Roger Ballen, un photographe contrasté

Virtuose du noir et blanc et du format carré, le Sud-africain d'origine américaine est l’un des photographes contemporains les plus anticonformistes. Controversé, Roger Ballen tente pourtant de faire taire les critiques.

Par Raoul Mbog

Publié le 20 mars 2017 à 14h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h56

Une pièce obscure, à peine éclairée par une lueur blafarde venant du plafond. Les murs sont tapissés de dessins et de peintures figurant des personnages anthropomorphes. Assis à même le sol, deux mannequins géants aux yeux d’animaux. Chacun porte une bête sauvage sur les genoux. Le premier représente le photographe sud-africain d’origine américaine Roger Ballen, le second le dessinateur néerlandais Hans Lemmen. Le visiteur est comme saisi d’effroi devant cette installation réalisée à quatre mains par les deux artistes. Elle ouvre le parcours de Unleashed (déchainé en français), une exposition conjointe qu’ils proposent au musée de la chasse et de la nature, à Paris.

Des personnages étranges

Unleashead se veut un exercice de couplage de leurs univers artistiques respectifs. Le dessinateur Hans Lemmen, dont l’imaginaire repose sur les questions liées à la nature et au monde des animaux, utilise des bouts de photographies de Roger Ballen et les intègre dans ses compositions graphiques. A son tour, le Sud-Africain incorpore des dessins du Néerlandais dans ses installations. Ainsi travaille Roger Ballen, artiste majeur de la scène internationale, qui depuis une trentaine d’années explore, souvent de manière déconcertante, la grande promiscuité qu’il peut y avoir entre les hommes et les animaux.

“La photographie est aussi une manière de se regarder dans le miroir” 

« Mon travail est une réflexion sur l’absurdité de la condition humaine et une quête psychologique personnelle. Car je considère que la photographie est aussi une manière de se regarder dans le miroir », affirme Roger Ballen, en faisant visiter son exposition parisienne. L’artiste de 67 ans, au physique impressionnant — plus de 2 mètres et une voix de stentor — photographie exclusivement en noir blanc comme pour mieux illustrer l’étrangeté de ses personnages. Des images insoutenables à l’instar de cet homme dérangé berçant tendrement un verrat. Sur cette photo, les deux sujets sont confondants de ressemblance. Autre exemple, un personnage au visage émacié et à la bouche édentée qui élève des rats dans sa chambre à coucher, elle-même remplie de câbles électriques. Tel est l’univers de ce natif de New York qui s’installe à Johannesbourg en 1980, dans une Afrique du Sud alors en plein Apartheid.

Roger Ballen réalise des portraits de Sud-Africains blancs — les fameux Afrikaners —, marginalisés mentalement instables (souvent du fait de mariages consanguins), physiquement fragiles, et ne correspondant pas à ce qui peut être admis comme des standards de beauté. « Qu’est-ce qu’être beau veut dire ? Je ne crois pas aux définitions classiques de la beauté. Pour moi, il faut aller la chercher au-delà du masque que constitue notre visage. », soutient le photographe qui ne cache pas son admiration pour l’écrivain Samuel Beckett (1906-1989), connu pour son pessimisme face à la condition humaine. De même revendique-t-il une certaine proximité avec la photographe américaine Diane Arbus (1923-1971), également connue pour ses portraits de handicapés mentaux à New York.

Roger Ballen, Puppy Between Feet,1999, photographie.

Roger Ballen, Puppy Between Feet,1999, photographie. © Roger Ballen. Collection privée

Au musée de la chasse et de la nature, une partie de Unleashed est consacrée à l’œuvre de Roger Ballen. L’artiste s’attarde devant Puppy between feet, une photo réalisée en 1999 représentant un chiot coincé entre des pieds d’homme recouverts de plaies et de puces, afin d’expliquer sa démarche. « Je privilégie des formes simples, presque enfantines, pour aborder des thèmes complexes, pour percer l’inconscient humain. La photographie, c’est descendre à la mine », dit ce géologue de formation, fils d’une ancienne éditrice photo de l’agence Magnum. Et d’ajouter : « La photographie aide à mieux se comprendre soi-même. Elle nous révèle des choses intimes, très souvent dérangeantes, énigmatiques. »

“Les gens n’ont aucune idée de la réalité de mon travail” 

Virtuose du noir et blanc et du format carré, Roger Ballen est l’un des artistes photographes contemporains les plus anticonformistes. Après presque quinze années passées à documenter les dorps, ces villages sud-africains perdus au milieu de nulle part et où étaient relégués les exclus blancs de l’Apartheid, il est révélé au public international en 1994 avec son livre Platteland : images of rural South Africa (Images de l’Afrique du Sud rurale, éd. St Martins Pr). Mais ce succès le place aussitôt au centre d’une polémique. Il lui est reproché de faire du voyeurisme et de manquer d’empathie pour ses sujets. Pire, de les exploiter. Des critiques que Ballen balaie d’un revers de main et d’un regard noir : « Les gens n’ont aucune idée de la réalité de mon travail ni de la relation profonde que j’entretiens avec mes sujets. Ils m’aiment et je les aime. »

Roger Ballen, Brian with Pet Pig, 1998, photographie.

Roger Ballen, Brian with Pet Pig, 1998, photographie. © Roger Ballen. Collection privée

Le travail de l’artiste a quelque peu évolué ces dernières années. Désormais sur ses photos, un peu moins de présence humaine, plus d’animaux et de signes abstraits. Son dernier livre The Theater of Apparitions (éd. Thomas & Hudson, novembre 2016) tout comme Asylum of the birds, paru en 2014, ont été acclamés par la critique. Roger Ballen est désormais représenté par la prestigieuse galerie d’art contemporain Gagosian, aux côtés d’Andy Wharol (1928-1987), Nan Goldin ou le néo-dadaïste américain Jasper Johns.

Malgré cela, la controverse quant au voyeurisme de Ballen le poursuit. Celui-ci en a rajouté une couche en 2012, lorsqu’il a réalisé le clip vidéo de Die Antwoord, un groupe de hip-hop bien connu en Afrique Sud. I Fink U Freeky, qui reflète l’univers repoussant du photographe, est aujourd’hui un phénomène viral : plus de 90 millions de vues sur YouTube. Conscient que son œuvre est à la fois admirée et controversée, Roger Ballen a créé une fondation éponyme à Johannesbourg « pour promouvoir une meilleure compréhension de la photographie ». C’est sans doute aussi une manière implicite de faire taire les critiques négatives.

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus