World Press Photo 2018 : l’image la plus spectaculaire a été récompensée

En choisissant la photo d’un manifestant vénézuélien en flammes, le jury du World Press Photo prime un photographe d’agence qui a su produire une image forte au bon moment. Mais il prend le risque de ne plus encourager les regards plus singuliers.

Par Laurent Abadjian

Publié le 13 avril 2018 à 17h25

Mis à jour le 26 février 2021 à 15h48

Le jury du prix du World Press Photo a rendu son verdict en attribuant la récompense la plus prestigieuse, celle de la photo de l’année, à l’image d’un manifestant en flammes au Venezuela, prise par Ronaldo Schemidt, photographe de l’Agence France Presse.

Le 3 mai 2017, José Víctor Salazar Balza, 28 ans, participe à une manifestation pour protester contre le projet de réforme de la constitution voulue par le président Nicolás Maduro. Victime au cours d’affrontements violents avec la police anti-émeute de l’explosion du réservoir d’essence d’une moto de la Garde nationale, le jeune manifestant se transforme en torche humaine. Il s’en sortira avec des brûlures sur 72 % de son corps et subira des greffes de peau.

“La photo de l’année doit raconter un événement, soulever des questions…”

Le jury a dû choisir cette année parmi 73 044 images envoyées par 4 548 photographes de 125 pays. La présidente du jury, la directrice de la photographie du magazine Geo France Magdalena Herrera, a justifié son choix en déclarant que « la photo de l’année doit raconter un événement. Elle doit aussi soulever des questions… Elle doit nous parler et montrer un point de vue sur ce qui s’est passé dans le monde cette année. C’est une photo classique, mais elle a une énergie et une dynamique instantanées, des couleurs, du mouvement et elle est très bien composée. Elle a de la force. »

Dès 1955, les prix ont été attribués, du moins dans les premières années, à des images de news qui relataient les événements au plus près de leur réalité. Depuis l’année dernière, les choix privilégient l’événement par rapport au regard. On peut le regretter, sans bien entendu nier le talent des photographes d’agence. Etre au bon moment, au bon endroit, avoir le réflexe de déclencher à l’instant le plus opportun pour une image forte. Ce sont là les qualités que l’on demande à ces photographes, notamment ceux des agences de presse comme l’AFP, AP ou Reuters. Chroniqueurs infatigables des soubresauts du monde, ils le font avec conviction sans hésiter à prendre des risques et à mettre leur vie en jeu.

Ronaldo Schemidt fait partie de ces photographes. Il déclarait en février au British Journal of Photography à propos de cette image : « Je me tenais de dos à quelques mètres. Quand j’ai senti la chaleur des flammes, j’ai pris mon appareil photo et je me suis retourné pour commencer à photographier ce qui venait de se passer. Tout a pris quelques secondes à peine. Je ne savais pas ce que je prenais. J’ai été guidé par l’instinct, c’était très rapide. Je n’ai pas arrêté de déclencher avant de réaliser ce qui se passait. Il y avait quelqu’un en feu qui courait vers moi. » Inévitablement, il a su réagir avec sang-froid et professionnalisme.

Leurs images sont envoyées à tous les journaux qui les reçoivent via un fil qui les distribue sans discontinuer. L’impact de telles photos est renforcé par la multiplication simultanée de leur publication à la une des journaux du monde entier. Elles répondent à des règles d’écriture très précises qui leur demandent une lisibilité immédiate, une compréhension sans ambiguïté et un langage compréhensible par tous les lecteurs, quel que soit l’endroit de la planète où ils la découvriront.

Des regards d’auteur

Les journaux, magazines et quotidiens soucieux de leur identité et attachés à signifier leur différence préfèrent en général demander à des photographes de porter un autre regard, plus personnel, et de produire des images sans doute moins spectaculaires mais qui donnent à voir une situation dans sa complexité, dans son contexte, ses différents acteurs et leurs rapports de force… A la fin des années 80 et pendant les années 90, les jurys se sont attachés à récompenser ce type d’approche et à valider des regards d’auteur.

Les journaux produiraient-ils moins aujourd’hui ce type de reportages, pour des raisons économiques et par manque de place pour les mettre en valeur ? En tout cas, si les jurys des World Press Photo ne les récompensent pas, s’ils ne les valident et ne les encouragent pas, il est à craindre qu’elles disparaissent et que nous ayons tous au bout du compte les mêmes représentations du monde dans nos pages.

Cette année, pour la première fois, le World Press Photo avait rendu publiques les six images qui étaient encore en lice pour le prix de la photo de l’année. C’est la plus spectaculaire qui a été choisie. Sur les six images, on pourra voir que celles produites pour le New York Times répondent à des écritures différentes de celles d’images de news. On ne peut que se réjouir qu’au moins quatre d’entre elles étaient produites par des journaux, comme celles qui ont reçu des prix dans les autres catégories. Rien n’est perdu.

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