Le photographe Henri Cartier-Bresson, disparu en 2004, reste à jamais le maître de « l’instant décisif ». Soit. Mais encore ? Cette formule, qui résume le coup d’œil fulgurant du photographe, capable de saisir l’instant où le passant saute par-dessus une flaque d’eau, a fini par enfermer son auteur dans un cliché. Celui d’un artiste qui tire plus vite que son ombre et saisit le mouvement. « Cette histoire d’instant décisif est une tromperie, plaide Agnès Sire, directrice artistique de la Fondation Henri Cartier-Bresson. Elle n’est pas fausse, mais elle est réductrice. » L’expression est née en 1952, lorsque le premier livre du photographe, Images à la sauvette, a été traduit en anglais et qu’il a fallu trouver un titre. Ce sera The Decisive Moment. « Il a été retenu parmi des dizaines d’autres ! En dépit de la résistance d’Henri qui le trouvait très éloigné du français. »
« Henri Cartier-Bresson attachait beaucoup d’importance au travail de l’inconscient, à la mémoire. » Agnès Sire, directrice artistique de la Fondation Henri Cartier-Bresson
Alors que la Fondation Henri Cartier-Bresson, qui conserve ses archives et organise des expositions, a emménagé en octobre dans de nouveaux locaux, plus spacieux, à Paris, cette carte blanche présente des images moins connues et plus inattendues du cofondateur de l’agence Magnum Photos.
Henri Cartier-Bresson était un reporter nerveux et agité, un « moustique » toujours en mouvement, au point que l’écrivain américain Truman Capote n’hésitait pas à le qualifier de « libellule frénétique ». Mais le photographe a aussi cherché à atteindre dans son œuvre une dimension plus contemplative, voire méditative. « Il y a aussi des ‘‘temps faibles’’ à la Raymond Depardon dans son travail, explique Agnès Sire. Des moments où il ne se passe rien. » Dans certains paysages, on serait bien en peine de trouver le fameux « instant décisif » : des arbres qui bordent une route, une barque qui pourrit au bord d’un fleuve, des tourbillons dans l’eau qui dessinent le symbole du yin et du yang. Ces images-là se veulent hors du temps et font appel à d’autres ressources : le symbole, l’évocation, la métaphore. « Henri Cartier-Bresson attachait beaucoup d’importance au travail de l’inconscient, à la mémoire », rappelle Agnès Sire. Ses images de la période surréaliste, dans les années 1930, le voient s’attarder sur des natures mortes ou des portraits dans lesquels la part invisible est primordiale – un corps endormi qui fait penser à un cadavre, une femme enveloppée dans un voile et qui semble privée de tête…
Le photographe, connu pour sa réticence à être photographié, a aussi réalisé quelques rares autoportraits. Ils évoquent plus qu’ils ne dévoilent et jouent autour de l’absence. Henri Cartier-Bresson photographie son pied nu ou son ombre sur le sol ; ou cet incroyable lit défait, dont les plis dessinent les histoires et les corps qui y sont passés. « Grand lecteur de Proust, il puisait beaucoup de ses références dans la littérature ou la peinture, qui est sa formation première », souligne Agnès Sire. Marqué par ses voyages en Asie et par le bouddhisme, il finira par abandonner la photographie pour le dessin. « La photo est une action immédiate. Le dessin, c’est la méditation », disait-il. Il passera des jours au Muséum national d’histoire naturelle, à dessiner des squelettes d’animaux, « car, disait-il, ceux-là ne bougent pas ».
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