Correspondance new-yorkaise 2017

Raymond Depardon : «On voyait tout New York derrière les cuvettes des lavabos»

Alors qu’il se relance dans une série d’instantanés quotidiens des Etats-Unis, publiés chaque jour dans «Libé», le photographe se souvient de sa précédente expérience du genre, à l’été 1981.
par Raymond DEPARDON et Clémentine Mercier
publié le 1er mai 2017 à 20h06

En juillet 1981, dans les pages «Etranger» de Libération, paraît tous les jours une photo en noir et blanc prise à New York par Raymond Depardon. Pendant près d'un mois, le reporter de Magnum capte alors des hors-champ de l'actualité ou des portraits d'Américains. La «Correspondance new-yorkaise» débute le 6 juillet, jour de ses 39 ans. Ces lettres photographiques, légendées avec poésie, ont fait date dans l'histoire de la photo française, qui découvrait alors son versant «auteur». Si bien que l'ex-patron de Magnum et des Rencontres d'Arles François Hébel, aujourd'hui directeur artistique du Fiaf (French Institute Alliance française), a proposé de renouveler l'expérience. Pendant dix jours, Raymond Depardon enverra ainsi à Libé des vues quotidiennes de New York faites à la chambre 20 × 25.

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Comment sont nées ces «Correspondances» ?

Après une interview dans Libé intitulée «les Années déclic», je passe au journal et, dans le bureau de Serge July [alors directeur de la publication, ndlr], je raconte que je vais rejoindre une amie à New York pour l'été. Le journal cherchait une correspondance estivale pour remplir juillet-août. Ils me proposent alors d'envoyer une photo tous les jours. J'ai senti le sol s'enfoncer sous moi. Quelle connerie je n'avais pas dite ! J'aurais dû me taire ! Je partais à New York pour traînasser. Voilà le point de départ.

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Sur place, comment cela s’est-il passé ?

Pour envoyer les photos en France, nous sommes passés par le courrier du Herald Tribune, qui partait tous les deux jours via le Concorde. J'étais un peu paniqué. Pour les sujets, nous avions contacté le service photo du New York Times pour que j'intègre l'équipe de photographes. Je voulais me joindre à eux et les suivre sur le terrain. Je comprenais un mot sur cinq de ce que me disait Durniak, le chef du service photo. Au début, je me suis mis dans la salle des photographes. L'un d'entre eux était Dith Pran, un jeune homme, héros rescapé du Cambodge devenu photographe et, plus tard, l'objet du film la Déchirure de Roland Joffé. Il est parti sur une manif de la police à Harlem et je l'ai suivi. J'étais comme un stagiaire. Plus tard, les syndicats m'ont expulsé. A ce moment-là, j'ai donc dû quitter le photojournalisme, privilégier les photos dans la rue, dans les musées. J'ai dû sauter sans parachute, en quelque sorte.

Certaines légendes sont mélancoliques…

Avec mon amie, j'étais parti voir la statue de la Liberté. Et puis on s'est disputés, une querelle d'amoureux. Quand j'ai écrit le texte le lendemain, j'étais triste et déprimé. Au courrier des lecteurs de Libé, ils ont reçu des tas de lettres de gens qui voulaient prendre ma place à New York, puisque je n'allais pas bien. Au fond, j'attaquais un mythe. New York était le symbole de la liberté, de la photographie, du rêve américain. On n'avait pas le droit de flipper dans cette ville.

Comment expliquez-vous que ce projet ait fait date ?

La «Correspondance new-yorkaise» a été imitée de nombreuses fois. Une éditrice américaine m'a dit «c'est so French» à cause des légendes, très écrites. Dans sa bouche, c'était un peu péjoratif. Pourquoi j'écrivais ? Parce que j'en avais envie. Une fille de Magnum m'a conseillé d'aller faire une photo dans les toilettes des femmes du magazine Geo, sur Park Avenue. Je trouve donc un prétexte pour y aller. Je fonce aux toilettes femmes, qui avaient en effet une particularité : elles étaient suspendues. On voyait toute la ville derrière les cuvettes des lavabos. Un miracle architectural. En plein mois de juillet, j'ai légendé toute la photo sur les foins que faisaient mes parents à la même époque. Ils étaient agriculteurs et j'ai pensé à eux alors que je photographiais une des avenues les plus riches du monde. Cela m'a rappelé Roland Barthes : «Un texte doit être ancrage ou relais.»

Pourquoi c’était nouveau ?

L'idée géniale, c'était que je joue le jeu de la correspondance. J'étais contraint par la date et je ne pouvais pas tricher. Il y a des moments où je n'étais pas très inspiré. J'avais quelques heures pour faire mes photos. C'est aussi ce que je vais faire cette semaine. Je vais photographier au lever du jour le 1er mai pour que la photo soit publiée le 2. J'ai trois heures pour faire les photos, trois heures pour les développer, une demi-heure pour faire ma légende et je repars. François Hébel a insisté pour que je travaille à la chambre 20 x 25. C'est un peu de la folie, mais c'est une bonne contrainte. En numérique, j'aurais tendance à déambuler dans les rues comme un malade et serais éternellement insatisfait…

Comment était New York à l’époque ?

D’une grande liberté. J’avais couvert les événements de Chicago en 68 et j’ai vu la différence. On était encore dans l’esprit hippie. En France, on avait tourné la page de 68 et des post-soixante-huitards. Là-bas, non.

Comment vous attendez-vous à retrouver la ville ?

Je ne l’ai pas vue depuis l’an 2000. Je n’ai rien vu depuis la chute des tours. J’irai voter avec un ami dans une école, et voir la Trump Tower. Je vais essayer de me raccrocher à l’actualité et voir la campagne depuis New York. Je reprends en quelque sorte ma carte de presse pour une semaine.

Une exposition aura lieu au Fiaf, à New York, à partir du 11 mai. Rens. : www.fiaf.org

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