Les obsessions de Raymond Depardon

A la Fondation Henri Cartier-Bresson, le photographe présente avec “Traverser” une jolie exposition qui incite à la contemplation et à la méditation sur l’acte photographique et le temps qui passe.

Par Frédérique Chapuis

Publié le 16 septembre 2017 à 12h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h41

Avec sa nouvelle exposition intitulée Traverser où se mêle photos et écrits, Raymond Depardon fait un point sur cinquante ans de production d’images. En attendant la sortie de son prochain film 12 jours (en référence au temps de détention avant un internement psychiatrique), ou de son dernier livre Bolivie… 

Il compte, déjà, soixante-cinq livres, presque autant de cours et longs métrages et, quantité d’expositions à travers le monde qu’on ne parvient plus à compter… Insatiable, Raymond Depardon ne s’arrête jamais. On se demande, alors, quoi de neuf avec cette dernière exposition qui débute à la Fondation Henri Cartier-Bresson ? Agnès Sire, la commissaire précise d’emblée qu’il ne s’agit pas d’une traversée de l’œuvre mais plutôt de franchir une étape dans la réflexion sur son travail photographique.

Il revient, ici, sur plus de cinquante ans de photographie pour composer ces quatre chapitres : « la terre natale, le voyage, la douleur et l’enfermement », en piochant images et textes dans ses archives. L’homme, qui n’a validé que son certificat d’étude, écrit depuis toujours (Notes, 1979) dans la solitude de sa chambre d’hôtel, au cours des voyages qui le mènent loin de chez lui ; pour s’écouter d’abord, décrire les alentours, rassembler des réflexions sur la photographie ou le cinéma.

“Je voulais être solitaire ; solitaire, célibataire et nomade. Quand je voyage, je suis comme un enfant. Ne pas essayer de séduire”

Il y a un sens de la visite. Dans la première salle, il vaut mieux commencer par le mur de droite pour faire le tour dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Les premières images sont faites à la Ferme du Garret, à Villefranche-sur-Saône en 1957, Raymond a quinze ans. Puis, c’est le départ. Dans un cadre, un texte qui se présente de la même façon que les images (superbement tirées), on lit : « Je voulais être solitaire ; solitaire, célibataire et nomade. Quand je voyage, je suis comme un enfant. Ne pas essayer de séduire. »

Sans doute est-ce le plus admirable chez Depardon, cette présence naturelle au monde et, ce mépris de plaire. Boulimique, il écrit, fait des films, des images ; quand bien même c’est inégal, l’important est de traverser le temps, de l’éprouver avec sincérité et spontanéité.

Ferme du Garet, la chambre des parents, 1984. En médaillon de gauche à droite, Jean et Raymond Depardon.

Ferme du Garet, la chambre des parents, 1984. En médaillon de gauche à droite, Jean et Raymond Depardon.

© Raymond Depardon / Magnum Photos

Le commencement c’est, donc, La ferme du Garret où il grandit, qu’il quitte pour Paris et la photographie. Dans l’exposition on retrouve des documents de ses débuts comme paparazzi. Puis vient le temps des voyages qui font sa célébrité (Correspondance new yorkaise pour Libération, 1981), et le désert mauritanien, le Tchad, le Vietnam… à ce propos Depardon écrit : « Voyager c’est n’être rien du tout. Ni touriste, ni reporter. Ne chercher aucune performance. Ne rien chercher à prouver. »

Le mot « douleur » qui donne son titre au troisième chapitre réuni des images de son époque de reporter de guerre du Liban à l’Afghanistan en passant par l’Angola et le Rwanda… Une période difficile de sa vie durant laquelle il affronte ses propres peurs et celles des hommes qu’il photographie. « Aujourd’hui, écrit il, je prends ma revanche sur les peurs du reporter. J’ai souffert de cet état permanent de voyeurisme, d’agression, de sollicitude (…) il y fallait toute la force de mes racines de paysan pour ne pas céder à la folie. »

Peshawar, Pakistan, 1978

Peshawar, Pakistan, 1978

© Raymond Depardon / Magnum Photos

“Je suis resté trop longtemps en silence, en résistance, en lutte contre la lumière”

Enfin, « enfermement » dernier épisode de cette esquisse de trajectoire professionnelle, traduit l’angoisse qui court en filigranes dans toute l’œuvre et la vie de Raymond Depardon. On revoit pour l’occasion, les images de l’asile psychiatrique d’Arezzo (1979), Naples, Turin, la prison de Clairvaux ou encore le tribunal de Bobigny. Et, dans les textes qui se rattachent à cette série de clichés, le photographe confie à Agnès Sire, que si déjà à la ferme du Garret il était esthétiquement attiré par les murs, parce qu’ils ferment l’image, c’est cela qui l’a peut être décider à partir, pour aller là où il y a justement des murs, les hôpitaux, les prisons. Néanmoins cette fascination s’accompagne aussi d’inquiétudes, celles de perdre sa liberté ou simplement de rater, de se retrouver face au mur. « J’ai été en colère, je suis resté trop longtemps en silence, en résistance, en lutte contre la lumière, contre l’icône qui ne venait pas et que tout le monde attendait. J’ai raté beaucoup de choses. Mes photos ne sont peut être que des ratages, mais quelle chance ! Les photos réussies, c’est terrible. »

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