Ce fut l’un des plus gros scandales de ces dernières années au Japon. L’affaire Olympus avait défrayé la chronique en 2011. A l’époque son directeur général, le Britannique Michael Woodford, avait défié son tout-puissant président Tsuyoshi Kikukawa et le conseil d’administration du géant de la photographie et de l’appareillage médical pour exposer publiquement une fraude d’1,7 milliards de dollars.
Un bon thriller
Trois ans après, l’affaire pourrait devenir un film. Les producteurs américains The Ink Factory et Film4 ont acquis en juillet les droits d’Exposure (éd. Penguin, 2012), l’ouvrage consacré par M. Woodford à ces quelques mois qui ont ébranlé Olympus et le monde des affaires nippon.
L’affaire a tout d’un bon thriller. Menaces, paradis fiscaux, lanceurs d’alerte, implication supposée des yakuzas, l’ouvrage reflète la volonté de M. Woodfrod de « partager le plus possible les leçons du scandale ». Le 30 octobre il était à Tokyo pour évoquer son aventure lors d’un événement organisé par le cabinet d’avocats Freshfields et les consultants du Delphi Network.
Nommé à la direction générale du groupe en avril 2011, M. Woodford, natif de Liverpool, atteint le pic d’une carrière de 30 ans dans un groupe qu’il apprécie. Mais il est rapidement alerté par des proches du contenu d’un article du magazine d’investigations économiques Facta. À la fin des années 2000, Olympus avait acquis plusieurs petites entreprises pour des sommes faramineuses, des opérations accompagnées du versement de commissions massives à des sociétés « de conseil » enregistrées aux îles Caïman.
Mur du silence
Quand il cherche à interroger les dirigeants, à commencer par M. Kikukawa, il se heurte à un mur de silence. L’ancien syndicaliste découvre que les dirigeants du groupe sont attachés par un indéfectible lien de fidélité au charismatique M. Kikukawa. Son insistance provoque son renvoi en octobre 2011 pour avoir « largement dévié du reste de l’équipe de direction ». Le jour même, il alerte le Financial Times, avant de prendre le premier avion en partance pour l’étranger, en l’occurrence Hongkong. « Si j’avais été japonais, jamais l’affaire n’aurait pu sortir, en raison notamment de l’autocensure des médias ».
De fait, dans les premiers temps, la presse nippone ne fait que reprendre les propos d’Olympus. Des enquêtes sont néanmoins lancées. Elles révèlent que le groupe a eu massivement recours à une pratique comptable autrefois tolérée au Japon, le « tobashi ». Il s’agit de vendre des actifs criblés de dettes à d’autres compagnies, avant de les racheter plus tard, quand la situation du marché s’est améliorée.
L’opération est présentée sous différentes formes, comme une commission versée pour des conseils. En 20 ans, Olympus y aurait eu souvent recours pour des dettes accumulées à la fin des années 80. Le New York Times évoque même des versements au clan mafieux Yamaguchi. Les révélations, parties d’une source interne à l’entreprise, provoquent un effondrement du titre. Olympus passe par la suite aux mains de repreneurs, dont Sony, aujourd’hui son principal actionnaire.
Une difficile vérité
L’affaire a également suscité des débats sur la gouvernance d’entreprise. Dans le cadre des Abenomics, le gouvernement du premier ministre Shinzo Abe a mis en place en avril 2014 une version japonaise du Stewardship Code, un ensemble de règles imaginées au Royaume-Uni en 2010, incitant les investisseurs à plus de transparence et à une plus grande implication dans la gestion des entreprises.
« Les entreprises restent réticentes, observe néanmoins Michael Woodford, rien n’a changé depuis l’affaire Olympus car le problème de fond est sociétal ». Dans l’archipel, explique-t-il, « l’accent est mis sur le sentiment de honte. Le système fait tout pour nier la faute. Le Japon est la société la plus difficile pour faire émerger la vérité. » Et l’ancien dirigeant aujourd’hui engagé dans des actions caritatives de citer la catastrophe de Fukushima.
« Il existe un refus de défier la hiérarchie. Signaler un problème, c’est être déloyal ». La situation ne devrait pas s’améliorer avec l’entrée en vigueur le 10 décembre de la loi sur la protection des secrets. Avec cette législation, « les médias seront encore moins enclins à révéler des affaires ».
Philippe Mesmer
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