Arles 2014 : "Je suis agacé par l'exotisme un peu anecdotique des photos d'Afrique"

Patrick Willocq, nominé au prix Découverte des Rencontres d'Arles, met en scène les récits rituels de jeunes mères pygmées Ekonda, en RDC.

Propos recueillis par

Patrick Willocq, walé Lokito et ses biens.(Avec l'aimable autorisation de l'artiste.)
Patrick Willocq, walé Lokito et ses biens.(Avec l'aimable autorisation de l'artiste.) © Rencontres d'Arles 2014

Temps de lecture : 5 min

Depuis deux ans, le photographe Patrick Willocq met en scène un rituel des Pygmées Ekonda, au Congo Kinshasa : le retour dans la communauté de la walé, femme primipare allaitante, après une longue période de réclusion, et le récit spectaculaire qu'elle fait alors de son isolement. Un travail mi-anthropologique mi-artistique, inédit et passionnant.

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Comment ce projet est-il né ?

De mes 6 à mes 13 ans, j'ai vécu au Congo, le Zaïre à l'époque. J'y suis retourné il y a quelques années pour renouer avec ce passé, et j'ai mené un premier projet avec les Pygmées et les Bantous Batwas, "Sur la route de Bikoro à Bokonda". Un jour, alors que j'étais retourné en RDC pour compléter ce travail, je suis tombé nez à nez avec une femme couverte de pigments rouges. J'ai posé des questions, obtenu des débuts de réponses, puis j'ai rencontré ces femmes. Pendant six semaines, j'ai suivi la vie quotidienne de treize walés, et commencé à comprendre mieux le rituel.

Quel est-il ?

"Walé" veut dire "femme primipare allaitante". Quand une jeune fille accouche de son premier enfant, son père peut, s'il en a les moyens, décider qu'elle deviendra une walé. Elle retourne alors vivre dans la case de sa mère, pour deux ans traditionnellement. Elle doit, durant cette période, respecter un grand nombre d'interdits : elle n'a pas le droit d'aller dans les champs ni en forêt, de préparer à manger, de se servir à boire. Elle n'a pas le droit non plus d'avoir des relations sexuelles, car les pygmées pensent que le sperme empoisonne le lait maternel. Dès lors qu'elle respecte ces interdits, la walé acquiert un statut de patriarche, de roi. Beaucoup de signes royaux lui sont d'ailleurs attribués, comme le port du cuivre, la couleur rouge, le chasse-mouches. Au bout d'un an, la walé commence à préparer le grand spectacle qu'elle donnera à sa sortie de réclusion : elle va danser et chanter pendant plusieurs heures en racontant son histoire, et comment elle a vécu ces années.

J'avais assisté une première fois à l'une de ces fêtes, sans bien comprendre ce qui s'y jouait. Je suis donc revenu avec un ethnomusicologue, Martin Boilo. Nous assistons ensemble aux répétitions, nous enregistrons les chants, nous relevons les scènes essentielles du récit, comme celles où la walé se compare à un animal ou à un être fantastique. À partir de là, je fais un premier croquis que je présente à la walé pour voir s'il lui convient, et nous mettons en scène une représentation visuelle de la chanson.

Comment se déroule cette mise en scène ?

Je travaille avec des équipes de constructeurs, dans les villages. Ils connaissent parfaitement la forêt et savent y trouver ce dont j'ai besoin : tel matériau peut se plier, tel autre est costaud, mais léger, etc. Ils m'ont permis de construire une sorte de grand théâtre, de 35 m2 environ, et m'aident à fabriquer les décors et les accessoires.

Sur l'une de vos images, une walé pose dans une maquette d'avion. Qu'est-ce que cela signifie ?

Tous les soirs, à 22 heures, un long-courrier passe au-dessus de la jungle. Cette femme-là, Walé Asongwaka, "la belle", chante à l'intention des autres walés qu'elle aura un jour assez d'argent pour prendre l'avion des blancs. Il faut savoir aussi, pour comprendre cette scène, que les spectacles s'achèvent sur une épreuve finale où, grâce à un échafaudage et un système de contrepoids, la walé soit est projetée dans les airs, soit tombe au sol dans une nacelle. Walé Asongwaka a décidé que la sienne aurait la forme d'un avion.

Walé Asongwaka s'envole. ©  Patrick Willocq/rencontres d'Arles 2014
Walé Asongwaka s'envole. © Patrick Willocq/rencontres d'Arles 2014

Quelle était votre intention avec ce travail ?

Je souhaitais, d'abord, comprendre la chanson de ces femmes, et témoigner d'une partie de leur histoire. Il s'agit d'une tradition orale : à la fin du spectacle, tout disparaît, la walé rejoint la vie normale. Je voulais aussi rendre compte du rite lui-même. Autrefois, il était partagé par tout le peuple ekonda, bantou comme pygmée. Les jeunes filles bantoues, qui ont aujourd'hui plus facilement accès à l'éducation, l'abandonnent progressivement. Les pygmées sont aujourd'hui les garants de cette tradition, mais elle finira par s'éteindre : leur société change, elle aussi. Et puis, je voulais aider ces femmes à sortir de réclusion lorsqu'elles sont vraiment coincées.

Comment ça ?

Pour qu'une femme sorte de l'isolement, il faut que son spectacle soit accepté par le village, ce qui ne pose en général pas de problème. Mais il faut, aussi et surtout, qu'elle ait amassé les biens matériels dont elle a besoin. C'est normalement au mari de s'en charger : il quitte la walé et va travailler en ville pour lui acheter les pagnes, les chaussures, etc. dont la liste a été fixée. Plus celle-ci est longue, plus la femme sera honorée. Or certaines sont abandonnées par leur mari, et n'ont pas de prétendant qui reprenne le financement. C'est dans ces cas-là que je suis intervenu, pour aider à compléter leur valise, et uniquement lorsqu'elles avaient atteint les deux ans prévus par la tradition. Je suis très serein avec cette idée : je réponds à un besoin réel, directement exprimé par elles ou leur famille, elles m'aident en échange dans mon projet photographique. Et puis, il va de soi en Afrique d'apporter un cadeau au roi d'un village.

Votre travail est à la fois anthropologique et artistique, comment liez-vous les deux ?

Il est documentaire, ancré dans la réalité, mais la mise en scène que je propose permet, je crois, d'aller plus loin dans la communication du message. Montrer simplement une femme en train de danser n'aurait, je crois, pas grand intérêt. Ce que je veux, c'est qu'elle intervienne, qu'elle raconte son histoire. Je suis toujours agacé par l'exotisme un peu anecdotique des photos d'Afrique : on montre l'apparence des femmes, sans s'intéresser à elles comme individus. Je veux leur donner, moi, le piédestal qu'elles méritent. Je suis souvent frustré, aussi, par le fait qu'on ne montre jamais de l'Afrique que les guerres, les viols, les massacres. Cette réalité existe, je ne la nie pas, et elle est au Congo très grave. Mais ce n'est pas mon objet. Je ne suis pas un photographe de la guerre, je suis un photographe de la paix : ce que j'aime montrer, c'est le pays que j'ai découvert et aimé enfant, avec la joie, l'humour, l'extraordinaire créativité de ses habitants.

Arles, Atelier de chaudronnerie, jusqu'au 21 septembre 2014. Toutes les informations sur le site des Rencontres d'Arles.
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Commentaires (5)

  • Pierrethaï

    Depuis 30 ans cette belle ville romaine est communiste... Grace à ces vestiges époque César
    Arles devrait briller de prospérité... Mais ces élus
    l'étouffent
    arlésiens ouvrez les yeux.

  • charplin

    Cela me rappelle l'exposition des noirs à l'exposition universelle. Ce monsieur devrait être jugé pour racisme et antisémitisme car il fait là l'apologie de la suprématie du blanc sur ses peuple d'Afrique et l'Océanie. Cette exposition devrait être interdite comme les photos de madame Toubira, car par son"art" il envoie et entretient dans l'inconscient collective que ces peuples restent des sous hommes, son aucune intelligence. L'art est un outil de propagande et ceux qui utilisent le noirs dans leurs soit disant art dans cette posture négative savent bien l'image qu'ils veulent donné du noir en générale. Il faut que cela cesse que les noirs attaquent systématiquement ces artistes en justice Mais bon, quand voit notre président faire le rassembleur en Afrique on comprend que cela n'est pas prêt de s'arrêter ; Pauvre peuple des pays lointain.

  • poli-tics

    Sois disant un art qui est devenu n'importe quoi... !