ou de rejet. Cette résistance m'intéresse.

Comment avez-vous ensuite travaillé sur ce livre ?
Antoine d'Agata : Le choix des images a été assez instinctif. Quant aux textes des onze auteurs, je les adore. Je suis un grand lecteur et suis fasciné par la façon dont chacun rend compte de cette expérience commune.

L'installation à voir jusqu'au 13 janvier à la Friche ne présente qu'une toute petite partie de "White Noise" ?
Antoine d'Agata : Dans ce film de 4 h, 24 femmes parlent dans 14 langues différentes. Ces 20 premières minutes que l'on voit ici sont un prologue : ma compréhension du monde dans lequel nous vivons, nourrie d'influences littéraires et d'images avec lesquelles j'ai grandi, de Bataille à Mesrine, de Che Guevara à Céline. Ce travail est dense, il y a plein de niveaux de lecture, on peut voir ça comme un manifeste. Ensuite, dans le reste du film, il n'y a plus que des images que j'ai faites moi-même où je m'applique à vivre à la hauteur de mes idées. Mais pour des raisons budgétaires comme la salle ne pouvait pas être gardée, ce sont seulement les premières que l'on peut montrer.

La visite est néanmoins déconseillée aux moins de 18 ans...
Antoine d'Agata : Souvent les gens s'arrêtent à une violence certes perceptible mais pas définissable. Car elle est dans la situation, le ton, le rythme, dans ce que l'on comprend de ces destins, tragiques toujours et misérables parfois. Mais on n'est ni dans le porno ni dans une violence spectacle.

En réalisant ce film pensiez-vous à la façon dont il pourrait être perçu ?
Antoine d'Agata : Oui, et non. Je sais que le film est inregardable. Je ne suis pas là pour rendre l'expérience confortable. L'approbation du spectateur m'importe peu. Pour autant, j'espère que cela lui fasse suffisamment violence pour l'amener à se questionner sur sa propre position. Sans jamais prétendre offrir des issues possibles, tout ce que je tente de faire c'est montrer une certaine réalité du monde.

Comment continuez-vous à le faire ?
Antoine d'Agata : C'est une nécessité. Là, je pars en Israël et Palestine, en février aux Etats-unis, j'essaie de garder ce désir du monde, sans renoncer à une liberté d'action.

Quelle place a Marseille pour vous ?
Antoine d'Agata : Le livre Acéphale qui vient de paraître et qui raconte le travail de l'année commence à Marseille avec des images claustrophobes. Marseille n'est plus la ville que j'ai connue et j'ai tendance à y étouffer un peu. Son état m'inquiète mais ça reste une terre d'inspiration, de force vitale.

Antoine d'Agata, ici au Mucem en 2013, ouvrira sa fondation à Marseille en 2021.  Photo bruno Souillard
Antoine d'Agata, ici au Mucem en 2013, ouvrira sa fondation à Marseille en 2021. Photo bruno Souillard Photo Bruno Souillard

Vous y êtes revenu après le drame de la rue d'Aubagne et y avez travaillé pour Libération...
Antoine d'Agata : Une journée seulement, en tant qu'étranger. Mais j'ai vécu dans cette rue et d'un point de vue humble, minimal je me devais d'être là et de partager l'angoisse des passants, des manifestants, des habitants.

Avez-vous envie d'y poursuivre votre "Psychogéographie" ?
Antoine d'Agata : On m'a proposé de continuer ce travail entamé avec Bruno Le Dantec, dans ce quartier de Noailles. C'est quelque chose qui est en cours...

Avez-vous des chantiers en parallèle ?
Antoine d'Agata : On me prête à long terme un grand lieu de 800m² près de la gare pour y ouvrir une fondation, dans deux ou trois ans. Les principes fondateurs de ce lieu seront les mêmes que dans mon travail : remettre en question une photographie contemporaine qu'aujourd'hui je considère comme médiocre, cynique, corrompue pour imposer une autre façon de regarder mais aussi de montrer. Ce sera autour de mon travail et ouvert à d'autres photographes, avec un volet enseignement. Un vivier de contre-culture photographique.

Vous continuez à enseigner ?
Antoine d'Agata : A ce jour j'ai 1500 étudiants dans le monde entier. Ça me confronte à des gens pour qui la photographie est vitale. C'est une énergie positive même si c'est un compromis car cela me prend du temps. Souvent, je préférerais être sur la route.

Entrée libre vendredi, samedi et dimanche de 14 h à 19 h jusqu'au 13 janvier, à la Friche la Belle-de-Mai.