Magnum cherche du sang neuf et rajeunit son image

Fin juin, la très sélective agence a intégré six nouveaux membres. Un record depuis sa création, qui en dit long sur l'avenir de ce collectif mythique de la photographie, exposé cet été à Paris, et sa volonté de s'adapter aux réseaux sociaux.

Par Joséphine Bindé

Publié le 06 juillet 2015 à 15h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h44

Cest un record : Magnum Photos vient de nominer six nouveaux membres, une décision prise le 28 juin à Paris, lors de son assemblée générale annuelle. Très sélective, l’agence ne donne habituellement leur chance qu’à un ou deux candidats par an. Serait-elle en train de se redéfinir ? Zoom sur ce collectif historique, qui regroupe depuis près de 70 ans certains des meilleurs photographes de la planète. 

L'esprit Magnum

L’indépendance : voilà la marque de fabrique de Magnum. C’est avant tout pour cela que ses quatre célèbres fondateurs, Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, David Seymour (dit Chim) et George Rodger, l’ont créée en 1947. Depuis Paris et New York, ils fondent une agence fonctionnant comme une coopérative, c’est-à-dire une association démocratique de personnes. Totalement novatrice, l’idée permet aux photographes de garder un contrôle absolu sur les droits de leurs images, ce que les autres agences leur interdisaient jusqu'alors : tous égaux, les membres sont propriétaires de leurs photos et libérés des pressions extérieures.

« Témoins sensibles »

« L’esprit Magnum » naît dans le contexte particulier de l’après-guerre : le photoreportage est en pleine expansion et l’image photographique occupe une place centrale dans certains magazines comme Life, mythique hebdomadaire américain. « Témoins sensibles », les membres de Magnum cherchent à rendre compte des événements et conflits mondiaux, toujours dans le respect de l’humain. Une philosophie proche de la photographie humaniste (ou réalisme poétique) de Cartier-Bresson qui, après le traumatisme de la guerre, célèbre l’homme et son quotidien, l’enfance, l’amour et la liberté.

Magnum aujourd’hui

Aujourd’hui, l’agence compte environ quatre-vingt membres originaires du monde entier. Parmi eux, le grand Raymond Depardon, qui est aussi réalisateur et maître du film documentaire. Du Sahara à la campagne française, en noir et blanc et en couleurs, ses images s’accompagnent de textes à la première personne, alliant ainsi vision documentaire et regard autobiographique. Autres figures emblématiques : Martin Parr, Josef Koudelka, Antoine d’Agata, Alec Soth, Jim Goldberg qui tous privilégient la photo d'auteur au photoreportage ou encore le fameux Steve McCurry (auteur du portrait de « la jeune fille afghane » aux yeux verts) et ses couleurs chatoyantes. 

Grâce à son immense fond d’archives, Magnum a survécu à la crise qui a entraîné la liquidation de nombreuses agences ces dernières années. Publication d’ouvrages, monographies, expositions, commandes : face à la disparition progressive de la presse papier au profit du numérique, l’agence a évolué et diversifié ses moyens de diffusion. Selon Clément Saccomani, chargé des nouvelles productions chez Magnum, le bureau de Paris gèrerait environ 120 expositions par an. 

Record de nominations : un tournant ?  

Pour se renouveler, l’agence compte aussi sur du sang neuf. Une fois l’an, les photographes se réunissent pour élire un nominé, parmi des portfolios sélectionnés au préalable. Mais cette année, ils en ont a choisi six : une Géorgienne (CarolynDrake), un Californien (Matt Black), une photojournaliste iranienne (Newsha Tavakolian), un Belge (Max Pinckers), un Italien (Lorenzo Meloni) et un Irlandais (Richard Mosse).

Pourquoi tant de monde ? L’agence chercherait-elle à se redéfinir ? C’est ce que laisse penser David Kogan, PDG de Magnum, qui évoquait récemment une volonté de s’adapter aux nouvelles générations présentes sur les réseaux sociaux. Pour gagner ce nouveau marché, Magnum a revu le design de son site et projette de lancer une plateforme qui permettra aux utilisateurs d’entrer en contact avec les photographes, et leur proposera notamment des ateliers et des livres signés.  

Accueillir davantage de nouveaux artistes, voilà qui irait également dans ce sens. D’autant plus qu’il y a des jeunes parmi les nouvelles recrues: Newsha Tavakolian, Richard Mosse et Lorenzo Meloni ont respectivement 34, 35 et 32 ans. La première (qui a beaucoup fait parler d'elle lorsqu'elle a reçu le prix Carmignac à l'automne 2014) donne à voir un nouveau visage de l’Iran, à travers des images à la fois puissantes et mélancoliques, comme cette femme voilée se tenant immobile en pleine rue avec, aux mains, des gants de boxe rouges. De son côté, Lorenzo Meloni souligne la solitude et le délabrement dans les zones de conflit, notamment au Yemen et en Syrie. Quant à Richard Mosse, ses images, comme baignées de sang (ou d’un rose faussement joyeux ?) grâce à une pellicule infrarouge, livrent une vision magistrale et hors normes de la guerre en République Démocratique du Congo.

Dans trois ans, les nominés devront à nouveau soumettre un travail pour espérer devenir associés puis, cinq ou sept ans plus tard, membres à part entière. Mais le jeu en vaut la chandelle : ils y gagneront prestige et visibilité à l’international, ainsi qu’une part des profits de l’agence. On leur souhaite de réussir ! 

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