Sans Martine Franck, la Fondation Henri Cartier-Bresson n'aurait jamais existé

A l’étroit dans l’ancien atelier du 14e arrondissement, le trésor photographique du couple Cartier-Bresson est transféré dans le Marais après plusieurs années de travaux. L’institution consacre logiquement une rétrospective à Martine Franck, la veuve d’Henri Cartier-Bresson dont le rôle a été déterminant. 

Publié le 06 novembre 2018 à 13h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h13

   « S’il n’y avait pas eu la ténacité de Martine Franck, il n’ y aurait sans doute jamais eu de Fondation Henri Cartier-Bresson, rappelle Agnès Sire, directrice de la première fondation. Lorsqu’on abordait le sujetHenri, comme d’habitude, jouait à l’anar contestataire, pour finir par dire : oui, pourquoi pas… » Finalement au début des années 2000, le couple achète un atelier d’artiste dans une impasse du 14e arrondissement. Même si l’espace s’avère trop étroit pour entreposer toute l’œuvre de Cartier-Bresson et qu’il est impossible d’ajouter les archives de Martine, Agnès Sire se souvient de celle-ci disant : « Qu’importe, ce sera fait. Pour le reste, on verra plus tard. »  Sachant qu’Henri, déjà âgé, n’allait pas vivre éternellement, elle voulait absolument qu’il inaugure la fondation, qu’il clarifie ce que l’on pourrait faire et ne pas faire avec les œuvres et que toutes les questions de succession soient réglées. Une chose est certaine : ce ne sera pas un mausolée, comme dans nombre de fondations où le visiteur est invité à visiter la maison de l’artiste. Non, ce lieu a pour vocation de faire rayonner l’esprit d’Henri Carier-Bresson en étant ouvert aux autres photographes et même aux peintres et sculpteurs par des expositions temporaires (ce qui ne s’est encore jamais produit). Tous les deux ans, un prix de 30.000€ soutien le projet d’un photographe. Des rencontres y sont organisées et l’accès aux archives accessibles aux chercheurs. Ainsi, on y vient une fois et on y revient.

En 2003, après avoir été reconnue d’utilité publique par Lionel Jospin, alors premier ministre, la Fondation Henri Cartier-Bresson ouvre ses portes Impasse Lebouis, avec l’exposition, « Scrapbook d’Henri Cartier-Bresson ». Le grand Monsieur disparaîtra un an plus tard. En 2011, lorsque Martine Franck, malade, comprit qu’elle allait partir à son tour, le démagement vers un quartier plus central avait déjà été décidé. Après de fastidieuses recherches immobilières et de longs travaux, on inaugure enfin, ce 6 novembre 2018, les nouveaux locaux installés à la place d’un ancien garage automobile, au 79, rue des Archives, dans le 3e arrondissement. L’œuvre de Martine Franck, décédée en 2012, a rejoint celle de son mari. Ainsi, le trésor du couple consiste en un patrimoine de 50 000 tirages originaux, 200 000 négatifs et planches contacts, 4 500 lettres et manuscrits, 1 500 ouvrages. Si l’épouse n’a pas voulu que le nom de la Fondation soit changé, c’est à elle que revient l’honneur d’inaugurer la nouvelle adresse. « Nous avons réfléchi ensemble à ce qu’elle voulait pour cette exposition, raconte Agnès Sire, directrice artistique de la nouvelle Fondation. Elle a revu ses tirages et fait une mise au point de tout ce qu’elle considérait comme étant “de son œil”. Puis, nous nous sommes demandé comment aborder les choses. Elle ne voulait pas refaire le énième accrochage du genre “les quatre-vingt meilleures images de...” Il était plus intéressant que ce soit autobiographique en reliant les portraits des gens qu’elle photographiait avec l’époque qu’elle vivait. »

Plage, Village de Puri, Inde, 1980.

Plage, Village de Puri, Inde, 1980. FRANCK MARTINE / MAGNUM PHOTOS

Fille de banquier et malgré, ou à cause, d’une éducation très bourgeoise, Martine Franck était devenue une jeune femme militante comme en témoigne cette exposition qui retrace sa vie et ses engagements. Elle démarre par mai 1968, (l’époque où elle s’affirme comme photographe) avec des clichés du MLF. Puis des photos de l’enterrement de De Gaulle côtoient des portraits du philosophe Michel Foucault et de l’une des fondatrices de la jeune compagnie du Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine (son amie d’enfance dont elle deviendra la photographe attitrée). Le déroulé se poursuit avec les images faites lors de ses voyages autour du monde, ses portraits... Pour s’achever par des paysages et des clichés pris au Tibet, dont elle soutin la cause avec Henri, jusqu’à devenir bouddhiste. En 1970, Martine Franck épouse Henri Cartier-Bresson. Leur fille Mélanie naîtra en 1972. Cette année là, avec Claude-Raymond Dityvon, Hervé Gloaguen, Richard Kalvar, Guy Le Querrec, ils fondent Viva. Cette agence photo compte sur le travail collectif pour envisager un renouveau du reportage portant un regard critique et subjectif sur les évènements politiques et la société. Ainsi découvre-t-on par un extrait de la série sur les Français en vacances. En 1979, Viva ferme pour raison financière. Mais l’autodidacte a trouvé son identité en photographie, en s’engageant dans la défense de la cause des femmes, des plus démunis ou encore des personnes âgées.

“J’ai tant reçu dans ma vie, j’ai eu envie de rendre quelque chose”

A la question posée par Dominique Eddé (1) sur sa motivation en tant que photographe, elle répondait : « Mon empathie. J’ai envie de la transmettre. J’aime les gens. La photographie c’est autre chose qu’un métier. J’ai tant reçu dans ma vie, j’ai eu envie de rendre quelque chose. » Martine Franck rejoint l’agence Magnum en 1983. A l’époque Henri Cartier-Bresson est célébrissime, mais la photo ne l’intéresse plus. Il lâche l’appareil pour retourner au dessin et à la peinture. S’il ne défend plus l’image fixe comme il a pu le faire dans les années 60, il soutient et encourage néanmoins sa compagne. Il confiera même admirer ses paysages et ses portraits, délicats et sensibles, loin des open flash et mises en scène que réclamait l’époque. « Albert Cohen m’a offert un regard, confit-elle lorsqu’elle fit son portrait en 1968. Si la personne que tu photographies ne te donne rien, ça ne marche pas. »

D’origine Belge, éduquée dans une famille de collectionneurs qui prêtait ses œuvres afin qu’elles soient vues par le plus grand nombre, Martine Franck avait décidé que tout ce qui était le plus beau devait revenir à la Fondation afin d’être partagé avec le public. « Pendant longtemps, dit elle, j’ai combattu mes origines bourgeoise. Depuis que la Fondation existe avec un vrai but à maintenir, je suis très reconnaissante de l’héritage matériel qui m’a permis de faire aboutir ce projet. » Si, elle n’avait pas été photographe, celle qui avait fait des études d’histoire de l’art, aurait aimé être conservatrice de musée. Ce désir s’est finalement accompli.

(1) Les citations de Martine Franck sont extraites de l’album qui accompagne l’exposition, paru aux Éditions Xavier Barral, 238p., 60€.

Fondation Henri Cartier-Bresson, 79, rue des Archives, 3e Paris. Mar.- dim. 11h-19h, (5-9€). Tel : 01 56 80 27 00, henricartierbresson.org

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