Petite mise au point sur un problème de netteté

L’autofocus a pour vous toujours existé ? Ce n’est pourtant qu’en 1981 qu’il est apparu pour la première fois sur un boîtier Reflex, le Pentax ME-F. Après plus de trente années d’amélioration continue, son discret bourdonnement accomplit à notre insu de petits miracles. Certains appareils sont capables de suivre un sujet qui se déplace dans les trois dimensions ! Tous les problèmes de mise au point sont-ils pour autant résolus ?

Les collimateurs

Les 51 collimateurs du Nikon D7100

Les 51 collimateurs du Nikon D7100

La mise au point automatique fonctionne grâce à de petits capteurs répartis sur le verre de visée : les collimateurs. Ils ne sont généralement pas tous identiques. Ceux placés au centre se révèlent plus réactifs, plus précis. Vous avez certainement déjà remarqué que lorsqu’une scène est peu éclairée ou peu contrastée, l’autofocus a tendance à patiner, jusqu’à rendre la mise au point impossible ? Ce phénomène est d’autant plus apparent que vous utilisez un collimateur éloigné du centre. Certains collimateurs s’arrêtent en effet de fonctionner lorsqu’ils ne reçoivent pas assez de lumière.

L’ouverture maximale de l’objectif détermine la quantité de lumière qui pénètre dans l’appareil. Utilisé en bout de plage, un zoom dont l’ouverture diminue alors que la focale augmente (par exemple le Nikon 24-120 mm f/3.5-5.6) risque de rendre inopérant les collimateurs les moins sensibles. Le vignettage est un autre facteur aggravant pour les collimateurs les plus excentrés.

Pour éviter ces problèmes, beaucoup de photographes ont tendance à privilégier l’utilisation des collimateurs centraux. Ce réflexe est encouragé par le fait que même lorsqu’ils sont très nombreux, les collimateurs n’occupent jamais l’intégralité de la scène cadrée, ce qui est particulièrement frustrant.

La technique du focus > recompose

Utiliser le collimateur central ne doit pas être synonyme de photo centrée ! La technique du focus > recompose donne toute liberté au photographe pour mettre en page l’image à sa guise. Dans la photo ci-contre, la mise au point a été faite précisément sur la main avec le collimateur central, puis bloquée en restant appuyé à mi-course sur le déclencheur. La scène a ensuite été recadrée de manière à positionner la main sur un point fort.

Rien de très original ni de très novateur dans cette démarche mise en œuvre depuis très longtemps par de nombreux photographes. Mais est-elle sans risque ? Passons rapidement sur le fait que déclencher alors que le boîtier est encore en mouvement produira un flou de bouger qui enverra directement la photo à la poubelle. Il suffit d’être un peu précautionneux. Le vrai danger de cette technique est plus pernicieux : le plan de netteté recule !

Le décalage du plan de netteté

Dans un premier temps, la mise au point est faîte sur la main. Le plan de netteté est perpendiculaire à l’axe de visée. Il est ici représenté en vert.
Lorsque l’appareil pivote alors que la distance de mise au point reste constante, le plan de netteté se déplace en suivant un cercle. Il est ici représenté en rouge, à l’issue d’une rotation de 45 degrés.

Notez que le schéma est un peu simplifié. En réalité, l’appareil ne pivote pas sur lui-même, il tourne autour d’un axe constitué par vos cervicales. Si vous avez pris l’habitude de le faire pivoter sur votre nez, oubliez vite ce geste car il ne fait qu’amplifier le problème… Le constat reste néanmoins sans appel : le sujet s’éloigne progressivement du plan de netteté. Le flou s’installe !

Heureusement, vous le savez déjà, l’image n’est pas seulement nette sur une seule dimension, mais entre deux plans. C’est ce qu’on appelle la profondeur de champ, distance qui sépare le premier plan net du dernier plan net. A cadrage et diaphragme identiques, la profondeur de champ est indépendante de la focale. A focale constante, elle varie avec la distance de mise au point et avec le diaphragme. Plus on est proche du sujet ou plus l’ouverture est grande, et plus la profondeur de champ diminue. Vous avez reconnu là les conditions réunies pour faire un beau portrait. Mais à quoi bon faire une mise au point chirurgicale sur l’œil si c’est pour la perdre en recadrant le portrait ?

Info ou intox ?

Sommes-nous en train de jouer à nous faire peur ? Le risque que le sujet sorte de la zone de netteté lorsque l’on tourne le boîtier est-il réel ? Une seule solution pour connaitre la réponse, se lancer dans les calculs ! Le tableau ci-contre indique de quelle distance (en centimètres) se déplace le plan de netteté en fonction :

  • de la rotation que vous faites avec l’appareil (entre 10 et 45 degrés)
  • de la distance de mise au point (entre 0,5 et 10 mètres).

Considérons la valeur la plus forte, en bas à droite du tableau : une rotation de 45 degrés pour une distance de mise au point de 10 mètres recule le plan de netteté de presque 3 mètres (293 centimètres) Le sujet initial est-il alors encore inclus dans la profondeur de champ ?

C’est notre calculateur de profondeur de champ préféré qui va nous apporter la réponse : prenons l’exemple d’un 50 mm monté sur un capteur APS-C : pour une mise au point à 10 mètres et un diaphragme à f/2,8, le premier plan net est situé 1,8 mètre devant la mise au point. Le plan de netteté ayant reculé de presque 3 mètres, la netteté sur le sujet est irrémédiablement perdue. Il faudrait diaphragmer à f/5.6 pour que la technique du focus > recompose soit acceptable.

Que se passe-t-il si la distance de mise au point diminue ? A un mètre du sujet et toujours pour une rotation de 45 degrés, le plan de netteté se déplace de 29 centimètres (cf. tableau précédent) A f/5.6, avec le 50 mm monté sur le boîtier APS-C, le premier plan net n’est plus que 4 centimètres devant la mise au point, très loin du sujet après rotation du boîtier ! La situation s’aggrave. C’est sans doute la dernière fois que vous faites du focus > recompose ! Et pourtant…

Soyons un peu réalistes ! Il est temps de recadrer les choses : l’angle de champ horizontal d’un 50 mm monté sur un capteur APS-C est de 27 degrés. Il y a fort à parier que votre rotation n’excédera en aucun cas cette valeur, car cela signifierait que le point sur lequel vous avez initialement fait la mise au point n’est plus sur la photo. La rotation est généralement limitée à la moitié de l’angle de champ. Soyons généreux, disons 20 degrés ! Cette fois, avec une mise au point à 10 mètres, le plan de netteté ne se déplace plus que de 60 centimètres. Même à f/1.4, le sujet reste dans la profondeur de champ. A 1 mètre du sujet, il faut toutefois conserver un diaphragme de f/8 pour garder net l’endroit de la mise au point initiale.

Conclusion

Ne nous voilons pas la face, mais n’exagérons pas non plus le problème. La photo ci-contre est faite avec un 50 mm monté sur un plein format à f/1.8. L’angle de champ horizontal est de 40 degrés, la distance de mise au point de l’ordre de 1 m. Faire la netteté sur l’œil du cygne avec le collimateur central puis recadrer suppose ici une rotation de seulement 5 degrés. Le plan de netteté se déplace de 0,6 cm alors que le premier net est 2 cm en avant. L’œil du cygne reste dans le plan de netteté.

La prudence veut que l’on utilise un collimateur excentré lorsque l’on sait être dans des conditions un peu limites. C’est le seul conseil qu’il faut donner ici : pour les faibles distances de mise au point et les grandes ouvertures, minimisez la rotation du boîtier en privilégiant si possible le déplacement du collimateur.

A vous de jouer maintenant. Si vous avez envie de partager votre propre expérience, n’hésitez pas. Elle sera profitable à tous. Pratiquez-vous le focus > recompose ? Vous êtes-vous fixé des limites ?

4 Responses

  1. Merci beaucoup pour cet article qui met les choses au clair sur un sujet qui me questionnait beaucoup… C’est plus clair dans ma tête maintenant ! 🙂

  2. Alex dit :

    Merci pour ces précisions, je me suis également toujours posé la question qui en amène une autre. Avec la technique du focus > recompose le piqué étant plus important au centre que sur les bords (en fonction de l’optique utilisée) on perdrait donc en qualité de photo produite au final ? Je parle principalement lorsque l’on souhaite un plan complet net (portrait plein pied) avec une profondeur de champ faible. J’espère être clair 🙂

    • Jakez dit :

      Que je cadre en faisant la mise au point avec un collimateur
      excentré, ou que je fasse la mise au point avec le collimateur central avant de recadrer, ma photo finale utilise le même cadrage. Il n’y a donc aucune raison de perdre en qualité du fait de l’inhomogénéité de mon objectif.

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