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Joana Choumali, une photographe sur les traces de l’identité

La jeune artiste ivoirienne expose ses portraits de scarifiés au festival Photoquai, sur les bords de Seine, à Paris.

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Publié le 29 septembre 2015 à 19h37, modifié le 05 octobre 2015 à 10h17

Temps de Lecture 3 min.

Joana Choumali devant une photo de son exposition dans le cadre du festival Photoquai, au Musée du quai Branly à Paris.

Lèvres rouge vif et coiffure aérodynamique, manteau qui mêle sur l’endroit des motifs géométriques et sur l’envers du tissu africain, baskets bleues et lunettes de soleil rondes rétro : la photographe Joana Choumali a l’allure branchée et cosmopolite. Mais elle a surtout un look à son image, au carrefour de nombreuses cultures, enraciné en Afrique. Cette photographe née à Abidjan, fille d’un Ivoirien et d’une mère hispano-équato-guinéenne, a appris depuis longtemps à embrasser les questions qui tournent autour de l’identité. Le travail qu’elle présente sur les rives de la Seine à Paris, pour le festival Photoquai, « Hââbré, la Dernière Génération », n’est pas étranger à ce thème. Elle a réuni une série de portraits frappants, ceux d’habitants qu’elle a rencontrés dans sa ville, et qui ont en commun d’avoir le visage marqué par des scarifications. Ces cicatrices étroites ou larges, écartées ou serrées, qui affichent à même la chair, et jusqu’à la mort, l’origine et l’histoire de celui ou celle qui les porte.

« On m’a beaucoup demandé, à Abidjan, pourquoi je m’intéressais à ça On m’a dit que c’était une pratique barbare, que ce n’était pas un sujet moderne. Mais ça fait longtemps que je suis fascinée par les scarifications. On en voyait beaucoup quand j’étais enfant à Abidjan, nettement moins maintenant. Je trouve que les pratiques controversées ne sont pas toutes négatives. Et que quoi qu’on en pense, ça fait partie de l’identité africaine. »

« Les scarifications disent que vous êtes d’ailleurs »

Pour trouver ses sujets, la photographe a abordé les gens dans la rue. Ce sont pour la plupart des immigrés du Burkina Faso ou du Nigeria, issus de catégories populaires – « une nounou, un chauffeur de taxi, un peintre, un gardien, un charpentier», liste-t-elle. Tous se sont fait scarifier au village, quand ils étaient enfants. « Les scarifications étaient un signe de reconnaissance, une carte d’identité visuelle. Elles disaient la famille dont on vient, le village, la région. Des femmes, qui étaient reconnues comme artistes, passaient dans les villages et scarifiaient les enfants. Elles incisaient la peau et appliquaient une poudre cicatrisante. » La plupart en gardent un souvenir vif, et douloureux. « L’une des femmes qu’on voit ici est toujours en colère contre ce qu’on lui a fait. A l’autre extrême, Christine a demandé à être scarifiée à 10 ans, elle en est fière. »

Mais l’évolution sociale, l’augmentation des déplacements et des échanges, le recul de l’identité locale ont peu à peu fait tomber en désuétude la pratique. Les cicatrices sont de plus en plus difficiles à porter en ville, où elles ne sont plus comprises, et deviennent les marques d’un autre temps. « Un des mes sujets m’a dit qu’il avait la sensation d’être ringard. Les gens considèrent de plus en plus les scarifiés comme des analphabètes, des pauvres. Le chauffeur de taxi que j’ai photographié m’a confié qu’à cause de ça il n’arrivait pas à avoir de rencard. » Les scarifiés se font insulter dans la rue, traiter de « balafrés ». « Avec la crise ivoirienne, explique Joana Choumali, il y a eu une séparation des communautés, une méfiance grandissante. Et les scarifications disent que vous êtes d’ailleurs. » Aujourd’hui, aucun des modèles ne veut faire scarifier ses enfants.  

« Il faut intégrer le passé »

La photographe elle-même a dû apprivoiser ses modèles pour gagner leur confiance. « Le fait que je sois africaine m’a aidée Même si on me prend souvent pour une Américaine, car je ne suis pas typique. J’ai pris beaucoup de temps pour expliquer ma démarche, et je leur ai donné un tirage. Ensuite, le bouche à oreilles a fonctionné. » La photographe les a fait poser sur un fond neutre, « comme des gens normaux, sans jugement implicite, sans dénoncer ni glorifier ». Elle revendique aussi une approche contemporaine, loin des études ethnologiques ou des photographies exotiques d’antan : « C’est une pratique qui meurt, mais ces gens-là sont bien vivants.C’est la dernière génération à être scarifiée. J’ai fait ces photographies pour ne pas oublier. »

La photographe, qui a eu d’abord une carrière dans la publicité à Abidjan, a ouvert son propre studio de photographie et mène en parallèle une carrière d’artiste visuelle – « un métier qui est encore surtout considéré comme masculin », regrette-t-elle. Elle qui a beaucoup voyagé tourne à présent son appareil sur l’Afrique. « Les Africains sont souvent les plus virulents envers les spécificités de leur culture Ils n’arrêtent pas de se comparer, moi je pense qu’il faut intégrer le passé, l’accepter, et aller de l’avant », déclare Joana Choumali, à l’aise dans ses baskets bleues.

Festival Photoquai, 40 photographes non européens exposés sur le quai Branly, 24 h/24, tous les jours, du mardi 22 septembre au dimanche 22 novembre. www.photoquai.fr et www.quaibranly.fr

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