Sophie Calle, sa drôle de cache-cache party à la galerie Perrotin

Une fois de plus, l’ineffable Sophie Calle nous prend par surprise, et par les sentiments, avec une exposition sur son chat Souris (qui se chante), et des sentences coups de théâtre qui dissimulent ses photos intimes.

Par Luc Desbenoit

Publié le 30 novembre 2018 à 16h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h12

Intitulée Parce que, la dernière performance de Sophie Calle (née en 1953) fait souffler un vent de fantaisie dans l’univers clinique de la galerie Perrotin à Paris. Sur les cimaises blanches, l’artiste a accroché dix neuf photos. Toutes sont dissimulées derrière un rideau sur lequel est brodé une phrase énigmatique. Exemple : « Parce que la vengeance est un plat qui se mange froid ». Le visiteur soulève le tissu, il découvre l’image de deux tombes, l’une minuscule, sur laquelle est gravée « Father », à coté d’une autre « Mother », bâtie sur le même modèle, mais si grande qu’elle écrase le « père » de sa présence.

Avec cette exposition, Sophie Calle continue d’explorer les obsessions d’une œuvre autobiographique. Depuis quarante ans, la Française imagine des performances aux règles strictes qu’elle suit à la lettre. En 1979, elle demande à 28 personnes de venir dormir dans son lit pour les photographier dans leur sommeil. Puis elle prend en filature un inconnu qu’elle suit jusqu’à Venise, avant de se faire embaucher comme femme de chambre dans un grand hôtel de la cité des Doges pour photographier les effets personnels des clients. Elle rend également publique une lettre de rupture envoyée par un amant, en la faisant lire par 107 femmes. Sophie Calle provoque, s’expose, tire les ficelles, manipule le regardeur qu’elle transforme en voyeur, en se montrant ici sein nu, donnant le sein à un bébé anonyme, elle qui n’a pas d’enfant : « Parce que j’ai trouvé sur le Net une définition me concernant qui tient en sept mots : “Sophie Calle, artiste sans enfant par choix.” »

Parce que j’ai trouvé sur le Net une définition me concernant qui tient en sept mots : “Sophie Calle, artiste sans enfant par choix”.

Parce que j’ai trouvé sur le Net une définition me concernant qui tient en sept mots : “Sophie Calle, artiste sans enfant par choix”. © Sophie Calle / ADAGP, Paris 2018 Photo: Claire Dorn

Cette « faiseuse d’histoires » comme l’avait surnommé son ami, l’écrivain Hervé Guibert (1955-1991), se sert toujours de la vidéo et de la photo pour enregistrer ses performances. Ce qui lui a valu de décrocher (en 2010) le prestigieux prix Hasselblad, le « Nobel » de la photographie. Ses images n’ont pourtant rien de bien remarquables. Souvent banales, elles lui servent de pièces à conviction, de traces concrètes de l’action vécue comme on peut à nouveau le découvrir à la galerie Perrotin. Avec des textes sobres, elle tire savamment parti de clichés anodins pour évoquer sa vie de tous les jours, ses voyages, ses étonnements, ses drames personnels.

Cette photo d’une peluche posée sur un coussin devient glaçante lorsqu’on comprend avec son commentaire — « parce que je n’ai pas de mots pour décrire son univers »— qu’il s’agit du jouet d’un enfant mort, David. Obsédée par l’absence, la disparition, Sophie Calle rend un hommage émouvant à son père, le cancérologue et collectionneur d’arts Robert Calle (1920-2015), avec la photo de son fauteuil vide qu’elle présente ainsi, pudiquement : « Parce que c’était le sien, Parce qu’il me regarde » (1).

Une deuxième exposition, toujours à la galerie Perrotin, est consacrée à son chat Souris. Dans un film, l’artiste raconte sa passion pour le félin noir et blanc qui combla son absence d’enfant, leurs dix sept années de vie commune au milieu des animaux empaillés de son domicile. Le jour de sa mort, en 2014, elle dispose son cadavre dans un petit cercueil lui donnant l’allure d’un animal sacré de l’Egypte des pharaons. Puis, elle produit un album en demandant à ses amis chanteurs et musiciens de composer un morceau à sa mémoire. Benjamin Biolay, Camille, Christophe, Thomas Fersen, Jean-Michel Jarre, Miossec, une quarantaine d’artistes réalisent ainsi une compilation gravée sur des 33 tours. Ornés de la photo du matou sur le rond central, les vinyles sont accrochés sur les murs d’une salle divisée en alcôves avec coussins et casques audios pour écouter en toute intimité les hommages musicaux dédiés à Souris.

Parce que quoi d’autre après plus rien ? 

Parce que quoi d’autre après plus rien ?  © Sophie Calle / ADAGP, Paris 2018, Photo: Claire Dorn

Avouons-le : la démonstration de tendresse frise parfois le ridicule, tant il est difficile de s’associer à son chagrin. Mais cela reste du pur Sophie Calle. Avec Parce que et Souris Calle l’artiste rappelle en tout cas qu’elle n’a rien perdu de son mordant pour inventer autour de sa personne, des jeux, ou plutôt des rituels toujours aussi surprenants, dans une société qui en manque singulièrement.


(1) A voir dans le livre complémentaire de l’exposition Parce que aux éd. Xavier Barral (72 p., 36 €)

on aime beaucoup Sophie calle, Parce que et Souris Calle, à la galerie Perrotin, Paris, jusqu’au 22 décembre. Entrée libre.

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