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Bill Cunningham, ou l’âme bleue de New York

Le photographe, inventeur de la photo de mode de rue et collaborateur du « New York Times », est mort samedi à l’âge de 87 ans.

Par  (avec AP, AFP et Reuters)

Publié le 26 juin 2016 à 02h29, modifié le 26 juin 2016 à 16h42

Temps de Lecture 3 min.

Le photographe du « New York Times » Bill Cunningham le 23 novembre 2010 dans les rues de New York.

Ce sont les suites d’une crise cardiaque qui ont finalement stoppé l’éternel élan de ce personnage singulier, considéré comme le père du « street style », cette photographie de mode de rue qui est aujourd’hui un immense business. C’est beaucoup et c’est réducteur aussi, tant son insatiable passion et son intégrité bienveillante ont fait de Bill Cunningham un monument vivant de New York, au sens littéral puisque la ville lui a officiellement décerné le titre de « living landmark » en 2009.

Né le 13 mars 1929 à Boston, Massachusetts, dans une famille irlandaise catholique qui compte quatre enfants, Bill est un garçon curieux, qui découvre la mode par nécessité en travaillant comme magasinier chez Bonwit Teller, un grand magasin local. Une bourse pour la prestigieuse université d’Harvard ne le retiendra pas longtemps : il abandonne ses études et part pour New York. A 19 ans, sa vie est ailleurs, mais pas non plus dans la publicité, où son oncle tente de l’embaucher. Le jeune homme préfère monter son affaire de chapeaux sous le nom de William J., tant pis s’il doit multiplier les petits boulots pour vivre sa passion.

« Il faut laisser la rue vous parler »

Il devient aussi journaliste de mode, écrit pour le Woman’s Wear Daily (qu’il quittera à la suite d’un désaccord au sujet d’André Courrèges), et le Chicago Tribune. Mais c’est l’image qui sera sa voix. Dès la seconde guerre mondiale, Bill Cunningham commence à photographier des gens dans la rue, avec un appareil bon marché. Le « Summer of Love » de 1967 marque son entrée officielle dans la photographie : l’Amérique est en pleine mutation, ses goûts, ses aspirations changent, et Bill est là pour le raconter en images.

Son affaire de chapeaux a fermé, les rues de New York sont à lui. Riches « socialites » de Manhattan, danseurs de Harlem, simples anonymes dont la façon de porter un manteau ou un parapluie est singulière : tout l’intéresse. L’expression vestimentaire des gens qui l’entourent inspire sa vocation. « Il ne faut pas avoir d’idée préconçue. Il faut sortir et laisser la rue vous parler », disait-il.

Dans les années 1970, il devient une « signature » régulière au New York Times avec sa tribune « On The Street » (« Dans la rue »), mais refuse d’être embauché – il acceptera finalement de l’être en 1994 à la suite d’un accident de la route et pour des raisons d’assurance médicale. Quand il affirme préférer la liberté à l’argent, ce n’est pas la figure de style bravache d’un nanti. A la ville, Bill Cunningham est un ascète, un homme de l’ombre qui s’est comme « dissout » dans sa passion. Bill Cunningham n’a jamais eu envie d’être une star. Il n’a jamais vu le documentaire que Richard Press lui a consacré en 2011, Bill Cunningham New York.

Il vit dans un appartement minuscule de Carnegie Hall, sans télévision ni salle de bain privée, mais plein comme un œuf de tous ses clichés, dont la plupart n’ont jamais été montrés. Son but semble d’être le moins visible possible, dans son uniforme : une veste de coton bleu indigo, des baskets noires, son petit appareil Olympus attaché au cou et son éternel vélo – on lui en a volé pas moins de 28 en plus d’un demi-siècle d’activité.

Les vrais détails de style

Avec le temps, Bill Cunningham est tout de même devenu une légende, le fondateur d’un métier pas toujours reluisant. Les meutes de photographes de street style grouillent aujourd’hui dans les fashion weeks, en quête de proies, des femmes souvent surhabillées pour se rendre à un défilé. A plus de 80 ans, Bill, lui, continuait ses petits rituels photographiques, à New York ou Paris, préférant les vrais détails de style aux célébrités payées pour porter des pièces de designers.

Son air timide s’est accentué au fil des années, à mesure que sa silhouette est devenue frêle ; son sourire bienveillant, comme sa curiosité de gamin, ne le quittaient jamais. « Sa compagnie était recherchée par les riches et puissants du monde de la mode, pourtant il est resté l’un des hommes les plus gentils, les plus doux et les plus humbles que j’aie jamais connus », a déclaré le directeur de la publication du New York Times, Arthur Sulzberger Jr, ajoutant : « Nous avons perdu une légende. »

Sa façon ferme et polie de refuser un coin de banc où se poser, d’appeler « child » les adultes les plus chevronnés et endurcis du métier, va aussi beaucoup manquer. De son vivant, il a toujours refusé toute rétrospective de son travail ; il est désormais urgent d’honorer son héritage.

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