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Des journalistes et réalisateurs réclament des appareils pouvant crypter les images

Des journalistes et réalisateurs réclament des appareils pouvant crypter les images

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Par Thibault Prévost

Publié le

Une lettre ouverte, signée par plus de 150 journalistes et réalisateurs de documentaires, demande aux fabricants de caméras et d’appareils photo d’intégrer une fonctionnalité de chiffrement des images.

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Depuis la révélation de l’existence des systèmes de surveillance à grande échelle de certaines agences de renseignement gouvernementales et l’instauration, un peu partout dans le monde, de strictes politiques sécuritaires, le chiffrement des données est devenu l’un des grands points de tension entre acteurs gouvernementaux et représentants de la société civile. Et si la protection des données privées s’est transformée en argument de vente pour les mastodontes de la communication mobile – Whatsapp ou Apple en tête – il reste encore au moins un domaine dans lequel le chiffrement des données est remarquablement absent : celui des images.

Face à ce constat, la Freedom of the press foundation (FPF) a publié le 14 décembre une lettre ouverte, signée par plus de 150 journalistes, documentaristes et réalisateurs (dont quatre ont été récompensés aux Oscars et 14 autres y ayant été nommés), pour réclamer aux principaux fabricants de caméras numériques (Sony, Canon, Nikon, Olympus, Fujifilm, etc.) la création de modèles permettant de chiffrer immédiatement les images filmées, afin qu’elles ne puissent pas être saisies, consultées ou détruites d’un simple mouvement. Wired rappelle l’exemple de Laura Poitras, réalisatrice du documentaire Citizenfour (qui relate réellement l’histoire de Snowden, contrairement à la version d’Oliver Stone) et membre du directoire de la FPF, obligée de détruire les cartes SD utilisées pendant le tournage pour ne pas compromettre ses sources. Et, chaque jour, les exemples se multiplient.

Défi technique

“Nous travaillons dans certains des endroits les plus dangereux de la planète, souvent en tentant de mettre à jour des actes répréhensibles dans l’intérêt de la justice, détaille la lettre. À de nombreuses occasions, des réalisateurs et photojournalistes ont vu leurs rushes saisis par des gouvernements autoritaires ou des criminels du monde entier. Puisque le contenu de leurs caméras n’est et ne peut pas être chiffré, il n’existe aucun moyen de protéger les images une fois saisies.” Mais intégrer une telle option de chiffrement ne semble pas si aisé.

En farfouillant un peu, on se rend rapidement compte que de telles solutions ont déjà été tentées :  Canon vendait ainsi une option de chiffrement sur les EOS 1Ds et EOS 1D-Mark III, ainsi qu’un “kit de vérification”, tandis que Lexar avait développé une carte mémoire qui promettait le chiffrement des données.

Malheureusement, aucun de ces systèmes ne s’est avéré suffisamment robuste, et il n’existe donc toujours pas de procédé satisfaisant en termes de sécurité. Côté logiciel, celui de Canon, Magic Lantern, a également tenté le coup, mais l’altération du code de la caméra est loin d’être accessible à l’utilisateur lambda.

Souriez, c’est une caméra cassée

La solution serait donc de mettre en place un chiffrement progressif, à mesure que les images sont enregistrées. Celles-ci ne seraient ensuite accessibles qu’après avoir entré un mot de passe. Et ça, explique Wired, c’est excessivement compliqué : les images captées par les caméras modernes étant de très haute qualité, les données sont extrêmement lourdes, et inventer un système de chiffrement en continu sans altération de l’image nécessite non seulement un nouveau logiciel mais de nouveaux microprocesseurs… en plus d’un savoir-faire en sécurité informatique que Canon ou Nikon n’ont pas. Les compagnies sont-elles prêtes à investir dans une telle innovation? Là réside tout le problème.

Il n’empêche, la demande de Laura Poitras et de ses homologues de la FPF est parfaitement légitime : chaque jour, des journalistes, documentaristes ou simples témoins d’exactions, sous des régimes autoritaires aussi bien que sous nos jolies latitudes démocratiques, voient leurs caméras arrachées par les forces de l’ordre, leurs images effacées, leurs téléphones portables tout bonnement détruits.

Pas plus tard que cet été, des journalistes couvrant les manifestations contre la loi Travail ont été contraints, par la police, d’effacer leurs images. Le 6 novembre dernier, le vidéaste Gaspard Glanz, de Taranis News, s’offrait ainsi 18 heures de garde à vue après avoir refusé de montrer ses images. La caméra, elle, est toujours détenue à l’hôtel de police de Strasbourg.