Jean-Marie Périer : “Les gens veulent voir les célébrités avant tout”

Exilé à Villeneuve d'Aveyron, le photographe culte des sixties inaugure une Maison de la Photo où il expose ses visions polychromes de l'âge d'or du rock'n'roll. Reporters sans frontières lui consacre parallèlement un album de cent clichés iconiques de John Lennon, Françoise Hardy, Miles Davis, Mick Jagger...

Par Joséphine Bindé

Publié le 21 juillet 2015 à 16h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h46

Jacques Dutronc entouré de filles nues dans une décapotable jaune, Stevie Wonder riant aux éclats dans Central Park, les Beatles cachés derrière une porte, Sylvie Vartan mangeant une glace avec Françoise Hardy, un Mick Jagger échevelé… De Miles Davis à Johnny Hallyday, en passant par Bob Dylan, Claude François et Michel Polnareff, toutes les stars des années 1960 et 1970 sont passées devant l’objectif de Jean-Marie Périer. Joyeux et colorés, ses clichés n’ont pas fini d’attirer les foules.

Aujourd’hui âgé de 75 ans, le mythique photographe de Salut les Copains vient d’ouvrir une Maison de la Photo à Villeneuve d’Aveyron, le petit village où il s’est installé il y a vingt ans. Fatigué du snobisme parisien, il a choisi une bastide du XIVe siècle et le chant des cigales pour exposer gratuitement ses photos de l’époque… et bientôt accueillir d’autres photographes. Jean-Marie Périer nous en parle avec humour et conviction.

Comment est né le projet de cette Maison de la Photo ?

Ça fait vingt ans que j’habite le village de Villeneuve d’Aveyron. Ce n’est pas si simple d’être accepté par les Aveyronnais quand on vient de la capitale. Mais ils ont eu la gentillesse de le faire. Comme je n’ai pas fait creuser de piscine et que je suis là en hiver, ils ont bien vu que je n’étais pas en villégiature. Ils se sont dit : « Il est sérieux ! » Et comme mes expositions de photos des années 1960 ont toujours bien marché, je me suis dit que j’allais leur renvoyer l’ascenseur.

Il se trouve qu’il y avait cette bastide [qui abritait auparavant le Musée Mistral, Musée des Arts et Savoirs Populaires d’Aline Brisebois, ndlr]. C’est mon ami Michel Heuillet qui me l’a proposé [décédé en début d’année, le journaliste a contribué à porter le projet et à le présenter à la municipalité de Villeneuve, ndlr]. Il dirigeait un journal appelé Le Villefranchois, et pour lequel, toutes les trois semaines, je faisais le portrait d’une personne de la région ou d’une star, avec une photo et un texte [ces portraits ont été rassemblés dans un livre Loin de Paris. On y trouve des boulangers et des bistrotiers, mais aussi des chanteurs et des écrivains connus, ndlr].

“J’en avais par-dessus la tête des ayatollahs de l’intelligentsia parisienne et de leur mépris pour la province !”

On raconte que Jacques Dutronc vous avait vanté les beautés de cette région, qu’un jour vous avez demandé à l’agence immobilière de Figeac de vous trouver « une petite ferme au milieu de rien » et que, trois mois plus tard, vous vous êtes installé à sept kilomètres de Villeneuve. Qu’est-ce qui vous inspire particulièrement en Aveyron ?

J’en ai par-dessus la tête des ayatollahs de l’intelligentsia parisienne et de leur mépris pour la province ! La décentralisation est une question qui me tient à cœur. Donc je me suis dit : « décentralisons ». Car pourquoi pas eux ? Finalement, je trouve ça beaucoup plus sophistiqué de faire ça dans mon village plutôt que dans une grande ville. D’ailleurs, je suis convaincu que la seconde partie du XXIe siècle sera le retour au village.

Y a-t-il pour vous un lien qui unit vos photos des années 1960-1970 et cette bastide du XIVe siècle ? L’idée de quelque chose qui serait hors du temps, une certaine nostalgie ?

Vous pouvez le voir comme ça si vous voulez [rire], mais non, il n’y a pas de lien particulier. Ces photos étaient faites pour être punaisées aux murs dans les chambres des mômes. A l’époque, ils avaient 15 ou 20 ans, ils en ont 60 ou 70 aujourd’hui. Ce sont les mêmes qui viennent les voir. Ces photos sont faites pour être mises aux murs, tout simplement.

“C’est la plus belle collection de photos de ma vie”

Quel a été le fil directeur de votre exposition permanente ? Comment avez-vous sélectionné les clichés ?

Il y a 190 tirages, dont plusieurs font 1m20 sur 1m80 ! C’est la plus belle collection de photos de ma vie. D’habitude, quand je fais une exposition, ça coûte cher, puisque je loue mes photographies. Mais là, c’est différent. Le deal, c’est que les photos sont exposées gratuitement jusqu’à ma mort, et qu’ensuite, elles reviendront à mes enfants. En ce qui concerne la sélection, je sais ce qui plaît. Je n’ai pas choisi les photos en fonction de mes goûts. Je les ai choisies pour les gens, pour que les gens qui viennent les voir retrouvent leurs propres souvenirs. Car ce sont les célébrités qu’ils veulent voir avant tout. Donc même si une photo n’a pas de signification particulière pour moi, si la séance s’est mal passée ou n’a duré que cinq minutes, du moment que c’est une personnalité que les gens veulent voir, je la choisis. Il y en a pour tous les goûts, des Rolling Stones à Johnny Hallyday !

Ce musée accueillera-t-il aussi des expositions temporaires d’autres photographes ?

Oui, bien sûr. Il faut que ça vive, que ce soit ouvert à d’autres. Si on se limitait à mon expo permanente, ça ne durerait que trois ans. Arrêtons le narcissisme ! Quand j’ai exposé à Toulouse il y a deux ans, il y a eu 42 000 personnes en deux mois. Et à la Mairie de Paris en 2001, 150 000 visiteurs en deux mois et demi. C’est énorme ! Je veux donc faire bénéficier la région de ce succès. Maintenant, il y a deux « poids » culturels en Aveyron : le Musée Soulages, et la Maison de la Photo. Avec une seule différence : chez moi, il y a plus de couleurs ! [rires]. Ce que je souhaite, c’est permettre à des photographes de Midi-Pyrénées, et à d’autres, de pouvoir exposer à Villeneuve. L’idée, c’est vraiment de mettre en valeur ceux qui ont du mal à être exposés. C’est une association qui s’occupe d’organiser ça. Ça va prendre quelques mois, mais dès que la salle est prête, on y va !

“Certains journalistes et photographes prennent des risques monstrueux alors que moi, je n’en ai jamais pris aucun”

Récemment, vous avez fait cadeau de 100 photos à Reporters sans frontières. Dans cet album, c’est la rencontre de deux univers très différents : le vôtre, joyeux et insouciant, celui des stars des années 1960, et un autre beaucoup plus sombre, celui de l’actualité du monde de la presse : la censure en Thaïlande, la détention d’une journaliste en Syrie...

Oui, ce sont des univers complètement différents. Je trouve ça formidable qu’ils m’aient proposé de faire ce numéro. Tous les photographes rêvent de ça ! Je n’aurais jamais osé leur demander. Mais en tous cas, ça se vend. On m’a dit que ce numéro allait être le plus vendu de tous, c’est fou ! Ces journalistes et ces photographes font un travail formidable, ils prennent des risques monstrueux alors que moi, je n’en ai jamais pris aucun. J’ai toujours fait mes photos sur rendez-vous ! [rires]. J’ai toujours été associé à un succès très populaire, et le parisianisme snob méprise ce qui est populaire. Dans certaines institutions reconnues, ils gerbent en entendant mon nom… Donc de ce point de vue là, j’apprécie vraiment le geste de Reporters sans frontières.

Photo: Jean-Marie Périer

Vous dites avoir arrêté de prendre des photos. La photo, c’est vraiment du passé pour vous ?

Pas totalement. Par exemple, j’ai collaboré à un livre sur les vignerons [Les vins de Laure, de Laure Gasparotto, avec le portrait de 40 vignerons d’exception, publié chez Grasset, ndlr]. Par contre, je ne supporte plus de prendre des photos de gens célèbres. Avant, c’était simple, j’appelais Paul McCartney, ou Mick Jagger, et j’allais chez eux. On était jeunes et on faisait les choses simplement. Mais aujourd’hui, ce n’est plus pareil. Je ne veux pas de crétins en Armani qui causent à leur montre ! En revanche, j’aime montrer mes photos de l’époque. Mes modèles sont tous jeunes et beaux, alors qu’aujourd’hui, ils sont un peu moins jeunes et moins beaux [rire]. Mais ça me fait toujours plaisir de les rencontrer !

“Maintenant que j’ai 75 ans, je ne veux surtout pas me retrouver à regarder la télé en plein après-midi !”

On ne peut pas être vieux et beau ?

Ça me fait rire, les gens qui parlent de la beauté des rides, qui disent « La vie commence à 65 ans »… Non, il faut arrêter ! Ce n’est pas vrai. Tous ces mômes qui viennent nous voir et nous disent qu’ils auraient aimé vivre dans les années 1960, que c’était mieux avant… Non, ce n’était pas mieux avant. Ne serait-ce que pour aller chez le dentiste [rires]. C’était mieux avant pour moi, parce que j’étais jeune, que j’avais 25 ans et pas 75 ans, c’est tout !

Quels sont vos autres projets en ce moment ?

Je présente le spectacle Flashback au théâtre de la Michodière [il y aura quatre représentations les 12, 19, 26 octobre et 2 novembre 2015]. En fait, toute ma vie, j’ai été sur scène dans ma tête. Maintenant que j’ai 75 ans, je ne veux surtout pas me retrouver à regarder la télé en plein après-midi ! J’ai eu envie de prendre un vrai risque, d’avoir le trac, la pétoche ! Après tout ce que j’ai fait, on ne me parle que des sixties. Je me suis dit « Ok, ça doit être mon karma. Donc je vais raconter ce que j’ai vécu et vu ».

A voir : Maison de la Photo, Place des Conques, 12260 Villeneuve. Horaires : 10h-12H30, 15h-18h30, de mai à octobre. Ouvert de mai à octobre. Fermé le lundi. Entrée adulte : 5 euros.

A lire : Reporters sans frontières, 100 photos de Jean-Marie Périer pour la liberté de la presse, en kiosques, en librairie ou sur internet. 9,90 euros.

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus