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Puisqu’il n’est plus permis d’exhiber un téton ou une aisselle chevelue sur les réseaux sociaux, autant se lâcher complètement et s’offrir à l’objectif… Dans le plus simple appareil ! Ambigu, sexiste, égalitaire et philosophique : le nu en photographie revêt bien des significations.



Vous voulez un indice pour trouver le photographe? (Spencer Tunick)
Vous voulez un indice pour trouver le photographe? (Spencer Tunick)


Étrange sujet que celui du Nu. Un vrai genre en soi ? Et tout cas un genre qui n’existe que dans l’art occidental. Avec un soupçon d’hypocrisie : on parle du Nu, mais on devrait dire le Nue puisque le sujet concerne essentiellement le nu féminin. Car pendant longtemps, les photos d’hommes nus ne figurent que dans des revues qui circulent sous le manteau. Il faut attendre celles de Roy Blakey, Robert Mapplethorpe et, en France, de Jean-François Bauret (Portraits d’hommes nus connus et inconnus, paru aux éditions Balland en 1975) pour que le nu masculin obtienne une reconnaissance artistique. Laquelle n’évite ni le scandale ni les interdictions.



Ah non, on avait dit : pas de poils (Roy Blakey)
Ah non, on avait dit : pas de poils (Roy Blakey)


D’un côté donc, le nu féminin genre devenu académique. D’un autre, le nu masculin, quasi-cantonné à la culture gay. Pourquoi un tel écart ? C’est le reflet d’une société livrée au pouvoir masculin, dans laquelle le corps féminin est un bien, une marchandise que se montrent entre eux les amateurs de peinture.



Belle prise les gars ! (The Rawhide Male, 1968)
Belle prise les gars ! (The Rawhide Male, 1968)


Autre coup de force : dissimuler le désir érotique derrière un genre artistique. Car si le Nu était un genre en soi, pourquoi ne représenter que des beaux corps ? Cinq siècles de peinture ne montrent presque que ça. Avec, parfois, un corps flétri, vanité qui n’est là que pour rappeler à la favorite que ses attraits seront soumis à la loi du temps et qu’elle aurait tort de se croire toute-puissante par rapport au commanditaire de l’œuvre (lequel a souvent quelques années de plus que la belle).



Les Trois Ages de la Femme, Lizzie Saint-Septembre
Les Trois Ages de la Femme, Lizzie Saint-Septembre


De beaux corps, donc, pour stimuler le désir. La problématique peut alors devenir : la photo de nu doit-elle être réaliste ou idéaliser le corps ? Dans la lignée des mouvements naturistes (apparus à la fin du XIXème), la photographie va trouver un subterfuge : lier l’idée de nature et la nudité. Avantage : contourner la morale religieuse et montrer la nudité comme un état naturel, originel. Dans l’Allemagne du début du XXème, de nombreuses revues exaltent la pureté du corps nu, qui véhicule les notions de santé et d’hygiène, mais aussi le côté athlétique, la force. Bientôt, ces conceptions, inoffensives au départ, s’appliqueront à l’échelle d’une nation et dériveront vers les idées les plus nauséeuses.



31 1940

Photographier le corps masculin au même titre que le corps féminin, échapper à des formes de représentations académiques, mettre tous les corps sur le même pied d’égalité : les photographes contemporains sont à même de renouveler un genre.

Par exemple, à travers les happenings géants du photographe américain Spencer Tunick réunissant des centaines, parfois des milliers de modèles dans une démarche parfois politique, parfois aux frontières du new age et du land art, un peu creuse.



Spencer Tunick n’a pas froid aux yeux
Spencer Tunick n’a pas froid aux yeux


Moins spectaculaire mais plus puissante nous semble l’approche de Denis Darzacq, demandant à ses sujets de s’élancer nus, au petit jour, au milieu de la zone pavillonnaire qui est leur cadre de vie. Nos vies et nos élans mis à nu, montrés sans fard devant l’objectif. Le corps et son lieu de vie : le quotidien de l’existence dévoilé.



Denis Darzacq
Denis Darzacq



Denis Darzacq
Denis Darzacq


Reste le nu libéré, déchaîné, joyeux, totalement décomplexé et souvent inventif que capte ou met en scène Ryan McGinley. Un nu qui se soucie peu des représentations du passé.



Ryan McGinley
Ryan McGinley



Ryan McGinley
Ryan McGinley


Oui mais voilà : nous restons toujours confinés dans notre position de spectateur, de regardeur, parfois même de voyeur. Et on en oublie presque que se mettre nu ou vivre nu est plus une expérience physique qu’une expérience visuelle. Alors, une des superstars de l’art contemporain, James Turrell, dont le travail se concentre sur une appréhension physique et mystique de la lumière, a demandé à un autre artiste contemporain, Stuart Ringholt, d’organiser une visite un peu particulière. Pour sa dernière exposition à la National Gallery de Canberra, a eu lieu une visite privée réunissant une cinquantaine de spectateurs qui devaient se dénuder entièrement pour l’accès aux oeuvres. Réceptivité maximale, sensibilisation aux rayons lumineux, les spectateurs se sont déclarés prêts à faire ça pour chaque exposition.



Christo Crocker/National gallery of Australia/ AFP
Christo Crocker/National gallery of Australia/ AFP



Christo Crocker/National gallery of Australia/ AFP
Christo Crocker/National gallery of Australia/ AFP


Voilà qui va faciliter considérablement ce nouveau genre qui affole les autorités morales et touristiques. Faire son autoportrait nu devant un monument célèbre : aussi populaire que subversif, voici venu le temps du selfesse.



Mais qui est le mystérieux nakedhandstander.com ?
Mais qui est le mystérieux nakedhandstander.com ?