Rencontres de Niort : huit expos à ne pas rater

La 22e édition des Rencontres de la jeune photographie internationale de Niort dure jusqu'au 28 mai. De Calcutta à la Chine, en passant par les Etats-Unis, elle présente les œuvres d'artistes aux styles et aux propos variés. Avec Olivier Culmann en invité d'honneur.

Par Sabrina Silamo

Publié le 21 avril 2016 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h38

«Surprendre et par là questionner », tel est le credo de Patrick Delat, directeur du Centre d’art contemporain photographique-Villa Perochon et tête chercheuse des Rencontres de la jeune photographie internationale de Niort. Cette année, ce festival accueille huit expositions de photographes émergents, consacrées à des artistes internationaux en résidence, et une rétrospective d'Olivier Culmann, invité d'honneur de cette 22e édition, aussi surprenante qu'enthousiasmante.

Pendant quelques semaines, la confrontation d'artistes plus ou moins reconnus avec des résidents issus des quatre coins du monde (choisis parmi plus de 170 dossiers) permet de rendre compte de la pratique photographique d'aujourd'hui. Un panorama à découvrir dans des lieux emblématiques (ancien museum d'histoire naturelle, ancien quartier militaire...), transformés en centre d'art grâce à l'action efficace d'une poignée de bénévoles.

Les oubliés de Calcutta

Diplômé en photojournalisme, Soham Gupta avoue : « Je suis un solitaire et je photographie la solitude. » Celle des bannis de Calcutta, sa ville natale, qu'il saisit dans la nuit noire protégeant les marginaux du regard des autres. Il fait leur portrait de face et au flash, mettant ainsi en lumière ces éclopés. La colère et la frustration qu'ils ressentent, Soham Gupta la partage. Il la compare à celle qu'il éprouvait enfant, victime de graves crises d'asthme qui le maintenaient en dehors du cours normal de la vie. Cette série intitulée Angst est présentée pour la première fois en France. Elle est accompagnée d'une citation d'Hubert Selby Jr. (écrivain dont les romans sont hantés par des personnages désespérés), extraite de La Geôle (The Room) : « They don’t know the terrors that go through your mind as you lie there in the pit waiting for a hint of light to tell you that the night is over. » (Il ne connaissent pas les peurs qui vous traversent l'esprit quand vous êtes couché là dans la fosse attendant un soupçon de lumière pour vous dire que la nuit est finie).

• Soham Gupta, jusqu'au 28 mai. Espace Michelet, 3, rue de l'Ancien-Musée.

La disparition de la mémoire

Quel souvenir garde-t-on de l’être aimé ? La Japonaise Mana Kikuta répond à la question en évoquant la légende de Callirrho, la fille d'un potier de Corinthe qui, au VIe siècle av. J.-C., dessina sur un mur au charbon de bois et à la lueur d’une lampe le profil de son amant. Pour évoquer l'impression évanescente de cette trace, Mana Kikuta utilise le collodion humide, un procédé inventé au XIXe siècle, et des plaques de verre sur lesquelles se superposent deux, trois ou cinq portraits. Le tout forme un ensemble poétique intitulé Comme la lune qui, fixé perpendiculairement à la cimaise, permet de jouer sur le positif et le négatif. Durant sa résidence, c'est à Muybridge (1830-1904), connu pour ses décompositions photographiques du mouvement, qu'elle rend hommage. Mana Kikuta a photographié les gestes d'un jeune musicien jouant d'un violon imaginaire, puis les a reportés sur des plaques de verre – qu'elle a ensuite empilées telle une sculpture.

• Mana Kikuta, jusqu'au 28 mai. Espace Michelet, 3, rue de l'Ancien-Musée.

Mana Kikuta, Retrouvailles

Mana Kikuta, Retrouvailles

Héritière des humanistes

Résidente en 2009, où elle avait suivi une famille niortaise en difficulté sociale, Lisa Wiltse s'est spécialisée dans la photographie documentaire. Au belvédère du Moulin du Roc, deux de ses séries sont présentées : Les Mennonites boliviens, colonie religieuse vivant en autarcie à environ à 150 kilomètres au nord de Santa Cruz, et Les Enfants du charbon, ceux qui vivent dans les bidonvilles de Manille. Silence et rigueur captées en noir et blanc s'imposent dans les images réalisées avec les mennonites. De celles des gamins jouant dans les ordures émanent, par contre, une véritable joie de vivre dont témoigne l'Américaine, en digne héritière des photographes humanistes. 

• Lisa Wiltse, jusqu'au 28 mai. Belvédère du Moulin du Roc, 9, boulevard Main.

Sur le front

A 24 ans, la Polonaise Wiktoria Wojciechowska incarne à merveille la tirade de Corneille : « Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années. » C'est en découvrant son portfolio à Arles au cours de l'été 2015 que Patrick Delat décide de l'inviter. Elle présente Sparks, un reportage mené auprès de jeunes soldats affectés en Ukraine. Sur les cimaises blanches du pavillon Grapelli, l'intensité de leur regard – qui a vu la mort et qui raconte l'horreur – saisit le visiteur. D'ailleurs, sur les photos de ceux qui sont morts au combat, Wiktoria Wojciechowska place une délicate feuille d'or. Quant aux autres, elle est allée à leur rencontre, jusque sur le front, pour les filmer et recueillir leurs confidences. La parole s'ajoutant au portrait, c'est toute la détresse de la jeunesse, de ceux partis avec l'espoir de protéger leur famille et de servir leur pays, qu'elle cerne avec brio et émotion.

• Wiktoria Wojciechowska, jusqu'au 28 mai. Pavillon Grappelli, 56, rue Saint-Jean. 

Paysage impressionniste 

« Découvrant Niort, j'ai été immédiatement attirée par la présence de l'eau et des éléments qui viennent s'y mêler. » Résultat : Anais Boudot a transformé le Pilori, bel édifice médiéval du centre-ville, en paysage impressionniste. Pour mieux explorer les sensations et plonger le spectateur dans ce lieu hors du temps, cette diplômée de l'Ecole nationale supérieure de la photographie d'Arles et du studio du Fresnoy a décidé de manipuler l'argentique et le numérique. Les accidents ainsi provoqués dans ses images créent des flous, forment des déchirures ou des Fêlures (le titre de cette série présentée à Niort), qui parfois s'apparentent au velouté d'un dessin au fusain. Une suite poétique et végétale d'où émergent parfois un dos, un bras, une main.

• Anaïs Boudot, jusqu'au 23 avril. Espace d'arts visuels du Pilori, place du Pilori.

Les héros des petits métiers

Tenant fièrement son vélo à deux mains, ce laitier regarde droit devant lui. Saisi au crépuscule, il a la stature d'un héros. C'est l'ambition de Selvaprakash L (né à Tirunelveli, en Inde en 1978), qui entend magnifier ces artisans, derniers témoins des métiers de rue en voie de disparition. Avec cette série intitulée Vanishing tribes, cet ex-résident des Rencontres de 2008, désormais chef du département photo de différentes publications dont le mensuel australien DNA ou Time out Bangalore, inaugure la galerie à ciel ouvert des jardins de la brèche. Bonus : ce panneau extérieur présente au verso le projet Short Flashes de Wiktoria Wojciechowska (portraits de Chinois saisis à vélo et sous la pluie) pour lequel elle a obtenu en 2015 le prestigieux prix Oskar Barnack, du nom de l'ingénieur qui inventa le Leica.

• Selvaprakash L, jusqu’au 28 mai. Jardins de la brèche, avenue Bujault.

Selvaprakash L, MilkMan

Selvaprakash L, MilkMan

Une ville, la nuit

Avec pour tout bagage une citation de Guy Debord « Un jour, on construira des villes pour dériver », Julien Lombardi, ethnologue et photographe autodidacte, est parti en Inde. Après avoir repéré, dans des cités fortement peuplées et saturées de signes, les zones mystérieusement éclairées la nuit, il a suivi ces sources de lumière. Ses balades « de phare en phare » dessinent une cartographie où les rues et les places, vidées de leurs passants, se transforment en décors poétiques. Une vingtaine de tirages – accompagnés de ceux de la série Processing landscape – parfaitement présentés dans le salon design des propriétaires de l'atelier du cadre, galerie partenaire associée des Rencontres.

• Julien Lombardi, jusqu'au 30 avril. Galerie Atelier du Cadre, 62 bis, avenue de Limoges. 

Nous, les autres et Olivier Cullman 

Succédant à Klavdij Sluban, Olivier Culmann s'installe à la Villa Pérochon. En quelque 130 images et quatre séries datées de 2001 à 2013, l’exposition présente le parcours de ce membre du collectif Tendance floue. C'est d'abord L'Atlantique, une histoire racontée à travers 1 200 containers photographiés dix jours durant et selon un même angle (variant en fonction du jour et de la météo) sur un cargo assurant la liaison de Hambourg à Montréal avec à son bord un équipage indien. « Je pensais aller en Amérique et je me suis retrouvé en Inde. L'inverse de Christophe Colomb », commente-t-il avec l'humour qui le caractérise et que renforce l'installation de ces photographies monumentales. En effet, entre cognaciers et pommiers, la ligne d'horizon de l'océan et le niveau du mur provoquent un léger mal de mer !

Olivier Culmann, Autour, New York, septembre 2001

Olivier Culmann, Autour, New York, septembre 2001

A ces tirages succèdent ceux de la série Autour, pris quelques jours après les attaques du 11-Septembre, quand Olivier Culmann, dos aux tours anéanties, saisit le regard des passants new-yorkais. Se déploie ensuite l'intégralité du projet The Others, récemment présenté au musée Nicéphore-Niépce. Inspiré des pratiques photographiques actuelles à New Delhi, Olivier Culmann a créé 35 archétypes symbolisant la société indienne, qu'il a déclinés en autant d'autoportraits « à divers stades capillaires », comme il le souligne ! Ce travail, qui déborde de kitsch et d'autodérision, pose cependant la question de l'identité, de la représentation, de l’interprétation et explore aussi les limites du médium photographique (reconstitution d'après des images abimées, peintures d'après photos...). A l'étage, dans une enfilade de pièces majestueuses mais délabrées, sont exposées les photographies d'anonymes regardant la télé. Ces murs laissés nus et ces imposantes cheminées forment un décor parfait pour cette série qui transforme la télé en substitut du foyer.

• Olivier Culmann, jusqu'au 28 mai. Villa Pérochon, 64, rue Paul-François-Proust.

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