Larry Clark : “Si je meurs, que vont devenir ces photos ?”

Jusqu’au 24 décembre, le cinéaste américain brade ses photos dans une galerie parisienne. L'auteur de “Kids” s’explique sur les raisons de cet étrange vide-grenier, ultime étape d’une tournée mondiale de ventes à prix cassés.

Par Joséphine Bindé

Publié le 21 décembre 2016 à 09h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h27

Cet hiver, le cinéaste américain Larry Clark a réservé un cadeau de Noël à ses fans parisiens : jusqu’au 24 décembre, le sulfureux septuagénaire brade ses clichés vintage dans une galerie de la capitale. Le prix : 100 euros pièce. Mais pourquoi ces drôles de soldes ? Explorateur sans fin de l’adolescence tourmentée imprégnée de sexe et de drogue, le réalisateur et photographe – dont les clichés en noir et blanc d’une jeunesse à la dérive, pris dans les années 1960 et 1970, ont inspiré Martin Scorsese et Gus Van Sant – s’explique.

Braderies en série

Nus adolescents, skateurs en T-shirt large : sortis d’une vieille malle, ces milliers de photos en couleurs format 9 x 13 ont été prises sur le tournage de films mythiques du réalisateur comme Kids (1995), Bully (2001), Ken Park (2002) et Wassup Rockers (2005). « Ce sont de vraies photos vintage qui viennent directement des drugstores où je faisais tirer mes négatifs », précise Larry Clark. Sur les images mises en vente, on retrouve notamment son ex-compagne mannequin Tiffany Limos, alias « Peaches » dans Ken Park. Enrichie de portraits de jeunes tirés d’une séance photo réalisée pour la marque Supreme, la sélection est renouvelée chaque jour pour que chacun y trouve son bonheur.

“Je voulais donner à tout le monde la chance d’avoir un souvenir”

Courant 2014, trois de ces braderies avaient déjà eu lieu : en janvier, des clichés à 100 dollars sortis du même stock faisaient leur apparition à New York dans une petite galerie du Lower East Side codirigée par l’acteur Leo Fitzpatrick, l’un des ados skateurs de Kids. Puis à 100 livres dans une galerie londonienne en juin. En septembre, des tirages à 100 euros s’arrachaient à Paris entre les murs dorés du Silencio. Coup de pub, intérêt financier ? S’il est vrai que le réalisateur a connu quelques problèmes d’argent (notamment lors du tournage de The Smell of Us dont le budget avait dû être complété par du crowdfunding, et dont la sortie en 2014 coïncidait avec les ventes de Londres et Paris), sa motivation était ailleurs.

Un geste pour les “kids”

Avant de passer à la couleur en 1992, l’artiste « choisissait ses meilleures photos et les envoyait au meilleur labo de New York qui les tirait en format 30x40 », raconte-t-il. Une fois exposés, ces tirages se vendaient 10 000, 20 000 ou 30 000 dollars. « Mais mon public n’avait qu’entre 14 et 24 ans. Ces gamins n’auraient jamais pu se permettre d’acheter une seule de ces photos ! » s’exclame-t-il. Soucieux de rendre son travail plus accessible à ses fans, le réalisateur a donc préféré brader ses photos plutôt que de les donner à un musée ou les vendre plus cher à des collectionneurs.

Si Larry Clark pense à ses fans les moins fortunés, c’est peut-être parce qu’il a lui-même tiré le diable par la queue. « Personne ne m’a jamais rien donné. Quand mes parents sont morts il y a quinze ans, mes sœurs et moi avons dû vendre la maison et payer leurs dettes de notre poche. J’ai travaillé tous les jours depuis que j’ai quatorze ans et tout ce que j’ai maintenant, je l’ai gagné », lance-t-il. En 1992, le self-made-man achète une peinture de Christopher Wool pour 25 000 dollars… à crédit. « Je la voulais absolument mais j’étais pauvre, alors j’ai emprunté de l’argent à la banque et à tous mes amis. Cette peinture m’a gardé en vie pendant des années ».

Les visiteurs se pressent pour dénicher la perle rare sous l'oeil attentif de Larry Clark (au second plan). 

Les visiteurs se pressent pour dénicher la perle rare sous l'oeil attentif de Larry Clark (au second plan).  © Sadak Souici

Mais il y avait un autre déclencheur. En décembre 2013, le septuagénaire subit en urgence une lourde opération de la colonne vertébrale. « J’aurais pu mourir. L’opération a été un succès, mais elle a duré sept heures au lieu de trois. Je n’ai pas pu sortir de chez moi pendant un an. Les médecins m’ont mis sous opium et sous morphine » confie-t-il, éprouvé. Plusieurs mois auparavant, alors qu’il fêtait ses 70 ans, Larry Clark était tombé sur un stock de 30 000 tirages en triant ses archives. « Je me suis dit : si je meurs, que vont devenir ces photos ? J’ai décidé de faire une petite vente à New York, sans publicité, pour que mes amis et mes jeunes fans puissent s’en offrir. Je voulais donner à tout le monde la chance d’avoir un souvenir ».

Malade, le réalisateur n’avait pas pu assister à cette première vente dans la Big Apple. Ni à celle du Silencio, de retour à l’hôpital pour une nouvelle opération. Mais il était présent à la quatrième, lancée à Tokyo il y a deux mois. « C’était censé être l’ultime vente. Mais j’ai appris qu’en 2014, certains n’avaient pas pu entrer au Silencio » explique-t-il… d’où sa décision d’en faire une toute dernière à Paris. Qui, organisée en trois jours, se veut plus chaleureuse que les précédentes.
« Je n’ai pas voulu que ça se passe comme au Silencio, où les gens avaient quinze minutes pour choisir leurs photos dans une petite salle. Là, on a une table géante avec vingt-cinq personnes autour : les photos sont dispersées, on peut fouiller ». Accompagné de Jonathan Velasquez, jeune skateur latino de Wassup Rockers et l’un de ses acteurs fétiches, Larry Clark sera sur place tous les jours pour accueillir ses fans. Car l’Américain est ici chez lui : amoureux de la Ville Lumière, il y a pris un appartement où il résidera jusqu’au départ de Donald Trump.

Paris 100€, vente de photos de Larry Clark à 100€ pièce en présence de Larry Clark et Jonathan Velasquez, du 18 au 24 décembre de 10h à 20h, et jusqu’à 22h le samedi 24 décembre, à la Galerie Rue Antoine, 10 rue André Antoine, Paris 18e.

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