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Lou Reed : « Je recherche la pureté et la beauté »

Lou Reed était venu à Paris, en novembre 2012, pour défendre un ouvrage compilant des photographies prises au fil de sa vie professionnelle. Carlos Alvarez/Getty Images

INTERVIEW INÉDITE - En novembre dernier, Lou Reed était à Paris avec son ami Bernard Comment pour présenter « Rimes/Rhymes », un recueil de photos réalisées par le musicien tout au long de sa carrière. Fatigué, avalant du saumon cru en râlant («qu'on ne me dise pas que ce sont des sushis »), il avait pris le temps de commenter sa passion relativement méconnue pour la photographie. Rencontre avec une légende du rock qui aimait jouer le grand méchant loup.

Propos recueillis par Valérie Duponchelle et Olivier Nuc

LE FIGARO.- Comment avez-vous assemblé ce livre?

Lou REED. - Pendant un an et demi, nous avons parcouru les photos en cherchant à assembler les images qui allaient ensemble. Comme nous ne nous étions pas fixé de contrainte d'unité de lieu ni de temps, nous les avons regroupées par thème et selon les émotions qu'elles dégagent. C'est un processus semblable au choix de l'ordre des titres sur un album: si on met une chanson faible à côté d'une bonne, elles deviennent toutes les deux mauvaises.

Aviez-vous une idée précise de ce que serait ce livre avant même de vous y atteler?

L'idée était de mettre les photos ensemble dans un ordre thématique, pour voir leur interaction. J'ai des archives sur ordinateur, mais nous avons fini par imprimer beaucoup d'images. Nous les mettions par terre en les déplaçant, un regard impossible avec un ordinateur.

Combien d'images avez-vous regardé?

Je ne les ai pas comptées. Je n'ai aucune idée de combien il y en avait. Je les connais toutes très bien. Je n'avais pas l'ambition de faire un livre de 400 pages, mais Bernard (Comment, son éditeur) voulait vraiment que le livre soit complet.

Si je poursuis l'analogie avec la musique, cet ouvrage est plus une anthologie de votre travail qu'un album original?

Ce n'est pas du tout un best-of, puisque ces images sont liées et essaient de raconter une histoire sans les mots. Elles sont narratives, ce n'est pas juste une collection d'images. Je suis parolier, je sais raconter une histoire

Serait-ce plutôt un conte visuel?

Oui.

Vous aimez les livres de photos, en général?

Pas tellement, je préfère les voir en réalité. Très peu de livres ont ce côté narratif. Tulsa de Larry Clark a ça. Vous voyez une image et ça y est, vous êtes embarqué.

C'est le type de photographe qui vous émeut le plus?

Non. Je regardais Warhol tout le temps. C'est lui qui m'intéressait. La lumière, les couleurs. Celles qu'il utilisait dans son film Chelsea Girls étaient incroyables. Personne au monde n'avait cet œil. J'ai fait le nécessaire pour y parvenir moi-même. Quelques images du livre sont dans cet esprit-là.

Vous regardiez son travail de près?

Chaque minute. Son éclairagiste réglait les appareils photos, il me semble. Mais tous les autres paramètres étaient de Warhol lui-même. J'ai eu la chance de le regarder en train de filmer ces longs-métrages merveilleux. Pas les films avec Paul Morrissey, ils sont mortels (rires). Ils n'ont pas ce truc incroyable qu'avait Warhol.

Morrissey avait un charme passif, presque bovin, comme les femmes chez Ingres qui semblent attendre que le temps passe…

Je n'ai jamais trouvé aucun charme à Morrissey.

Lesquels des films de Warhol aimiez-vous?

Je ne me souviens pas de leurs titres, à part Chelsea Girls. L'idée de Sleep me tue. Et l'idée même de consacrer un film à une des plus belles vues de NYC, le soleil se levant sur l'Empire State Building, c'est fantastique. Un film si émouvant.

Avez-vous montré vos photos à Warhol?

Jamais. Je faisais ce que j'avais à faire, je ne cherchais pas son approbation.

Vous avez toujours pris des photos? Dès que vous avez commencé la musique?

J'ai débuté la musique à l'âge de 9 ans. Et je jouais dans les bars dès l'âge de 14 ans. Mais je n'ai pas commencé à faire d'images avant mes 19 ou 20 ans.

Vous avez gardé ces images?

Une fois que j'ai appris à utiliser un ordinateur et à enregistrer des dossiers, oui. J'ai aussi des boîtes et des boîtes de pellicules que j'ai rangées dans mon bureau. Il y en a tant que c'est fou.

La photo occupe-t-elle une place plus importante, maintenant que vous publiez ce livre?

J'aime la photo quoi qu'il en soit, que ce livre existe ou non. Vous savez, j'ai enregistré de la musique dont les gens ont dit qu'elle était horrible… avant de changer d'avis. Mais je me fous de l'avis des gens.

La plupart des gens ne savent pas que vous êtes aussi photographe

Et alors? Ca change quoi? Je ne connais pas la plupart des gens.

La photo est souvent le domaine des gens silencieux et introvertis. L'approche d'un musicien est-elle autre?

Peu importe. Vous voulez dire que seuls les gens silencieux font des images? Je n'ai pas d'avis là-dessus. Je connais beaucoup de gens extravertis qui font des images. Donc je ne suis pas d'accord avec vous. Et je ne suis pas sûr de comprendre votre question.

Dans leur majorité, vos images sont tranquilles et apaisées, tandis que votre musique est plutôt connue pour son côté dérangeant, non?

Perfect Day est une de mes chansons les plus connues et c'est une ballade.

Oui, mais vous êtes surtout le symbole du rock décadent…

La musique a plus à voir avec le monde tel qu'il est et les photos sont une tentative de rendre le monde plus beau.

Vos chansons sont plus réalistes et vos images plus abstraites?

Non, rêveuses, plutôt. J'adore regarder à travers l'objectif, c'est comme être au cinéma. Avec un peu de chance, vous pouvez améliorer les choses en les transformant avec l'appareil.

Dans sa préface Bernard Comment dresse un parallèle entre vos appareils photo et vos guitares. Vous êtes collectionneur ou sont-ce juste des outils pour vous?

Je ne collectionne pas: ce que je n'utilise pas, je le donne à des écoles. Ça n'a pas d'intérêt si cela reste inusité. Mais il y a aussi des guitares dont je ne joue que deux fois par an et qui ne me quitteront jamais. Tous mes appareils photo ont un usage différent. Aucun appareil photo n'est capable de tout faire. Parfois on veut l'option A, parfois l'option B.

Vous savez toujours ce que vous recherchez avant de faire une image?

Si je suis dans un nouvel endroit, en tournée, je demande conseil aux gens. Je leur demande où ils prendraient eux-mêmes des photos.

Avez-vous un moment de la journée préféré?

Parfois, après 4 heures, il y a une lumière particulière. J'ai vu ce film chilien incroyable sur l'astronomie et la photographie, à propos de cet observatoire où l'on voit le monde d'un point de vue saisissant. Désolé de ne pas me souvenir de son titre.

Vous êtes-vous déjà rendu quelque part uniquement pour faire une photo?

Non. Un bon appareil photo rend toutes les choses belles, à condition de savoir le régler. Il est très difficile pour moi de lire les modes d'emploi. Chaque semaine, un nouvel appareil sort, avec un système différent. Mais je suis très heureux que le numérique existe. Si vous loupez une image, vous pouvez en refaire une immédiatement.

Qu'est-ce qu'une bonne image pour vous?

N'importe quoi. J'aime beaucoup certains types d'architecture. Leurs lignes. Il y a des photos comme ça dans ce livre. Certains lieux ont ça, notamment Copenhague. Les liens entre les lignes me rendaient dingue là-bas.

Vous êtes perfectionniste?

Obsessionnel. Mais parfois c'est un avantage. Ça peut rendre les autres fous, mais le détail compte énormément pour moi. Pour l'album Lulu que j'ai enregistré avec Metallica, Robert Wilson voulait que j'écrive les textes. Ils m'ont pris un temps fou. Je passais mes journées avec «Lulu», qui n'est pas le personnage le plus agréable à fréquenter.

Il y a une référence à Blow Up d'Antonioni dans le livre. N'étiez-vous pas censé vous produire avec le Velvet Underground dans une des scènes du film?

Je n'étais pas au courant. Ça aurait été super, mais je ne savais pas. Il y a beaucoup de choses comme ça qui sont peut-être vraies. C'est une belle histoire, mais je doute de sa véracité.

Vous vivez entouré de photos? Vous collectionnez l'art?

Non.

Vous vivez entouré de murs blancs?

Comme Steve Jobs, vous voulez dire? Non. J'ai quelques-unes de mes images sur les murs et un portrait de Warhol (maquillée en blonde platine, NDLR) par Christopher Makos. Et j'ai aussi une ou deux photos que mes amis m'ont données. L'une d'elles a été faite par un ami que je connais depuis tout petit et qui a toujours voulu être photographe. Il est le premier à m'avoir montré comment cela fonctionnait. Il est mort, sans jamais avoir été reconnu.

Vous avez vendu certaines de vos images?

Oui, mais ce n'est pas la raison pour laquelle je les fais. Cet aspect-là des choses ne m'intéresse pas. Y compris en ce qui concerne la musique. Si j'avais été comme ça, j'avais écrit la suite de Walk on the Wild Side… Je recherche la pureté et la beauté. C'est du sérieux.

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