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Nikos Aliagas : «Ce livre est dédié à mon père»

Nikos Aliagas: «L'épreuve du temps»

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EN IMAGES - Le journaliste, qui anime désormais la matinale d'Europe 1, publie un recueil de photographies, L'Épreuve du Temps. Instants photographiques (La Martinière). Il exposera son travail sur le toit de la Grande Arche de la Défense du 23 octobre prochain au 6 janvier 2019.

Confortablement assis à la table d'un bar d'hôtel parisien, Nikos Aliagas se laisse aller au plaisir de feuilleter l'ouvrage L'Épreuve du Temps. Instants photographiques, qui vient de sortir aux éditions de la Martinière, et qu'il vient de découvrir «en vrai». Décontracté, l'animateur journaliste prend le temps d'expliquer sa démarche artistique. Et l'on sent que ce livre lui tient énormément à cœur.

LE FIGARO. - Comment est née l'envie de faire ce livre?

Nikos ALIAGAS . - Ces dernières années, quand mon intérêt pour la photographie est devenu public, j'ai reçu un certain nombre de propositions. C'est normal, je suis exposé. Ça donne des idées aux éditeurs. Au départ, on me proposait surtout de publier un livre avec des «people», «tous les gens que tu suis et que tu photographies depuis vingt ans». Je ne me suis pas emballé. Je n'avais pas envie de faire ça dans l'urgence. Je me suis demandé ce que je voulais faire vraiment. Quelles étaient les véritables raisons qui me poussaient à vouloir publier un ouvrage de photographies...

Quelles étaient ces raisons?

Je n'ai pas eu envie de faire un livre pour d'autres raisons que celle d'une quête du plaisir, une quête de l'intime. Je ne veux pas rentrer dans quelque chose de commercial. Cela ne veut pas dire pour autant que je ne veuille pas en vendre. (Rires). Mais j'ai voulu prendre le temps nécessaire pour être prêt.

Quand a eu lieu le déclic?

C'était il y a quatre ans, à Londres. J'étais présent avec ma femme lors d'une manifestation qui rendait hommage à Jean-Paul Gaultier. À cette occasion, j'ai discuté avec une éditrice qui travaille pour les éditions de La Martinière. Elle m'a demandé si je faisais vraiment mes photos. Je lui ai répondu que oui. Alors elle m'a dit de continuer «parce qu'il se passe quelque chose» et m'a promis que nous en reparlerions ensemble dans quelques années. J'ai été ravi de cette première approche. Je suis un fan des grands photographes, et des beaux livres. Le travail de Sebastiao Salgado, ou de Yann-Arthus Bertrand m'intéresse beaucoup. J'ai donc gardé sa carte...

Et alors?

Il y a un peu moins d'un an, cette éditrice m'a laissé un message: «J'ai suivi votre évolution. Vous avez travaillé. Peut-être, peut-on faire quelque chose ensemble. Venez voir Hervé de La Martinière». J'ai donc rencontré Hervé de la Martinière, qui me connaît sans me connaître. Il a vu mes photos. Je devais rester trois quarts d'heure et finalement, je suis resté trois heures dans son bureau. Il m'a parlé à bâtons rompus, de ma passion pour l'image et de ma philosophie de l'image: qu'est-ce qu'elle représente pour moi? Quelle est ma quête? J'ai commencé à choisir mes photos. Un choix d'auteur... C'est parti comme ça.

Que signifie opérer un choix d'auteur?

C'est un chemin. Une signature. On la pose. Elle restera. D'une façon ou d'une autre. C'est quelque chose entre moi et ma conscience. Ce livre est la somme de huit années de photographies. Certaines photos sont assez récentes, tirées de voyages. Il y a pas mal d'images prises en Grèce. Mais il n'y a pas que ça. On trouve aussi le Sri Lanka, l'île Maurice, Cuba, un peu les Balkans…

Quelle thématique principale se dégage?

Je me suis aperçu que mes images tournent autour du temps. Le temps qui passe est une obsession depuis toujours. Depuis l'enfance. quand j'étais minot, j'imaginais les photos avant de les prendre. C'est-à-dire que je passais mes journées à observer des choses. Pour mes copains de dix ans, ces détails pouvaient paraître assez banals. Mais moi, ça me permettait le soir de rembobiner ma journée et de me souvenir. J'ai la peur d'oublier. Oublier le présent...

À quoi est-ce dû?

C'est dû à un choc d'enfance. Une sorte d'innocence perdue. En Grèce, étant môme, j'ai découvert dans une boîte à chaussures de ma grand-mère, des photos de mes parents jeunes. Je me suis demandé ce que cela signifiait. Ma grand-mère m'a répondu: «Ça veut dire que plus tard, tes parents vont devenir comme moi. Et que toi tu vas devenir un homme.» Je me suis dit que ce n'était pas possible! On venait de briser cette invincibilité de l'enfance... Et puis, à l'âge de dix ans, mon père qui me voyait faire des photos imaginaires toute la journée, a fini par m'acheter un Instamatic Kodak. Longtemps, j'ai rêvé de devenir grand reporter. Je photographiais en argentique. Petit à petit, ma vie active a pris le dessus sur ma passion. Je me suis quand même mis au numérique.

Qu'est devenue votre passion?

Elle s'est transformée. Elle est devenue le moment où je sors du cadre médiatique pour retrouver un chemin qui m'est propre. J'en profite pour parler avec les gens et les mettre eux dans la lumière. De fil en aiguille, c'est devenu un jeu. Il y a les réseaux sociaux, aussi. On commente, on partage. Puis, cela devient presque une nécessité, une urgence. Avant d'interviewer quelqu'un de connu, ma préoccupation n'est pas l'interview en elle-même, mais plutôt de savoir s'il y a une fenêtre pour obtenir une belle lumière du jour. Photographier ne veut pas dire prendre une photo et partir. Pour moi, c'est me poser, discuter, comprendre ta vie, parler de la vie, de la mort, de nos enfants, de nos rêves. Ça, ça me fascine. La singularité des uns n'est pas moins importante que celle des gens qui sont déjà dans la lumière. Alors est-ce que c'est comme les peintres qui se racontent en peignant les autres, peut-être d'une certaine façon... En tout cas, je ne suis jamais dans mes photos. En fait, quand je prends une photo, je sens tout de suite la faille. C'est assez étrange, presque intuitif. Presque animal. Physique.

Que représente exactement la photo de la couverture, avec cette petite fille?

C'est une enfant qui ne sait pas ce qui l'attend. Elle joue avec le temps alors qu'il est déjà enclenché. Elle m'émeut cette photographie. C'est ma fille, elle a 3 ans. Nous sommes dans une ruelle à Meganissi, en Grèce. Elle vient de trouver une pendule. Quelqu'un a abandonné cette vieille horloge murale, sans doute cassée. Alors ma fille commence à la faire rouler, à jouer avec. Ça m'inspire. Elle joue avec le temps. C'est le père qui voudrait lui montrer, quand elle aura 25 ans, ou que je ne serais plus là, que son papa a pensé à elle. À l'époque, où je la photographie, je ne sais pas que je vais en faire un livre. C'est l'épreuve du temps. Parce que les aiguilles te replongent dans la supériorité du présent. Le présent a toujours l'impression d'être supérieur...

Et cette photo d'enfants qui joignent les mains?

Cette image m'émeut particulièrement. On y voit des gamins. Maintenant, nos enfants apprennent le monde à travers leurs téléphones portables. Leurs mains servent à ouvrir des fenêtres virtuelles. Ces petites filles et ces petits garçons voient passer un cortège avec un Dieu en carton-pâte. Leurs parents font ce geste. Elles n'ont pas plus de cinq ans, et ne savent pas ce que ça veut dire. Elles essaient de découvrir le monde à travers leurs mains. Elles n'ont pas les codes. Ce n'est pas naturel de prier un Dieu. Ces enfants m'ont terriblement ému.

D'où vient votre fascination pour les mains?

Les mains disent la vie des ancêtres. Les mains disent ce que le masque social essaie de cacher. Tu deviens ce que tu touches. Cette photo d'un tailleur par exemple. C'était le meilleur ami de mon père. Dans le texte, je raconte leurs vies à tous deux. La sienne et celle de mon père. On a fait un dîner pour les six mois de la mort de mon père. Quand il m'a salué à la fin, le toucher de sa main m'a rappelé mon père. J'avais le frisson. Je lui ai demandé si je pouvais le prendre en photo. Il m'a répondu: «Attends, je veux que ce soit beau». Et il s'époussette la chemise. Là, je vois ses mains. Je le prends en photo. Il est surpris et me dit: «Mais j'ai pas souri». Lui, il est arrivé en 1964 à Paris. Il a rencontré mon père à la Gare de Lyon et ils vont devenir les meilleurs amis du monde. La France va devenir leur pays. Ils vont s'établir en tant que tailleurs ici. ils vont aimer leurs femmes ici, faire des enfants ici. Ce jour-là, cet homme m'a raconté des choses que je ne savais même pas sur mon père. C'est pour cela que ce livre est dédié à mon père, mort il y a un an et demi. C'est pour lui dire que le temps passe, mais que je n'oublie pas. Je le vois partout...

Nikos Aliagas : «Ce livre est dédié à mon père»

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9 commentaires
  • Natacha tu es tendue

    le

    Très belles photos

  • Yoknapatawpha

    le

    Beau travail

  • Rebelle83700

    le

    Nikos fait de très belles photos et a bien raison de tenter le noir et blanc. Avec son prénom, on aurait pensé qu’il utiliserait... un Nikon, mais bon, on lui pardonne.

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