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Le monde pimpant de Jacques Henri Lartigue

Le photographe célébré pour ses instantanés en noir et blanc travailla beaucoup la couleur. Un pan méconnu de son œuvre à découvrir au Musée de l’Elysée

Sylvana EmpainJH Lartigue/Ministère de la Culture /AAJHL
Sylvana EmpainJH Lartigue/Ministère de la Culture /AAJHL

Jacques Henri Lartigue, c’est le photographe du bond. Le bond d’un tennisman en plein match, celui d’une bourgeoise audacieuse par-dessus un escalier de pierre, celui d’un chiot. En noir et blanc, le Français s’est attaché plus que tout autre à saisir le mouvement et l’instantanéité. L’image d’une roue de voiture déformée par la vitesse constitue l’un de ses titres de gloire. Au Musée de l’Elysée, rien de tout cela. Ce sont les photographies en couleur de l’artiste qui sont données à voir, paradoxalement statiques.

Lartigue, fils d’un photographe amateur, reçoit son premier appareil à l’âge de 6 ans. Il se met à la couleur dix ans plus tard, suivant les progrès techniques. Stéréoscopie et autochromes d’abord, un procédé à base de fécule de pommes de terre breveté en 1903, par les frères Lumière, qui démocratise la photographie couleur. Lartigue, comme toujours, photographie sa famille, sa bande, ses vacances, un monde oisif et insouciant.

Bal costumé à Chamonix, sortie de ski ou aéroplane de son grand frère, les portraits sont inhabituellement figés. C’est que la photographie en couleur, balbutiante, exige des temps de pose importants. Le grain est énorme, le flou difficile à contourner. Lartigue passe ensuite aux Kodachromes, ou diapositives, puis aux Ektachromes, privilégiant les images à projeter. S’il ne subsiste que 86 plaques de verre, le fonds de l’artiste comporte 36 000 «dias» datant de 1948 à 1986 et 6000 Ektachromes. Dans ses sous-sols, l’Elysée affiche des tirages réalisés à partir de ces originaux.

Vieux paddle et infirmières

A Cannes, Aix-les-Bains ou Hendaye, Lartigue photographie ses fiancées successives, miroir personnel et estival des élégantes qu’il capturait jadis au Bois-de-Boulogne. Florette, que le peintre épouse en 1942, revient comme un leitmotiv. Aux mises en scène romantiques de l’entre-deux-guerres succèdent des poses plus graphiques et sensuelles.

Lartigue, aussi, se fait contemplatif, jouant de feuilles d’automne sur un lac couleur de pluie, traquant les reflets d’un bateau dans la Loire. Depuis sa fenêtre d’Opio, près de Grasse, il photographie les brumes sur les arbres. Ces tableaux-là, merveilleux d’intensité, seront confiés au tireur de Cibachromes Roland Dufau (LT du 12.04.2016).

Dans la dernière salle de l’exposition, l’homme s’ouvre sur le monde, sans doute poussé par l’association Gens d’images à laquelle il appartient. Défilent des célébrités, tels le baron Empain, Ralph Gibson ou Federico Fellini, une bulle de privilèges qui n’est plus tout à fait la sienne. En Bretagne, l’homme photographie l’ancêtre du paddle, une Bigoudène aux côtés d’une jeunette sur la plage, un vieux endormi le mouchoir sur la tête. A Lourdes, il s’arrête sur les infirmières robustes tirant des malades en carrosse-chaise roulante.

Un tiers de l’œuvre de Jacques Henri Lartigue, consacré en 1963 seulement par une exposition au MoMA, est en couleur. Certains portraits sont magnifiques, d’autres beaucoup plus banals. Tous cependant ont le mérite de nous transporter dans l’intimité d’un album de famille, dans les mutations joyeuses d’une époque – tiens, les maillots de bain épousent de mieux en mieux la peau – et dans l’évolution, enfin, des techniques photographiques.

Jacques Henri Lartigue,  «La vie en couleurs», jusqu’au 23 septembre au Musée de l’Elysée, à Lausanne.