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Valérie Belin, femme de papier

La photographe française, que le Centre Pompidou a consacrée en 2015, expose sa dernière série chez Nathalie Obadia à Paris. Femmes glacées, flux des images, le mystère reste entier chez cette peintre de l'objectif. Trompe-l'œil philosophique.

Derrière les beautés immobiles de Valérie Belin, il y a tout un monde en attente. Il est fait d'accumulations de références, de superpositions de motifs qui laissent planer un doute. Ils sont autant des papiers peints que des niveaux de lecture. Ils donnent au sujet central un contexte toujours délicatement étrange et décalé. Un grain de surnaturel fige ces portraits bien réels dans un temps qui n'est plus le nôtre et qu'il est d'ailleurs difficile de déterminer. Où est la vérité? Où commence le (men)songe? D'emblée, on retrouve ce chaud-froid qui marque le travail sur arrêt de cette photographe française. Née en 1964 à Boulogne-Billancourt, Valérie Belin est une douce cérébrale passée par les Beaux-Arts de Bourges (1983-1988), puis par des études en philosophie de l'art (1989).

Dans sa dernière série, All Star, les belles sont maquillées avec la même précision professionnelle que les danseuses parfaites de sa série Lido (2007), si parfaites qu'elles semblent être des clones ou des mannequins inanimés (effet déjà fort troublant de sa série Super Models, 2015). Leurs chignons sont sages comme ceux de Claude Jade que Truffaut rebaptisait tendrement Peggy Sage par la voix d'Antoine Doinel dans Domicile conjugal (1970). L'eye-liner, noir et large, transforme les yeux en tableaux mélancoliques. Mais la bouche sensuelle est pleine, maquillée comme celles des femmes fatales qui ne sourient jamais dans les films noirs. Elle ressemble aux grenades et aux fruits interdits, car trop beaux, de sa série Corbeilles de fruits (2007).

Plus picturale

Les chemisiers fleuris, choisis par l'artiste, accentuent cette «contamination de l'humain et de l'objet, de l'animé et de l'inanimé» qu'évoque Quentin Bajac dans le livre qui analyse l'évolution des thèmes et des techniques de ses Photographies, 2007-2016. La femme, ainsi dépeinte par des couleurs comme usées par le souvenir, est un paradigme de femme. Comme d'ailleurs les héros de comics américains, qui l'encadrent et la recouvrent, sont des archétypes de cinéma. «Avec le passage à la couleur, l'image devient finalement beaucoup plus picturale», confie-t-elle en 2008, lors de l'exposition «Correspondances: Valérie Belin, Édouard Manet» au Musée d'Orsay. C'est bien de peinture qu'il s'agit, métamorphosée par les moyens digitaux que permet le numérique.

Petit module tout fin, Valérie Belin dégage paradoxalement une force d'extraterrestre. Elle aussi, avec ses joues pâles et ses sourcils arqués, pourrait jouer les statues dans ses séries extrêmement travaillées qui réinventent le trompe-l'œil. On l'a encore vérifié en juillet pendant les Rencontres d'Arles lorsque cette lauréate du prix Pictet 2015 est venue expliquer son travail dans le Théâtre antique. Fine silhouette de poupée assise bien droite, comme posée sur un chevalet, elle affrontait en téméraire le vaste public, le trac, la nuit, les moustiques. Un moment intense, comme sur le fil du rasoir.

Galerie Nathalie Obadia. 18, rue du Bourg-Tibourg (IVe). Tél.: 01 53 01 99 78. Horaires: du lun. au sam., de 11h à 19h. Jusqu'au 29 octobre. CAT.: «Valérie Belin», livre rétrospectif, préfacé par Quentin Bajac, ex-conservateur en chef de la photographie à Beaubourg, Chief Curator of Photography du MoMA (Museum of Modern Art ), Éditions Damiani, 50€.

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