Doisneau, Capa, Lartigue... : “Tous ont fait de la couleur et personne ne le savait !”

Après Robert Capa en 2014 à New York, c’est désormais Jacques-Henri Lartigue qui a droit à sa rétrospective en couleurs, à la Maison européenne de la photographie, à Paris. On connaissait ces maîtres du noir et blanc, voilà qu’on découvre enfin leurs talents de coloristes. Il était temps !

Par Erwan Desplanques

Publié le 20 juillet 2015 à 13h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h45

Entre 1941 et 1954, Robert Capa porta toujours deux appareils photo sur lui : l'un pour le noir et blanc, l'autre pour la couleur. Etrangement, on n'a longtemps connu que les clichés issus du premier boîtier. Le reste a été soigneusement écarté des principales rétrospectives consacrées au cofondateur de l'agence Magnum.

Ce n'est pas un cas isolé. Pendant longtemps, les quelques photos en couleurs réalisées par les spécialistes du noir et blanc ont été bannies des cimaises. Jugées triviales ou anecdotiques. Entachant leur mémoire. De purs exercices de commande pour des pubs ou des reportages, sans lien avec leur œuvre. Une simple « contrainte commerciale », raillait Cartier-Bresson – qui en a fait le moins possible, uniquement par concession, les jours de dèche.

Or ces photos invisibles resurgissent depuis peu au gré des expositions. En 2010, on découvrait le reportage pétulant de Robert Doisneau à Palm Springs (1960) pour le magazine Fortune. En 2014, le Centre international de la photographie (New York) exhumait les clichés en couleurs de Robert Capa – des plages de Deauville aux plaines d’Indochine en passant par de beaux portraits de Picasso ou Hemingway.

Cet été, c’est un Lartigue éblouissant que dévoile la MEP (jusqu'au 23 août), avec des autochromes réalisées entre 1912 et 1927 et des Kodachrome peu ou pas connus (alors qu’un tiers des archives du photographe sont en couleurs). Pourquoi découvre-t-on ces tirages si tard ? Coïncidence ? Simple retour du refoulé ?

« Il y a dix ans, de telles images auraient peut-être été mal comprises », expliquent les commissaires de l’expo Lartigue.  Considérées criardes voire honteuses. Publicitaires plus que véritablement artistiques (même si Lartigue s'est toujours targué de pratiquer la photo – couleur ou noir et blanc – en amateur). Avant 1976 et l'exposition de William Eggleston au MoMa (New York), il était impensable de faire entrer la couleur au musée. « Il y avait cette idée, dans les années 1960 et 1970 qu'un vrai journaliste photo ne travaillait pas en couleur », confirme Cynthia Young, commissaire de l'expo « Capa in Colors ». Depuis, le public s'y est habitué. Et y a même pris goût.

Les photos de commande ne sont pas pour autant mauvaises

En France, le fameux dogme de Cartier-Bresson (« La photographie en couleurs n'est pour moi qu'un moyen de documentation et ne peut être un moyen d'expression artistique ») n'a plus tellement d'adeptes. Les tenants de la composition (le noir et blanc) et ceux de la matière (la couleur) ne font plus qu'un : le fan de photographies ! « Une sorte de tabou a sauté […] Tous ont fait de la couleur et personne ne le savait », notent les commissaires Martine d'Astier et Martine Ravache. Ainsi a-t-on découvert sur le tard les Polaroid de Walker Evans (qui trouvait à l'origine la couleur « vulgaire ») ou les photos en couleurs de René Burri. « Il y a une soif de couleurs comme si nous en avions été privés. »

On est aussi sorti du mythe du grand photographe indépendant, entièrement libre, ne suivant que son instinct, porté par une ambition purement artistique. Même les photo-reporters humanistes du XXe siècle ont accepté des travaux de commande pour la presse illustrée ; les photos n'en sont pas pour autant mauvaises, il n'y a plus aucune raison de les cacher.

Les défauts du Kodachrome sont devenus ses principales qualités

Il y a aussi, dans le public, une curiosité pour l’inédit, les travaux marginaux d’artistes multi-exposés. Avec le fantasme de voir un jour surgir des trésors égarés dans les archives de Doisneau, Brassaï ou André Kertész. « On nous demande tout le temps si nous ne cachons pas des chefs-d’œuvre en couleurs, s’amuse Agnès Sire, directrice de la Fondation Cartier-Bresson. Eh bien non, nous en avons à peine un demi-tiroir et pas de scoop : les rares photos en couleurs que nous possédons, Henri Cartier-Bresson les a faites à la va-vite, sans leur porter d’intérêt. » Seules une trentaine ont été montrées (sur un écran !) lors de sa rétrospective au Centre Pompidou de 2014.

Le goût actuel pour les « early color photographies » relèverait aussi, selon la commissaire, d'un certain « effet de mode », de même qu'on montre depuis peu, à l'inverse, les premières photos en noir et blanc des génies de la couleur comme William Eggleston ou Stephen Shore (actuellement exposé à Arles).

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