Sebastião Salgado : «Je n’ai jamais exploité la misère»

Pour célébrer les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Franco-Brésilien expose au Musée de l’Homme. Rencontre avec un photographe engagé.

 Le photographe franco-brésilien Sebastião Salgado.
Le photographe franco-brésilien Sebastião Salgado. LP/Frédéric Dugit

    Son nom sonne déjà comme une invitation au voyage : Sebastião Salgado. Mais pas n'importe quel voyage : si le photographe franco-brésilien de 74 ans a parcouru le monde, c'est pour témoigner de la condition humaine, faite de joies et de souffrances. Au point de se rendre malade, après des reportages au Rwanda, d'arrêter la photo, puis de la reprendre pour se consacrer davantage aux beautés de la nature. Engagé dans ses photos, il l'est aussi au côté de son inséparable femme, Leila, dans le reboisement de son pays, le Brésil.

    Son regard intense, dans tous les sens du terme, nous l'avons rencontré au Musée de l'Homme pour une exposition qui célèbre les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

    Pourquoi cette exposition au Musée de l'Homme ?

    SEBASTIÃO SALGADO. Nous avons été invités à participer à cette commémoration. C'est un plaisir. Et l'occasion de me rendre compte que les photographies que j'ai prises pendant toute ma vie, sont complément en corrélation avec la charte et avec ce que représente ce Musée.

    Comment avez-vous choisi les photos ?

    Nous avons fait une sélection de 31 anciennes photos qui sont mises en relation avec des chapitres de la déclaration, sur le droit au travail, droit à la religion, à l'éducation… Ce sont des photos très simples mais qui parlent toutes du respect à la dignité humaine.

    Une dignité et une déclaration qui continuent à être bafouées dans le monde entier…

    Elle l'a malheureusement toujours été. C'est pour cela qu'il faut témoigner, la faire connaître et la défendre sans arrêt. Ce n'est pas une loi. Elle n'a jamais été votée mais elle reste une référence pour tous les Etats. Elle gêne parfois mais elle guide aussi. Quand je vois que, même en France, il y a beaucoup plus de gens à la rue qu'il y a 30 ans, je me dis qu'elle a toujours autant de sens…

    Est-ce que vous diriez que vos photos sont militantes ?

    Non. Je ne suis pas un militant. Je n'obéis pas à une ligne, une doctrine. Mes photos, c'est ma façon de vivre, j'y raconte mon histoire, mes préoccupations… Je viens du tiers-monde. J'ai toujours voulu montrer les gens de ce monde mais pour qu'on comprenne qu'ils sont comme les autres, comme nous, pas des êtres inférieurs.

    Comment vous définiriez votre travail de photographe ?

    Photographe humaniste sans doute, photographe documentaire, photo journaliste aussi à un moment.

    Vous n'êtes pas un artiste ?

    Je suis un raconteur d'histoires, pas plus que ça. Dans ce Musée, tu vois des pièces qui au départ étaient des instruments de travail, de la vie quotidienne. Elles n'étaient pas destinées à être des œuvres d'art. Aujourd'hui, elles le sont. Mes photos, c'est à peu près la même chose.

    On vous a parfois reproché d'esthétiser la misère…

    C'est une analyse facile. Ces gens qui travaillent dans les mines ou les champs, au Brésil ou ailleurs, ils sont beaux, ils sont dignes, il n'y a pas de raison de les montrer laids. Je n'ai jamais exploité la misère de personne. C'est très facile d'être assis dans un fauteuil et de critiquer . C'est plus difficile d'être dans un camp au Rwanda ou des milliers de gens meurent chaque jour…. Tout cela il faut le montrer, il faut que les gens sachent…

    Économiste de formation, quel regard portez-vous sur les inégalités dans le monde ?

    Je constate qu'elles se creusent. Les utopies des sociétés soi-disant socialistes n'ont pas marché… Je finis par me demander si l'Homme ne serait pas porteur d'un défaut dans ses gènes qui fait de lui ce super prédateur…. Le profit passe d'abord. Peut-être que c'est finalement la vérité de l'espèce humaine… La charte a été créée il y a 70 ans. Et 70 ans après, elle toujours aussi bafouée.

    Vous êtes aussi très engagé dans la reforestation au Brésil. Vous êtes optimiste pour le climat ?

    Je crois qu'il est difficile de l'être… Nous sommes dans une vraie courbe ascendante de réchauffement. Elle est naturelle mais on l'accélère. On continue à détruire la forêt amazonienne. La seule machine capable de capter le CO2 et le transformer en oxygène, ce sont les arbres… et on continue à les couper. Dans tous les accords de la COP, il n'y a pas un seul de programme de plantation d'arbres! Il faut reboiser partout, y compris en France…

    C'est la solution miracle ?

    Non, ce n'est pas suffisant. Il faut changer nos habitudes aussi, arrêter de consommer autant. La planète n'en peut plus. Il faut qu'on se rééduque… Je ne suis pas optimiste, mais on peut le faire. À notre petit niveau, nous essayons de changer les choses au Brésil avec notre association.

    WEEK-END GRATUIT À CHAILLOT

    L’affiche de l’exposition de Sebastião Salgado./Sebastião SALGADO
    L’affiche de l’exposition de Sebastião Salgado./Sebastião SALGADO LP/Frédéric Dugit

    « Article 1 : Tous les êtres humains naissent libres et égaux. » Le 10 décembre 1948, au Palais de Chaillot, alors siège de l'ONU, 50 états sur 58 (8 abstentions) adoptent la Déclaration universelle des droits de l'homme. C'était il y a 70 ans et cet anniversaire est célébré à partir de ce week-end et jusqu'en juin au Trocadéro, à travers une série de manifestations.

    Au Musée de l'Homme, la photo donne le la avec, dès samedi, l'ouverture des expositions de Sebastião Salgado et celle de Clarisse Rebotier, série de portraits de migrants baptisée « Hic and Nunc ». Un week-end événement, et gratuit, complété par des performances théâtrales et des conférences. En janvier, place au street art avec des expositions et performances d'artistes comme Zwoon ou Madame. En février, c'est l'histoire des esclaves oubliés de l'île de Tromelin que servira de thème à une exposition.

    Le théâtre national de la danse a, lui aussi, mis sur pied une programmation événement sur le thème « Tous humains » dont le point d'orgue sera « la veillée de l'humanité », le 10 décembre, où des artistes (Isabelle Adjani, Carolyn Carlson, Angelin Preljocaj, Éric Ruf…) réinterpréteront la déclaration de 1948.