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Utiliser une goutte d'eau comme objectif : pourquoi ça fonctionne

Pour la beauté du geste et de la science
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La photographie a cela de beau qu'elle ne se résume pas qu'à des selfies, des millions de pixels et des petits chats. La photographie a cela de beau qu'elle peut être pratiquée avec presque n'importe quoi : une boîte à chaussures ou une caravane pour les adeptes de sténopé, un cul de bouteille pour les rigolos du premier avril ou, dans le cas de la photographe néerlandaise Robin de Puy, une goutte d'eau... et quelques intéressants principes scientifiques.

Crédit :

Crédit : "Pure Portraits", par Robin de Puy

Au premier regard, vous ne prêterez pas forcément attention aux clichés ci-dessus. De jolis portraits en noir et blanc, sur fond neutre, un éclairage simple mais efficace : c'est mignon mais déjà vu, pas de quoi bouleverser votre panthéon photographique. Pourtant, ces portraits, comme tous ceux de la série baptisée "Pure Portraits", ont quelque chose d'exceptionnel : ils ont été capturés à travers une goutte d'eau. Plus précisément, cette goutte d'eau faisait office d'objectif. Voilà qui devrait avoir le mérite de titiller votre curiosité ! Vous pouvez découvrir dans les vidéos ci-dessous comment s'effectue la prise de vue. Le dispositif utilisé par Robin de Puy repose donc sur une goutte d'eau posée sur une plaque de téflon, un miroir à 45°permettant de réfléchir l'image du sujet vers la goutte d'eau et un appareil photographique industriel de 18 Mpx permettant de capturer le tout. Mais comment, et pourquoi, tout cela fonctionne ?

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Deux principes physiques entrent en jeu. Le premier est le plus connu : comme tout milieu transparent, c'est-à-dire qui laisse passer la lumière, l'eau dispose d'un indice de réfraction. Cet indice détermine l'angle selon lequel un rayon de lumière passant de l'air à l'eau (ou de l'eau à l'air) est dévié. Cela, vous le voyez bien lorsque vous sirotez à la paille un verre d'eau (ou autre liquide transparent) en terrasse pour lutter contre la canicule et que ladite paille semble tordue. Le problème de l'H20 est que, contrairement aux verres et polymères utilisés pour les lentilles de nos objectifs, l'indice de réfraction de l'eau n'est pas stable puisqu'il peut varier en fonction de la pureté, de la salinité et de la température. De plus, l'indice de réfraction est différent en fonction de la longueur d'onde : toutes les couleurs ne seront pas déviées de la même manière, ce qui induit des aberrations chromatiques — d'où les portraits en noir et blanc, pas folle la guêpe !

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Crédit : Varioptic

Crédit : Varioptic

Le second principe physique a été découvert en 1875 par le français Gabriel Lippman, qui a d'ailleurs reçu le prix Nobel de physique en 1908 pour sa "méthode de reproduction des couleurs en photographie, basée sur le phénomène d'interférence" ou, dit autrement, pour l'invention de la photographie couleur. Le petit nom de ce principe ? L'électromouillage qui, contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'a rien à voir avec le fait de danser mouillé sur de la musique électro. De manière accélérée, l'électromouillage est le principe qui fait qu'en appliquant une tension électrique à un liquide, il est possible d'en modifier la courbure à la surface. Dans le cas d'une goutte d'eau, cela revient donc à modifier sa courbure afin de lui donner le rôle d'une véritable lentille optique. Tordu, exotique, et sans aucune application pratique autre que purement artistique ? Détrompez-vous : les lentilles d'eau — enfin, les lentilles à base de gouttes d'eau — sont déjà parmi nous !

La société Varioptic a été créée en 2002 à Lyon par un ancien chercheur du CNRS, Bruno Berge. Elle a appartenu, de 2011 à début 2017, à Parrot avant d'être revendu à l'américain Invenios. À la fin des années 90, durant son temps libre, il se passionne pour les travaux de Gabriel Lippmann et tout particulièrement l'électromouillage. D'abord fasciné par l'aspect théorique, il finit par entrapercevoir le potentiel pratique d'une telle technologie et quitte à la fois le CNRS et son poste de professeur de physique à l'École Normale Supérieure de Lyon pour développer ses lentilles liquides qui, certes, ne contiennent pas de l'eau pure, mais une huile aux propriétés optiques adéquates et se basent sur le principe de Lippmann. Vous avez déjà rencontré ces lentilles au quotidien, dans les lecteurs de code-barres de supermarché, par exemple — même s'il est vrai que l'outil est tout de suite moins sexy que le dispositif utilisé par de Puy et qu'il ne vous viendrait pas spontanément à l'esprit de vous tirer le portrait avec un lecteur de code-barres... 

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Bon... pourquoi passer tant de temps à parler de lentilles liquides en partant d'une série de portraits expérimentaux à une entreprise française ? Parce qu'en 2011, Varioptic a accordé à l'américain Optilux une licence exclusive pour la téléphonie mobile et les tablettes. Dans ces produits, une lentille liquide permettrait de supprimer les mécanismes de mise au point des lentilles solides tout en faisant office de stabilisation optique, le tout dans un encombrement moindre. Problème : depuis six ans, Optilux se fait très discret, aucun produit grand public n'en est encore équipé et les gains promis par la technologie (rapidité de l'autofocus, instantanéité de la réponse, grande plage de mise au point, très haute résolution, consommation électrique minimale, robustesse, etc.) sont peu à peu en train de devenir caducs tant les constructeurs d'optiques mobiles et de capteurs se démènent, avec des moyens humains et financiers bien plus importants. Mais nous tenions à vous parler de ces lentilles liquides, car elles sont loin d'être inintéressantes. Au pire, vous aurez perdu 10 minutes de votre vie à nous lire, au mieux vous pourrez briller en société en parlant du fonctionnement de l'objectif du lecteur de code-barres de la supérette du coin.

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