“Shooting Holy Land”, un film dans les pas de Josef Koudelka

par Sarah Petitbon
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Ce lundi à 00h30, Arte diffuse, pour la première fois à la télévision, le documentaire “Koudelka. Shooting Holy Land” du réalisateur israélien Gilad Baram. Fruit d’un travail de quatre ans, le film suit le photographe de Magnum dans son projet sur le mur de séparation entre Israël et Palestine.

Josef Koudelka sur le tournage de “Shooting Holy Land”, un documentaire de Gilad Baram sorti en 2015.
© Gilad Baram.

“Toute ma vie, jusqu’à ce que je quitte la Tchécoslovaquie à 32 ans, j’ai voulu me rendre de l’autre côté du mur, confie Josef Koudelka en préambule du documentaire ‘Koudelka. Shooting Holy Land’ que lui consacre le réalisateur israélien Gilad Baram. Pour moi, [mon pays] était une prison. J’étais enfermé dans une cage.”

Quarante ans plus tard, Koudelka l’exilé, le nomade, enfant de la guerre froide et du rideau de fer, forcé à fuir son pays après l’entrée des troupes russes dans Prague en 1968, s’est laissé happer par une nouvelle histoire de mur et de séparation.

Le décor? Le désert rocailleux du Néguev, les collines parsemées d’oliviers de Cisjordanie, la mer morte, Hébron, Bethléem, Jérusalem… Le photographe de l’agence Magnum, aujourd’hui âgé de 79 ans, n’avait jamais mis les pieds dans la région. Et c’est plein de réticences qu’il se rend en Israël, pour la première fois, en 2008, convié par le photographe français Frédéric Brenner. Ce dernier souhaite qu’il rejoigne le projet “This Place”, dans lequel une douzaine de photographes à la renommée mondiale sont invités à livrer leur regard sur Israël et “ses contours géographiques, historiques, métaphoriques”.

Entre 2008 et 2012, le photographe de l'agence Magnum a documenté le mur qui sépare Israël de la Palestine.
© Gilad Baram.

“J’y suis allé quatre fois avant de prendre une décision, se souvient Josef Koudelka. Je ne voulais pas être manipulé ni utilisé.” Il accepte finalement le projet dont on lui assure qu’il ne reçoit pas de subvention de l’Etat hébreu et décide presque naturellement de photographier celui que les Palestiniens nomment “mur de séparation” et que la terminologie israélienne désigne comme “barrière de sécurité”. “Un mur: deux prisons”, résume Koudelka.

Pendant quatre ans, de 2008 à 2012, il arpente ainsi les abords de la haute clôture de béton en se concentrant uniquement sur les paysages. Sur ses talons: Gilad Baram, alors étudiant en photographie aux Beaux-Arts de Jérusalem, âgé de 27 ans. L’apprenti est chargé d’assister le “maître” et de le guider sur ses terres. “Au bout de quelques jours, j’ai dû me rendre à l’évidence: la dernière chose dont Josef avait besoin était d’un assistant!”

Le jeune homme doit alors trouver une raison d’être à ses côtés et commence à le filmer. “Je devais créer à mon tour.” A chaque séjour du photographe (sept en tout), Gilad Baram l’accompagne et tourne sans bien savoir ce qu’il fera de ses images. En 2011, il a déjà accumulé 140 heures de vidéo. “C’est là que je me suis aperçu que j’avais suffisamment de matière pour faire un film.”

Le résultat est un documentaire passionnant sur un artiste à l’œuvre. Une plongée exceptionnelle au cœur de la production des images de l’un des plus grands photographes du XXe siècle.

Avant de réaliser son film, Gilad Baram avait la mission d'assister Josef Koudelka dans son travail en Israël et en Palestine.
© Gilad Baram.

“Parfois, il avait l’air possédé”

Après quelques tâtonnements, Gilad Baram a trouvé la bonne distance et adapté son rythme à celui de son aîné. “Au début, je bougeais beaucoup autour de lui avec ma caméra. Au fil du temps, je me suis aperçu que si je voulais faire son portrait et être au plus près du processus de création, il fallait que je me calque sur sa manière de travailler.”

Le réalisateur choisit alors de filmer en longs plans fixes, sans voix off, ni commentaire. Seul élément mobile du décor, Koudelka lui-même dont les mouvements pour trouver le bon angle ou la composition juste tiennent presque de la danse. “Parfois, il avait l’air possédé”, sourit Gilad Baram.

Entre chaque séquence de prise de vues, le réalisateur intercale des images en noir et blanc du photographe, ses paysages panoramiques. La puissance du regard de Koudelka se révèle alors. L’absence d’humains dans les clichés souligne toute l’absurdité du décor. Sa violence aussi.

“Comment peut-on faire ça à un si beau paysage?” ne cesse de s’interroger Koudelka. Dans une subtile mise en abyme, le film de Gilad Baram provoque les mêmes questionnements. Un beau documentaire sur la fabrication de l’image et l’art de regarder.

Pour son travail intitulé “Wall”, Josef Koudelka a utilisé le noir et blanc et le format panoramique.
© Gilad Baram.
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