L'histoire des Rencontres d'Arles s'étale sur quarante-cinq ans. Elles sont nées du désir qu'éprouvaient Lucien Clergue et ses amis de célébrer la photographie comme un art majeur en un temps où celle-ci était encore regardée avec condescendance dans les milieux de la culture officielle, comme trop populaire ou trop reliée à l'information. A partir d'un noyau d'amateurs, la manifestation grossit, à telle enseigne qu'elle incita, en 1982, le président Mitterrand à fonder l'Ecole nationale supérieure de la photographie à Arles plutôt qu'à Paris.
Mais l'engouement pour la photographie, qui s'affirma au milieu des années 1980, suscita la floraison de manifestations concurrentes en France et à l'étranger, non sans dommage pour Arles. Lorsqu'en 2001 François Hébel est appelé à la barre, il hérite d'une manifestation en piteux état : essoufflée, endettée, menacée de disparition.
SOUTIEN DE DEUX PRÉSIDENTS SUCCESSIFS
Douze ans durant, sous sa direction, forte du soutien de deux présidents successifs, François Barré puis Jean-Noël Jeanneney, il est parvenu à faire des Rencontres d'Arles l'un des joyaux de la France culturelle de l'été. L'afflux des visiteurs (20 % de l'étranger) en témoigna. Le nombre passa de 9 000 en 2001 à presque 100 000 en 2013 – soit près du double du "in" d'Avignon.
Cet essor a été enraciné en profondeur dans le territoire arlésien, contribuant à sa prospérité et à la solidarité sociale, en un temps où l'activité économique y vacillait. Cette année, les Rencontres ont résorbé 5 % du chômage, et suscité de nombreux emplois indirects dans l'hôtellerie, la restauration et le commerce. Le Festival a répondu à l'appétit croissant des milieux scolaires pour la photographie en créant, avec l'appui du ministère de l'éducation, en 2003 une "Rentrée en images", où sont passés depuis dix mille élèves et sept cents professeurs.
Quant à l'extérieur de la France, le festival pourrait s'affirmer, à peu de frais, comme un outil magnifique de rayonnement – en un moment de contraintes budgétaires. La "marque" est prestigieuse. Le réseau des amitiés créées est universel.
C'est dans cette conjoncture que le directeur et le président des Rencontres, comptables de la valorisation d'un si précieux capital, ont élaboré, en 2012, un plan de développement qu'ils ont présenté au conseil d'administration, chaleureusement approbatif, et proposé aux pouvoirs publics.
Il s'agissait de créer un Centre international de la photographie qui fasse référence, capable de fournir, clés en main ou en appui, des prestations similaires dans le monde entier. Il accueillerait des stages, un atelier de décors, une exposition permanente l'hiver, toutes activités lucratives n'appelant pas de subventions. Les Rencontres pourraient organiser la sauvegarde de leurs archives et leur mise en valeur au coeur d'un site Internet.
INCERTITUDE AU-DELÀ DE 2015
Rien de gargantuesque. Il était loisible d'étaler dans le temps ces projets ; d'espérer un apport des pouvoirs publics, même modeste ; et de susciter la contribution de mécènes nouveaux. Il était permis de rêver à une synergie avec l'Ecole nationale de la photographie, qui doit s'installer bientôt dans un bâtiment neuf, aux marges des Ateliers. Leur rapprochement aurait servi une ambition commune !
Hélas ! ces projets n'ont pas suscité de réaction concrète de l'Etat, à aucun niveau. Les subventions pérennes venues des ministères n'ont augmenté que de 31 % en trois ans, pour un niveau annuel de 680 000 euros sur un budget total, en 2013, de 6,3 millions d'euros, majoritairement nourri par des recettes propres.
C'est ainsi que s'est trouvée remise en cause la présence des Rencontres dans les anciens ateliers de la SNCF : réduction de ses emprises à court terme, incertitude au-delà de 2015. Et cela sans que le maire de la ville paraisse s'en inquiéter. Il faut savoir que le festival a défini et promu son image dans ce lieu des Ateliers, friches industrielles proches du centre d'Arles et rachetées par la région.
C'est François Hébel qui a démontré, dès 1986 (lors d'un bref passage aux Rencontres), que ces espaces pourraient incarner la modernité. Si les églises désaffectées d'Arles conservent leur charme, leur structure rigide n'autorise pas la scénographie requise quant à la sécurité des oeuvres. Les Ateliers de la SNCF, dont il avait été prévu jadis qu'ils fussent rasés, ont apporté aux Rencontres les surfaces d'exposition qui leur manquaient et un coeur à la manifestation, qu'ils ont bientôt symbolisée.
Or ces espaces vont être repris aux Rencontres, en 2014, les faisant régresser douze ans en arrière. Ils doivent être vendus à une mécène généreuse, Maja Hoffmann (qui suit son père, bienfaiteur de la région, et dont le soutien financier n'a d'ailleurs pas manqué au festival). Sa fondation, Luma, s'apprête à édifier, à la marge des Ateliers, un bâtiment conçu par l'architecte américain Frank Gehry. Elle souhaite acquérir l'ensemble de cet espace, sans qu'aucune part bien définie n'en soit attribuée aux Rencontres, et le remodeler à compter de cet hiver.
DES PROPOSITIONS INADÉQUATES
Si l'idée de cette construction était publique depuis six ans, l'indisponibilité de tout ou partie des Ateliers pour les Rencontres, pendant les mois d'été, n'avait jamais été évoquée. Les propositions de lieux de remplacement qui leur sont faites sont provisoires et inadéquates. Tout ce qui a été investi d'énergie et de passion, au fil des ans, ne paraît pas compter pour grand-chose.
En dépit de propositions alternatives formulées par nous auprès de Maja Hoffmann comme auprès des tutelles, aucun projet clair de répartition durable n'a été précisé. Nous apportions pourtant des solutions à moindre coût : il était possible de séparer le terrain en deux lots, Luma d'une part, de l'autre, les Rencontres rachetant ses bâtiments d'exposition pour seulement 6 millions d'euros, financés en vingt ans sur leur budget annuel, sans subvention supplémentaire.
Au lieu de cela, les Rencontres sont, de fait, mises à la porte de leur lieu d'élection. Douze ans d'investissements consentis par elles afin d'équiper ces bâtiments pour l'accueil du public seront perdus. La promesse de les accueillir encore, au moins un an ou deux, dans un contour imprécis, ne garantit rien pour la suite. Sans les Ateliers, la dimension actuelle du Festival serait diminuée de moitié.
Dans ces conditions, nous nous trouvons tout à la fois empêchés de voir clair à court terme et de planifier un essor à moyen terme. François Hébel a dû prendre acte de cette situation. Ainsi a-t-il souhaité, non sans chagrin, que soit organisé son départ. Les signataires de ce texte ne peuvent que le comprendre et en prendre acte.
Le conseil d'administration s'attachera à permettre que l'édition 2014 ait lieu dans des conditions convenables, si possible sous la responsabilité, pour la dernière fois, de François Hébel. Son président veillera, avant de passer la main à son tour (accompagné de plusieurs des signataires de ce texte décidés à le suivre dans cette retraite), à assurer la transition. Mais ce ne sera pas sans le sentiment d'une belle occasion manquée.
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